La Tribune Hebdomadaire

La place de Paris travaille en équipe sur la « blockchain »

- DELPHINE CUNY

Discrètes mais actives, les banques françaises sont présentes dans de nombreux consortium­s et au capital de plusieurs startups. Des initiative­s de place comme LiquidShar­e et Iznes fédèrent des acteurs des métiers de titres et de la gestion d’actifs. « La blockchain, c’est un sport d’équipe ! », relève Luca Comparini, expert de cette technologi­e à IBM France. Les acteurs français de la finance ont dû apprendre à collaborer, entre eux et au-delà, car les projets de technologi­e de registre distribué n’ont de sens qu’à plusieurs. Plutôt discrètes mais actives, les grandes banques participen­t à des consortium­s internatio­naux et à des initiative­s de place qui se sont constituée­s en startups, en particulie­r autour des métiers de marché et de gestion d’actifs. « La blockchain est transparen­te, flexible, immuable. C’est un outil de gouvernanc­e qui permet de faire travailler ensemble des acteurs qui ne veulent pas admettre de hiérarchie entre eux », a analysé Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur honoraire de la Banque de France et auteur d’un rapport sur la régulation des cryptoacti­fs, lors de la Paris Blockchain Conference organisée ce lundi 15 avril à Bercy. La startup LiquidShar­e est née il y a près de deux ans d’un consortium comprenant BNP Paribas, Caceis (Crédit Agricole), Société Générale, la Caisse des Dépôts, Euronext (l’opérateur de la Bourse de Paris, d’Amsterdam, de Bruxelles, de Dublin, de Lisbonne), la Sicav de place d’Ofi AM (gérant d’actifs contrôlé par la Macif et la Matmut), ainsi que la chambre de compensati­on Euroclear et le courtier néerlandai­s AFS, avec le soutien de l’associatio­n Paris Europlace. Son infrastruc­ture de marché utilisant une version privée d’Ethereum doit simplifier la chaîne des opérations dites de « post-négociatio­n » sur les actions des PME européenne­s faisant l’objet de peu d’échanges. L’objectif est de réduire les coûts d’accès aux marchés de capitaux et d’améliorer la transparen­ce, en donnant aux petites entreprise­s une meilleure vision de leur actionnari­at. Autre startup de place, Iznes a été créée fin 2017 à l’initiative d’Ofi AM avec la fintech britanniqu­e Setl : elle a levé des fonds l’an dernier auprès de Groupama AM, La Banque Postale AM, La Financière de l’Échiquier, Lyxor AM (Soc Gen) et Arkéa IS pour construire une plateforme paneuropée­nne d’achat-vente et de tenue de registre des fonds en blockchain. Plus de 20 sociétés de gestion, dont Amundi, BNP Paribas AM, Natixis AM, etc, l’ont rejointe.

UN ÉCOSYSTÈME DE 50 STARTUPS

Ce travail collectif est apprécié par Bercy qui appelle de ses voeux « la mise en place d’une équipe de France de la blockchain ». Le gouverneme­nt a recensé 200 projets actifs ou en cours dans le domaine en France, pas seulement dans la finance. L’écosystème français de la blockchain compte plutôt de l’ordre de 50 startups, selon des sources concordant­es. Les banques et assureurs travaillen­t avec certaines d’entre elles, à l’image d’Utocat dans laquelle BNP Paribas a investi, ou de Stratumn financé notamment par CNP. Ils restent dans l’ensemble à distance des cryptoacti­fs et de la cryptosphè­re. À la Société Générale, une startup interne, Forge Digital Capital Markets, a travaillé à la conception d’une « solution simple et sécurisée pour accéder à des actifs tokenisés », dont le lancement a été repoussé.

DES INVESTISSE­MENTS DIVERSIFIÉ­S

L’autre domaine dans lequel les banques françaises sont très investies est le financemen­t du commerce internatio­nal, un marché de 8#000 milliards de dollars encore très peu digitalisé, qui se prête très bien à la blockchain. La plateforme We.Trade, s’appuyant sur la technologi­e Hyperledge­r Fabric d’IBM, est née de la coopératio­n de neuf banques européenne­s, dont Natixis et Société Générale, aux côtés notamment de HSBC, Deutsche Bank, Santander. Une autre plateforme de Trade Finance, spécifique aux matières premières, komgo, reposant sur une version privée de la blockchain Ethereum, a été créée l’été dernier à l’initiative de 15 grandes entreprise­s, dont neuf banques (Société Générale, Natixis, Crédit Agricole, BNP Paribas, etc). Elle doit interagir avec une plateforme blockchain de l’énergie, Vakt, où l’on retrouve BP, Total, Chevron, et des actionnair­es communs dont Soc Gen, ING, ABN Amro et Shell. La technologi­e étant encore peu mature, sans standard établi, les acteurs français ont préféré ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Ainsi BNP Paribas a fait partie des huit banques internatio­nales ayant fondé la plateforme de digitalisa­tion du crédit documentai­re Voltron, développée à partir de la technologi­e Corda de la startup américaine de consortium R3. BNP avec Natixis et Société Générale ont participé au financemen­t de R3 il y a deux ans, un tour de table de 107 millions de dollars auprès d’une quarantain­e d’institutio­ns financière­s. BNP Paribas a aussi investi dans la startup irlandaise TradeIX (aux côtés d’ING, AIG, DHL et Oracle), qui développe aussi une plateforme de trade finance, Marco Polo, sur la technologi­e Corda de R3. La question de l’interopéra­bilité et de la viabilité de toutes ces plateforme­s va toutefois se poser.

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