Huawei au coeur de la guerre froide technologique
Pékin et Washington se disputent un leadership essentiel pour asseoir leur domination économique.
Àl’ouest, les États-Unis défendent un Internet ouvert, accessible à tous, où chacun est libre d’innover, de s’exprimer librement. Le modèle américain repose sur ses fameux Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple). Au fil des années, ils sont devenus des mastodontes grâce à des services et applications plébiscités à travers le globe. L’Europe, qui n’a pas de géants du Net, s’est fait coloniser et a mué en grand utilisateur des Google, Youtube, Facebook et autres Netflix.
À l’est, la Chine défend une tout autre vision d’Internet. Depuis 2008 et les Jeux olympiques de Pékin, l’empire du Milieu a choisi une autre voie : Pékin veut garder la main sur la Toile, tout contrôler, cadenasser, et avoir un oeil sur ce qui s’y dit comme sur ce qui s’y fait. En Chine, les services phares des Gafa y sont souvent bloqués,
censurés ou interdits. Ils sont remplacés par ceux des géants du Net locaux : les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Lesquels ont connu un essor et un succès fulgurants dans le pays grâce à l’immensité du marché chinois. L’usine du monde est désormais en pointe dans le numérique. Elle ne se contente plus de copier les technologies occidentales, elle développe les siennes. Pékin dispose de champions dans les services Internet, certes, mais aussi dans les tuyaux (via les équipementiers télécoms Huawei et ZTE) comme dans les smartphones (avec encore Huawei, Xiaomi ou Oppo). Aujourd’hui, après avoir érigé une « muraille de Chine numérique » pour éviter toute colonisation américaine, l’empire du Milieu veut partir à la conquête du monde. L’objectif étant d’asseoir, à travers une domination technologique, son leadership économique. C’est toute l’ambition de son programme « Made in China 2025 » , qui vise à faire du pays une référence mondiale en matière d’innovation et de nouvelles technologies. Avant de commercialiser massivement ses biens et services grâce à ses « nouvelles routes de la soie ». Un projet pharaonique, qui vise à ouvrir de nouvelles voies terrestres, maritimes et numériques (via des routes, des ports, des voies ferrées et des câbles de télécommunications) pour écouler ses produits en Europe et en Afrique.
LEADER DANS LA 5G
Mais en face, les États-Unis ne sont pas du tout disposés à céder leur trône au challenger chinois. À Washington, pas question de laisser la tech « made in USA », qui a permis au pays de conforter son hégémonie économique, se faire rôtir par l’ambitieux dragon. C’est dans le cadre de ce bras de fer entre les deux superpuissances qu’il convient de replacer les attaques américaines à l’égard de Huawei. Depuis des années dans le viseur des États-Unis, qui le soupçonnent d’espionnage pour le compte de Pékin, le géant chinois a été privé, mi-mai après la signature d’un décret par Donald Trump, de tout accès aux technologies américaines. La décision a fait grand bruit et a suscité l’ire du gouvernement chinois. De fait, Huawei n’est pas n’importe qui. Leader reconnu dans les équipements télécoms et depuis le début de l’année numéro deux mondial des smartphones, le groupe de Shenzhen est l’une des « big tech » chinoises les plus développées à l’international. Surtout, Huawei est leader dans la 5G. Une technologie clé, qui doit faire faire basculer les entreprises et les particuliers dans une ère nouvelle": celle de l’ultra-connectivité, via à l’essor de l’Internet des objets, des villes intelligentes, des usines connectées ou des voitures autonomes. Après avoir été leader dans la 4G – qui a permis à ses Gafa de se développer à toute vitesse –, les États-Unis craignent de se faire damer le pion par la Chine dans la 5G. Sous ce prisme, pour Washington, Huawei constitue une très sérieuse menace.
Sur l’échiquier mondial de la tech, le géant chinois ressemble à une reine que les Américains veulent à tout prix faire tomber. En témoigne, depuis le début de l’année, l’impressionnant lobbying des États-Unis pour forcer l’Europe à chasser, comme lui, Huawei des réseaux 5G. Outre clamer ses soupçons d’espionnage au profit de Pékin ( La Tribune du 22 février), Washington est allé jusqu’à menacer l’Allemagne et le RoyaumeUni de cesser leur collaboration en matière de renseignement s’ils ne bannissaient pas le groupe chinois.
LE SPECTRE DE NOUVELLES SANCTIONS
Au mois de décembre, un autre événement a suscité un séisme en Chine : sur demande de la justice américaine, Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei, a été arrêtée au Canada. Assignée à résidence à Vancouver, la dirigeante, qui est aussi la fille de Ren Zhengfei, le fondateur de Huawei, fait désormais l’objet d’une demande d’extradition
« Ces responsables politiques
[des États-Unis] continuent à échafauder des mensonges de toutes pièces afin de tromper les Américains »
LU KANG,
PORTE-PAROLE DU MINISTÈRE CHINOIS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.