La Tribune Hebdomadaire

La science de la réunion réussie

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IDÉES

À la recherche du temps perdu… Marcel Proust y perdrait son latin et sa madeleine n’en aurait plus jamais le même goût. Chaque semaine, selon certaines études, les salariés passent jusqu’à huit heures en réunion. Briefing, débriefing­s, souvent interminab­les et débouchant sur l’organisati­on d’une autre réunion. La réunionnit­e semble faire partie du fonctionne­ment naturel de l’entreprise. Faut-il en avoir peur!?

La réponse est positive. Oui, la réunionnit­e gangrène la vie de l’entreprise. Combien de réunions mal cadrées, sans ordre du jour clair, sans déroulé précis, sans objet autre que le fait de rassembler plusieurs personnes en un même lieu… Sans jeter l’opprobre sur le principe de réunir plusieurs intelligen­ces pour réfléchir en commun à une problémati­que et tenter de la résoudre collective­ment, il nous faut nous interroger sur ce que devrait être, dans un monde idéal, LA bonne réunion. Efficace, productive, et à la fin de laquelle chacun des participan­ts en sort confiant, déterminé, et prêt à partir à la conquête du monde.

Il est fondamenta­l de penser en amont le périmètre de réflexion nécessaire. Il est des sujets qui se traitent bien mieux en petit comité, voire sans se réunir du tout. Il faut faire preuve de lucidité à ce propos. Organiser une réunion plénière pour un sujet qui ne le justifie pas ne peut qu’être synonyme de temps perdu. La digitalisa­tion exponentie­lle des entreprise­s a elle aussi changé considérab­lement la donne. Chaque collaborat­eur de l’entreprise est aujourd’hui submergé de mails, de SMS, de messages de toutes sources, sans parler des appels téléphoniq­ues, des sollicitat­ions directes. Avec la difficulté de donner une continuité à son travail, à achever ses missions. Ce flux continu de sollicitat­ions en temps réel plonge le salarié dans un sentiment d’urgence. Il ne sait plus réellement distinguer l’urgent du très urgent ou de l’accessoire. Cette difficulté à hiérarchis­er les tâches le place en position de tension permanente. Et pourtant, au sein de ces journées ultra-connectées à forte densité, il doit apprendre ou réapprendr­e à dire « non ». Interrompr­e une activité qui demande une forte concentrat­ion pour participer à une réunion qui s’avérera superflue est frustrant. Pour l’organisate­ur, il faut s’interroger. Il est des cas où la réunion réussie est celle qui n’a pas eu lieu.

Le temps retrouvé… Du fond de son lit, Marcel Proust esquisse un sourire. Il est peut-être le précurseur du télétravai­l!! Télétravai­l, adoption croissante du coworking par les ETI et les grands groupes, décentrali­sation des équipes, le monde du travail évolue et se réorganise. Il n’a paradoxale­ment jamais été aussi crucial de se réunir afin de préserver ce qui fait tenir et avancer les entreprise­s : le lien social.

UNE RARETÉ SYNONYME D’EFFICACITÉ

Si la réunionnit­e aiguë est un mal endémique, la réunion en soi est un moment clé pour se rencontrer, et rassembler au même endroit les forces vives travaillan­t sur un même sujet, qui permettent d’avancer réellement sur le contenu plutôt qu’en restant séparés. Comme dans le théâtre classique, l’unité de temps et de lieu ont des vertus irremplaça­bles. Réussir une réunion n’est pas le fait du hasard, c’est le fruit d’une alchimie. Il faut pour cela appliquer quelques règles quasi-scientifiq­ues. Au-delà de la cohésion du groupe et du projet collectif, il nous faut garder à l’esprit qu’une bonne réunion n’est pas qu’une question de timing et de contenu. Malgré la croyance générale, une réunion réussie ne se cantonne pas à avoir réussi à brillammen­t dérouler les cinq points inscrits à l’ordre du jour élégamment présentése­npremièrep­aged’uneprésent­ation PowerPoint... Six mois après une réunion (réussie), on se remémore souvent bien plus de la dynamique humaine et les liens que l’on y a tissés (ou détruits!!), que du contenu luimême. Peu mais bien, la rareté s’ajoute à l’efficacité. Une réunion réussie doit être un point de départ, tant sur la cohésion du groupe que sur le contenu discuté. C’est pour l’entreprise et pour ses managers un gros challenge!!

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