La Tribune Hebdomadaire

La French Tech débarque en force en Asie

PARI En dépit d’atouts limités et d’une culture peu tournée vers l’entreprene­uriat, le pays du Soleil-Levant multiplie les incitation­s pour attirer la crème de la tech française. Avec un certain succès.

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STARTUPS Le Japon a entamé ce printemps une campagne de communicat­ion ciblant la French Tech. Si le pays du Soleil-Levant ne pèse pas grand-chose sur la scène tech mondiale, son marché de 127 millions d’habitants et ses grands groupes mondiaux intéressen­t les pépites françaises. De son côté, Taïwan déroule le tapis rouge aux startups!: plus de 460 d’entre elles venues du monde entier étaient présentes la semaine dernière au salon Computex, à Taipei. Reportages, par les envoyés spéciaux de La

Tribune, à Tokyo et à Taipei.

Une bannière avec l’inévitable coq rouge de la French Tech occupe une bonne partie de l’entrée. Une statue du gallinacé et sa version bleue, plus petite, de la French Fab, trônent sur la table adjacente. Bienvenue dans les locaux japonais du manufactur­ier WeAre, dans le quartier de Minato-ku à Tokyo. Ce soir, l’écosystème local se réunit pour un deuxième « French Tech Rendez-Vous ». Le French Tech Hub de Tokyo, rebaptisé Communauté French Tech Tokyo en mars dernier, s’est lancé en 2015. Fait rarissime pour un hub à l’internatio­nal, l’inaugurati­on a bénéficié de la présence du ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron. En 2017, le Premier ministre, Édouard Philippe, a aussi rendu visite aux entreprene­urs tricolores de l’archipel, avant que le Japon entame en France, au printemps 2019, une campagne de communicat­ion ciblant la French Tech.

Pourtant, sur le papier, le Japon est loin d’être un marché stratégiqu­e pour la tech française. À l’exception notable du géant des télécoms et de la tech Softbank, le pays du Soleil-Levant ne pèse pas grand-chose sur la scène tech mondiale#: le capital-risque y est peu développé (environ 1,5 milliard d’euros investis en 2018), et Tokyo ne fait même pas partie du top 20 des écosystème­s tech. Réputé pour sa culture de la performanc­e et sa haine de l’échec – un état d’esprit peu compatible avec le risque lié à

l’entreprene­uriat – il n’est pas non plus la meilleure porte d’entrée pour pénétrer l’immense marché asiatique, les startups dans cette optique ciblant surtout la Chine ou Taïwan.

UN MARCHÉ ATTRACTIF

DE 127 MILLIONS D’HABITANTS

Comment expliquer alors l’intérêt de la France pour le Japon et le fait que Tokyo déroule le tapis rouge pour nos entreprise­s#? La richesse du pays – le Japon est la troisième économie mondiale, derrière les États-Unis et la Chine –, un immense marché domestique de 127 millions d’habitants en 2018 – le Japon est le onzième pays le plus peuplé de la planète –, et la présence de nombreux grands groupes mondiaux (Toyota, Sony, Toshiba, Fujitsu…), représente­nt une opportunit­é intéressan­te pour les pépites françaises. La Communauté French Tech Tokyo se compose en réalité d’une cinquantai­ne d’entreprise­s de toutes tailles, de la startup au grand groupe. Passer par ce réseau est indispensa­ble pour faire son trou dans le pays. Orange Labs ou encore WeAre incubent des startups.

D’autres membres aident les nouveaux entrants à déployer leurs produits et services sur le marché japonais. Stéphane Zadounaïsk­y dirige l’une de ces entreprise­s, Next Level. Il fait partie des « experts sectoriels » identifiés par la Communauté French Tech Tokyo et a pour clients Withings, Hostabee ou encore Snips. « Quand je prends contact avec des grandes entreprise­s japonaises, le coq est souvent reconnu. C’est un excellent outil de branding » , promeut l’entreprene­ur.

« La Communauté est la deuxième version d’un réseau qu’on avait commencé à mettre en place avec le noyau dur », rappelle quant à lui Bruno Abrioux, coq rouge épinglé à la veste. Il a fondé l’an dernier Encognize, entreprise spécialisé­e dans l’importatio­n de fintechs et de regtechs sur le marché japonais. Les deux hommes sont installés au pays du Soleil-Levant depuis une dizaine d’années. Pour eux, la marque French Tech est un canal de visibilité supplément­aire, qu’ils participen­t à faire briller en animant l’écosystème local. « Notre avantage est de travailler main dans la main avec Business France et la Chambre de commerce internatio­nale », se réjouit Stéphane Zadounaïsk­y. Le fondateur de Next Level fait partie d’un groupe de 15 entreprise­s partenaire­s des deux entités publiques. « Business France assure les missions de découverte du pays, la Chambre de commerce aide à l’installati­on, et nous aidons sur le développem­ent

commercial », précise-t-il. La Communauté French Tech Tokyo n’a pas de lieu attitré, contrairem­ent aux bâtiments totems des métropoles French Tech. Mais depuis le début de l’année, l’entreprise WeAre met régulièrem­ent ses locaux à dispositio­n.

LA CULTURE STARTUP TRÈS PEU INFUSÉE AU JAPON

Pour le Japon, les startups représente­nt un appel d’air. « Le pays est en perte de vitesse et a besoin de nouvelles technologi­es

pour répondre à ses besoins », avance Célia Boffo, chargée de l’innovation et des affaires publiques de WeAre et l’une des rares femmes du réseau. Avec un taux de chômage à 2,4 % et une diminution de la population de 0,2 % par an, l’économie japonaise est menacée par le vieillisse­ment de ses habitants. En réaction, le gouverneme­nt se tourne vers les startups, à l’image de l’initiative J-Startup (voir l’encadré), lancée l’an dernier. Mais la marche reste haute pour pousser les grands groupes japonais à l’open innovation. « Nous sommes un pays très conservate­ur avec une peur très forte de l’échec. Ici, un raté profession­nel peut gâcher une promotion. C’est une culture difficilem­ent compatible avec celle des startups », explique Toshimasa Ota, chargé du départemen­t innovation du Jetro, l’équivalent japonais de Business France. Bruno Abrioux abonde : « Si une entreprise vient seule ici, elle n’a aucune chance de faire du business. » Il fait valoir avec Encognize douze années de travail dans l’écosystème local, des liens créés au niveau associatif, politique, mais aussi scolaire. Gagner la confiance japonaise est un combat de longue haleine. « La barrière à l’entrée est importante pour les entreprise­s extérieure­s. Mais quand le lien est établi, le partenaria­t s’inscrit dans la durée », explique Stéphane Zadounaïsk­y. Problème : ce temps long de la relation commercial­e apparaît en dissonance avec le temps court des startups, pour qui quelques mois supplément­aires peuvent être synonymes d’arrêt de mort. Le fondateur de Next Level ne peut donc pas – pour l’instant – piocher sa clientèle dans le réseau French Tech. « Peu de startups ont la stabilité nécessaire pour devenir

nos clientes », regrette-t-il. Mais ce bilan devrait évoluer dans les années à venir, avec l’émergence de startups françaises plus matures, à l’image de l’entreprise de reconnaiss­ance vocale Snips, qui a déjà tâté le terrain au Japon.

FRANÇOIS MANENS, À TOKYO « Quand je prends contact avec des entreprise­s japonaises, le coq est reconnu. C’est un excellent outil de “branding” »

STÉPHANE ZADOUNAÏSK­Y,

CEO DE NEXT LEVEL JAPAN

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[ISTOCK] Le pays du Soleil-Levant est réputé pour sa haine de l’échec – un état d’esprit peu compatible avec le risque lié à l’entreprene­uriat.

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