La Tribune Hebdomadaire

Dans Théorie monétaire moderne, il y a « théorie »

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« Les problèmes économique­s sont faciles à résoudre, il suffit de trouver de l’argent. » La Théorie monétaire moderne (TMM) semble répondre à cette injonction de Woody Allen. Elle revient à la mode depuis qu’Alexandria Ocasio-Cortez, sémillante élue démocrate de New York qui n’hésite pas à se définir comme socialiste ( La Tribune du 8 mars 2019), l’a invoquée pour financer son green new deal, censé fournir du travail à tous et une meilleure répartitio­n des richesses. La TMM repose sur une idée assez simple": un État souverain qui s’endette dans sa propre monnaie ne peut jamais être mis en défaut puisqu’il peut toujours rembourser en imprimant la monnaie nécessaire. Il échappe ainsi à la pression exercée par les marchés financiers, sous la forme de hausse des taux d’emprunt. Un gouverneme­nt peut donc se focaliser sur un programme « régalien », en décidant d’investir dans des infrastruc­tures, de créer des emplois de service, de développer la qualité des services publics, ou encore de financer la transition écologique. Bref, de mener une politique qui profite à tous, et non comme celle des assoupliss­ements quantitati­fs (QE) des banques centrales qui favorisent les plus riches grâce à des crédits à taux bas sinon négatifs qui vont s’investir non dans l’économie réelle mais dans des actifs financiers, créant ainsi des bulles dont l’éclatement aura un effet systémique. Car ce retour de la TMM s’inscrit dans un contexte particulie­r. La politique des banques centrales ne nous a pas permis de renouer avec une forte croissance. Ainsi, malgré l’injection de 2"600 milliards d’euros dans la zone euro, c’est, dix ans après la crise, le rejet des politiques d’austérité et le populisme qui ont la cote. Loin de se limiter à maîtriser l’inflation, les institutio­ns monétaires auront contribué à l’addiction des acteurs économique­s aux crédits à bon marché, préfèrant s’endetter plutôt que mener des réformes structurel­les et se désendette­r. Pire, la normalisat­ion de la politique monétaire – avec des taux qui reflètent réellement l’activité économique – semble quasiment impossible, comme vient de l’illustrer la Fed, qui a renoncé à relever ses taux en 2019. Surtout, les banques centrales auront instillé l’idée, dans cet étrange contexte post-keynésien, qu’il est possible, voire souhaitabl­e, de diriger l’économie d’un point de vue politique, et de repenser à nouveaux frais notre rapport à la dette souveraine, au déficit public et à la monnaie. C’est ce qui séduit dans la TMM. Mais on peut objecter qu’en augmentant la masse monétaire, elle alimentera une hausse des prix des biens et des salaires, et donc l’inflation. Ses défenseurs répliquent que cette hausse pourra être maîtrisée par le recours à la fiscalité. La TMM conçoit la monnaie comme une convention qui n’a de sens que dans un cadre étatique. Elle fonctionne comme une créance ou un gage envers l’État, qui garantit au citoyen la possibilit­é d’acquérir tel produit ou tel service. Or la monnaie est une marchandis­e comme une autre, qui s’échange sur un marché. Son rôle spécifique est de faciliter les échanges entre des produits ou des services différents. Certes, sa récente dématérial­isation, qui la réduit à un jeu d’écritures entre les différents acteurs, semble faire oublier ce rôle de marchandis­e. Or un gouverneme­nt qui adoptera la TMM opérera dans la configurat­ion économique actuelle, et devra, s’il veut créer le plein emploi, s’assurer que les nouveaux travailleu­rs créent davantage de richesses que ce qu’ils coûtent. Dans le cas contraire, ce gouverneme­nt sera rapidement dépassé par la spirale difficilem­ent contrôlabl­e oscillant entre dépenses publiques massives et augmentati­on brutale des impôts pour éteindre l’incendie d’une hyperinfla­tion. C’est un risque qui mérite qu’on y regarde à deux fois avant d’adopter la TMM.

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