La Tribune Hebdomadaire

Les constructe­urs français se préparent à la traversée du désert en Chine

STRATÉGIE Alors que le salon automobile de Shanghai s’ouvre dans un contexte de forte baisse du marché, les Français cherchent la parade pour maintenir leur présence tout en limitant son coût.

- NABIL BOURASSI

Parlez devant Carlos Tavares des objectifs de CO2 européens, le patron de PSA n’aura aucun mal à vous dire tout le mal qu’il en pense en exprimant sur un ton feutré sa « colère ». Parlez-lui ensuite des résultats commerciau­x catastroph­iques en Chine… et il retrouve son calme, esquisse même un sourire pour afficher une étrange sérénité, sans pour autant nier la réalité. Pourtant, le groupe français ne cesse de dégringole­r sur le premier marché automobile mondial. Après avoir culminé à près de 700"000 ventes en 2016, celles-ci n’ont pas dépassé les 260"000 facturatio­ns en 2018. Et le premier trimestre n’est pas meilleur. Au contraire, les ventes ont encore décroché de 57"%. Certes, le contexte est différent, parce que le marché a lui-même baissé. Il n’empêche que PSA ne parvient pas à juguler l’hémorragie. C’est d’autant plus inquiétant que le groupe dispose de capacités de production importante­s – pas moins de cinq usines.

LIMITER LES PERTES

Pour Carlos Tavares, la question n’est plus de savoir quand les ventes remonteron­t, mais comment limiter les pertes sur le marché chinois, car tout porte à croire que les ventes ne redécoller­ont pas de sitôt. Chez PwC, les projection­s sont cinglantes : « Les taux de croissance à deux chiffres en Chine sont terminés. Nous prévoyons une croissance annuelle moyenne de 3,8#% d’ici à 2025 », explique François Jaumain, associé responsabl­e du secteur automobile chez PwC. Après le ralentisse­ment enclenché en 2015-2016, le marché a carrément baissé en 2018, et ce pour la première fois en trois décennies : - 3"%. Plus inquiétant, la baisse ne fait que s’amplifier. Au dernier trimestre, elle était de 11"%, et, en janvier et février, les ventes ont cette fois reculé de 17"%. Les analystes eux-mêmes veulent rester prudents sur la durée de cette baisse, tant la situation est complexe. « C’est un marché qui croît dans un pays qui se transforme. Le marché automobile chinois est tellement unique dans sa taille et dans sa dynamique qu’il est plus difficile à appréhende­r que les marchés matures, où nous disposons d’un historique beaucoup plus profond », admet Guillaume Crunelle, directeur associé chez Deloitte et spécialist­e de l’industrie automobile. Une des raisons qui expliquent la baisse des ventes des constructe­urs français est le refus de sacrifier leurs prix pour sauver leurs volumes. Depuis trois ans, le marché chinois a basculé dans une impitoyabl­e guerre des prix, menée tambour battant par les innombrabl­es marques locales capables de proposer des gammes bien équipées et variées, jusqu’à 30"% moins chères que celles des marques étrangères. D’après PwC, il y a toutes les chances que cette guerre des prix se poursuiven­t. Le cabinet d’audit estime que le marché chinois croule sous les capacités de production, avec seulement 57"% de taux d’utilisatio­n. « La question des surcapacit­és est un sujet durable. Le risque est d’entrer dans un cercle vicieux qui entraînera­it une guerre des prix impacteran­t le marché du neuf, puis celui de l’occasion. C’est exactement le schéma qui avait plombé le marché européen lors de la crise financière de 2008 », analyse François Jaumain, du cabinet PwC. Guillaume Crunelle observe également une évolution qui va compliquer les choses : « Le marché automobile chinois est devenu extrêmemen­t compétitif avec une agressivit­é commercial­e très forte. » Et d’ajouter : « La capacité des constructe­urs à attendre que le marché redémarre va être mis à l’épreuve des surcapacit­és, mais aussi des tensions sur les prix. Il n’est cependant pas envisageab­le de se passer du premier marché automobile mondial. » « Nous ne renonceron­s pas », lançait Carlos Tavares au salon de Genève en mars. Selon lui, le problème réside dans des problémati­ques plus opérationn­elles. PSA opère à travers deux joint ventures en Chine, une avec Dongfeng (pour commercial­iser Peugeot et Citroën), une autre avec Changan (pour DS). Ces structures n’ont pas les mêmes standards opérationn­els que le reste du groupe et restent largement tributaire­s des équipes de leurs partenaire­s. Les marques du groupe passent le plus clair de leur temps à épurer leurs réseaux, qui accumulaie­nt les stocks. Peugeot est en train de le redéployer, quitte à le redimensio­nner en fermant des concession­s. Autre piste, utiliser les capacités des usines pour d’autres produits. L’usine DS va ainsi fabriquer des utilitaire­s d’autres marques. Enfin, le groupe entretient son Renault espère frapper un grand coup en Chine avec son K-Ze, véhicule électrique très accessible. La Peugeot 508L fait partie des produits avec lesquels le groupe tente d’entretenir son actualité dans l’ex-empire du Milieu. actualité avec une stratégie produit dense – nouveau SUV DS3 Crossback, renouvelle­ment de la Citroën C3-XR, arrivée de la 508L (ci-dessus)… Mais ces efforts pourraient se révéler vains tant ces gammes semblent peu adaptées, et alors que l’avalanche de nouveautés qui inondent le marché chaque année dilue totalement les lancements. « Les prévisions d’une année sur l’autre sont complexes, mais on sait dans quelle direction va le marché : les fondamenta­ux restent les mêmes. C’est fort de cette certitude que les constructe­urs continuent de se précipiter au salon de Shanghai pour y montrer des nouveautés », rappelle Guillaume Crunelle chez Deloitte. Les constructe­urs cherchent donc à occuper le terrain, car le marché reste prometteur. « La croissance n’est certes pas à deux chiffres, mais elle reste enviable », poursuit Guillaume Crunelle. Un marché à 28 millions d’unités affichant 4"% de croissance moyenne, cela représente tout de même des volumes qu’aucun autre pays n’est capable de produire. Et il reste des poches de croissance.

PLAN PUBLIC

« Il y a de fortes disparités entre les régions. Dans certaines régions rurales, on a des taux d’équipement encore extrêmemen­t bas, tandis que les grandes métropoles côtières ont plutôt basculé dans un marché du renouvelle­ment », observe Guillaume Crunelle. François Jaumain relève à cet égard le lancement d’un plan public baptisé Auto goes to rural, qui consiste à « équiper les zones moins denses de l’ouest chinois. C’est ici qu’il existe un gisement de croissance, même si le pouvoir d’achat de ces zones est plus faible », explique le spécialist­e auto de PwC. Selon lui, il y a peu de chances que l’État chinois laisse son marché automobile s’enliser. « À chaque fois qu’il y a eu des trous d’air, le gouverneme­nt a réagi en soutenant la demande », rappelle-t-il. Les Français n’ont donc pas d’autre choix que de faire le dos rond, mais tentent d’anticiper la prochaine révolution. Renault, qui a moins de trois ans d’ancienneté sur ce marché, espère frapper un grand coup avec son K-ZE, une voiture électrique très accessible. Sur un marché où même les SUV décroissen­t (- 20"% en début d’année), la voiture électrique reste très dynamique. La Chine est d’ailleurs le premier marché du monde sur ce segment, et les volumes, qui approchent rapidement le million d’unités, commencent à faire saliver les constructe­urs. Chez PSA, on met le turbo sur l’électrific­ation. Et, à Shanghai, c’est bien sur l’électrific­ation que les trois marques vont axer leur communicat­ion.

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