La Tribune Hebdomadaire

« La culture du bon doit prendre le pas sur la celle de la promotion »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK CAPPELLI

ENTRETIEN

Franprix, l’enseigne de centrevill­e du groupe Casino, transforme depuis quatre ans ses 900 magasins pour en faire des « lieux de vie ». Une stratégie impulsée par son directeur général, Jean-Paul Mochet qui vient de publier (Débats Publics).

Affinité

Le modèle de l’hypermarch­é est-il obsolète!?

Je ne crois pas à la mort de l’hyper, au contraire. Le commerce alimentair­e a besoin de se réinventer pour répondre aux exigences du consommate­ur. Le système affinitair­e que je prône n’est pas propre au commerce de proximité, on peut l’appliquer dans un hyper avec des « shop in shop », des espaces de restaurati­on, etc. L’hyper a entamé une période de renaissanc­e, en particulie­r grâce au digital, en comprenant mieux le client. Récemment, on a touché à un tabou": il n’est pas interdit de fermer des hypers non rentables. Peut-être la distributi­on aurait-elle dû secouer ce tabou plus tôt. On n’a plus envie de passer des heures dans un hypermarch­é. En revanche, on veut y trouver des produits avec lesquels on se sent en affinité": bio, responsabl­e, local, équitable. Il faut adapter nos offres et aussi accélérer le passage aux caisses. La distributi­on doit assumer son rôle d’intermédia­ire entre les producteur­s, les marques et les consommate­urs. C’est pourquoi nous devons comprendre ce que veut le client. D’où les corners non alimentair­es et les univers de marques dans les Géant Casino. La culture du bon doit prendre le pas sur la culture de la promotion. Nous sommes passés d’une ère où la stratégie de puissance était reine à une époque où le distribute­ur est devenu sélectionn­eur des produits qu’attendent les consommate­urs. Pour la proximité, on est passé d’un temps où on mettait un magasin par quartier à un temps où on met le quartier dans le magasin": la Poste, des dépôts pour le pressing, etc. Il existe aussi un mouvement vers l’hyper personnali­sation. On a envie de produits qui nous ressemblen­t, peutêtre pour des raisons différente­s. Et il faut répondre à toutes ces attentes": le même produit pour tout le monde c’est fini. C’est un vrai changement de paradigme.

Comment ce concept de commerce affinitair­e est-il né!?

Pour moi, le changement arrive quand on ne s’aime plus. Franprix était arrivé à un point d’obsolescen­ce. Il fallait changer, mais pour quoi"? Nous avons observé les jeunes génération­s, les tendances de consommati­on, les concepts à l’étranger. Et nous avons compris que ce qu’il fallait gagner, c’est cette affinité avec le client. Mais de façon durable, en transparen­ce, avec les clients et aussi avec les partenaire­s. Il faut par exemple comprendre la manière de travailler des petits producteur­s et accepter qu’ils puissent fournir 5 magasins et pas 900. Il faut aussi comprendre les enjeux environnem­entaux": nous allons par exemple tester une solution d’eau sans bouteille.

Comment ces changement­s vont-ils affecter les personnels des magasins!?

Je pense qu’on va très vite passer du job au métier. Le digital arrive, avec le paiement sur mobile qui va modifier le passage en caisse. Je compte embaucher des conseiller­s culinaires, des nutritionn­istes, des responsabl­es du lien social du quartier, un chef des services en magasins qui vont se démultipli­er, etc. La vraie différence avec l’e-commerce, ce n’est pas la proximité": Amazon est dans votre poche. C’est l’humain et la profession­nalisation des équipes qui feront la différence.

Les termes transparen­ce et éthique reviennent fréquemmen­t dans le livre. Business et morale sont-ils compatible­s!?

Oui, c’est faisable. Nous avons par exemple mis en place un partenaria­t avec des producteur­s de lait de l’Aveyron qui alimentent 900 points de vente et à qui on garantit un volume et un prix supérieur à la moyenne de 15 %. Nous l’avons également fait pour la farine, la bière, etc. Concernant la transparen­ce dans la compositio­n des produits, les gens regardaien­t très peu les informatio­ns, seule l’étiquette prix comptait. Aujourd’hui, on sait que le dioxyde de titane est nocif, ce qui conditionn­e le choix du consommate­ur. La transparen­ce se fait sur toute la chaîne de production. Les gens veulent savoir où, par qui et comment ça a été fabriqué, et quelle est la provenance": française, européenne ou importé du bout du monde. L’arrivée d’outils comme la blockchain va nous permettre de remonter toute la chaîne. Nourrir sainement les gens est une vraie opportunit­é pour la distributi­on.

Où en sera la grande distributi­on dans dix ans!?

Le commerce de demain est train de s’inventer. Nous aurons des commerces hybrides. Il y aura plus de services, et la qualité primera sur le prix. La technologi­e (reconnaiss­ance visuelle, encaisseme­nt, gestion des stocks, robotisati­on) sera plus présente, et elle va permettre aux distribute­urs d’augmenter leurs marges sans répercuter la hausse sur le consommate­ur. Les data centers servent déjà à chauffer certains hypers Géant. Nous testons un robot nettoyeur pour décharger le personnel de cette tâche ainsi que le robot livreur autonome de la start-up Twinswheel qui porte les courses des personnes âgées jusqu’à leur domicile. Mais la valeur se fera surtout sur ce qui ne se vend pas. Comme les gamelles d’eau pour chien installées devant chaque magasin. Ou les pompes à vélo que nous sommes en train de déployer. Nous venons aussi d’ouvrir le premier bar à plats chaudsvega­navecBeend­hi(platsvégét­ariens prêts à cuisiner à base d’épices). Notre nouveaucon­cepts’appelleDar­win":noussommes en évolution permanente pour répondre aux désirs du client.

n« On est passé d’un temps où on mettait un magasin par quartier à un temps où on met le quartier dans le magasin : la Poste, des dépôts pressing, etc. »

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Comment alors réenchante­r l’hyper auprès des clients!?

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