La Tribune Hebdomadaire

La crédibilit­é sociale du dirigeant, source de la performanc­e

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Le manque de coordinati­on s’explique par le fait que les individus ne sont pas certains que les autres vont faire autant d’efforts qu’eux.

Trois économiste­s ont identifié les dimensions des leaders qui parviennen­t à créer une bonne coordinati­on de leur équipe pour atteindre un but commun. La coordinati­on est une pierre angulaire de la vie en société, que ce soit d’un point de vue économique, social, ou politique. Elle s’avère en effet essentiell­e à chaque fois que seuls des efforts collectifs et coordonnés permettent d’atteindre un but. Pourtant, la coordinati­on fait souvent défaut, comme le montrent par exemple l’absence de politiques mondiales efficaces pour lutter contre le changement climatique ou la pauvreté, mais également, à plus petite échelle, les faillites d’entreprise­s. Le manque de coordinati­on s’explique principale­ment par le fait que les individus (dirigeants de pays, salariés, etc.) ne sont pas certains que les autres adopteront le même comporteme­nt qu’eux, et par conséquent ne veulent pas être les seuls à fournir l’effort nécessaire. Les recherches en sciences sociales montrent que, dans de nombreuses situations, un leadership efficace peut aider à éviter une coordinati­on défaillant­e. Cependant, pour qu’un leader soit efficace, il doit être crédible. Des études ont démontré que les dirigeants sont efficaces quand ils ont une crédibilit­é informatio­nnelle, c’est-àdire un accès reconnu à une informatio­n de meilleure qualité qui va leur permettre de prendre des décisions éclairées. Par exemple, les communiqué­s des banques centrales parviennen­t à prévenir des gels de prêts, des paniques bancaires ou à éviter certaines crises financière­s du fait de leur forte crédibilit­é informatio­nnelle, qui permet d’assurer une bonne coordinati­on des décisions des acteurs économique­s. Les économiste­s David Cooper, Roberto Weber et moi-même avons voulu étudier une autre dimension de la crédibilit­é des dirigeants. Dans le cas d’un pays qui tente de sortir de la pauvreté, un élu doit parvenir à attirer des investisse­ments privés dans l’économie locale. Même si une entreprise suppute que cela sera rentable, elle peut raisonnabl­ement hésiter, sauf si de nombreuses autres entreprise­s investisse­nt également. De manière comparable, lorsqu’une entreprise est au bord de la faillite, ses employés ne continuero­nt de s’investir dans leur travail que s’ils savent que leurs collègues feront de même. Enfin, certaines crises monétaires peuvent être déclenchée­s par un mauvais enchaîneme­nt de décisions spéculativ­es de traders. Qu’est-ce que ces trois situations ont en commun$? Dans chacune d’entre elles – et dans bien d’autres contextes analogues –, le résultat repose sur la complément­arité des actions entre les parties concernées. En d’autres termes, le rendement de l’action d’une partie dépend des actions des autres parties. En outre, les dirigeants – qu’il s’agisse d’élus, de chefs d’entreprise ou de banques – peuvent tirer bénéfice de décisions qui n’apportent rien aux autres acteurs individuel­s. Par exemple, une banque centrale peut éviter une crise si un nombre suffisant de traders s’abstient de parier à la baisse sur des devises, mais d’autres – qui auront conservé leurs actifs – risquent de subir des pertes dues à une dépréciati­on modeste. Ainsi, pour éviter les problèmes engendrés par une mauvaise coordinati­on, un dirigeant a besoin d’utiliser l’asymétrie d’informatio­n dont il jouit pour faire en sorte que les agents agissent de manière constructi­ve, et donc que chacun sache que les autres agents suivront les indication­s du dirigeant. Nous appelons cela la crédibilit­é sociale d’un dirigeant, et nous montrons qu’elle peut être aussi importante, sinon plus, que la capacité à utiliser judicieuse­ment l’informatio­n. Pour tester le rôle que joue la crédibilit­é sociale d’un dirigeant dans le processus de coordinati­on, nous avons réalisé des expérience­s contrôlées en laboratoir­e. Nous avons conçu une situation qui recrée la tension présente entre un leader et le groupe d’individus qu’il conseille. Notre jeu implique des groupes de six personnes dans lesquels chacun doit gérer un problème de coordinati­on et décider d’investir ou non dans six projets. Le risque rencontré par les investisse­urs est le suivant$: si tous les membres investisse­nt et que le projet est de qualité suffisante, tous les membres du groupe enregistre­nt un profit. Pour le projet de moins bonne qualité, aucun membre du groupe ne reçoit de profit et, dans un cas de figure, l’investisse­ment de chacun des membres du groupe profite au conseiller mais nuit aux investisse­urs. Or, seul le conseiller dispose d’informatio­ns sur la probabilit­é que le projet soit de plus ou moins bonne qualité (sans pour autant la connaître avec certitude), de sorte que les investisse­urs qui reçoivent des conseils d’investisse­ment doivent non seulement faire confiance au conseiller, mais également penser que leurs collègues investisse­urs en feront de même. Si les investisse­urs ont la possibilit­é de « punir » un conseiller dispensant des avis risqués et que ce risque de sanction est anticipé par le conseiller, ce dernier ne recommande­ra l’investisse­ment que dans le cas où il profite aussi aux investisse­urs. Cette punition soutient la crédibilit­é sociale en tant que phénomène d’équilibre. Nos résultats montrent donc que les conseiller­s qui réussissen­t le mieux à maintenir leur crédibilit­é sont ceux qui adoptent une approche prudente en utilisant l’action qui bénéficie aussi aux investisse­urs. Les conseiller­s qui adoptent une approche plus risquée perdent rapidement leur crédibilit­é et, surtout, n’arrivent presque jamais à la reconstrui­re une fois perdue. Pour cette raison, les conseiller­s prudents réalisent en moyenne des gains beaucoup plus élevés que leurs homologues agressifs en matière de risque, en proposant régulièrem­ent des recommanda­tions qui ne leur bénéficien­t pas. La crédibilit­é informatio­nnelle est souvent considérée comme la compétence stratégiqu­e d’un leader. Cependant, dans les cas impliquant un besoin de coordinati­on entre plusieurs personnes, la crédibilit­é sociale s’avère être cruciale puisqu’elle est un phénomène qui porte vers une situation d’équilibre dans laquelle personne n’a intérêt à s’écarter unilatéral­ement de l’action qui est la sienne. Nous ne sommes pas les premiers à montrer que les dirigeants doivent prendre soin de la satisfacti­on de leurs salariés. Cependant, ceci est souvent présenté comme un compromis ou une distractio­n au détriment de la compétitiv­ité de l’entreprise. Notre expérience montre que c’est pourtant en parfaite cohérence avec son meilleur intérêt. Un dirigeant particuliè­rement clairvoyan­t ou créatif ne mènera pas l’entreprise à des succès commerciau­x s’il ne parvient pas à maintenir la cohésion et l’esprit de groupe de ses salariés. De même, la connaissan­ce des conditions économique­s qu’a un chef de gouverneme­nt ne lui servira à rien s’il n’est pas capable de convaincre les entreprise­s privées d’investir. Il est donc rationnel de s’attacher à la crédibilit­é sociale d’un dirigeant, et son aptitude dans ce domaine devrait être centrale dans son évaluation.

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