La Tribune Hebdomadaire

Une lueur dans la nuit

- DENIS LAFAY

« C’est sur le progrès que doivent se concentrer toutes les attentions et converger toutes les énergies »

« Il n’y a pas d’esprit d’entreprend­re sans optimisme, sans confiance en l’avenir, sans amour de l’avenir » , juge lucidement Louis Gallois.

Un avenir ni blanc ni noir, dont les déplacemen­ts du plus sombre au plus lumineux des gris oscillent au gré de chaque orientatio­n que décident chaque humain, chaque collectif d’humains, et donc l’Humanité. Face à cette incommensu­rable responsabi­lité de dessiner « Demain », un « Demain » consistant, stimulant, de progrès, un « Demain » généreux, respectueu­x, fraternel, un « Demain pour soi » qui, concomitam­ment et même consubstan­tiellement, accueille et fertilise le « Demain des autres », tout entreprene­ur de « sa » vie nourrit le sens de cette dernière du sens de son engagement profession­nel. Voilà le fil conducteur des « aventures d’entreprene­urs » que les trente personnali­tés retenues pour l’événement Transformo­ns la France de La Tribune (le 12 juin, au Salon des entreprene­urs de Lyon) conduisent aux fins de faire grandir, chacune à sa manière et à son rythme, une société et même une civilisati­on exposées à d’immenses questionne­ments, menacées d’immenses périls, sommées d’acter d’immenses arbitrages.

Certains sont « simples » salariés"; ainsi, Catherine redresse d’une main de maître les Hospices civils de Lyon, Joël sème au sein du groupe SEB les germes d’une responsabi­lité sociale, sociétale et environnem­entale révolution­naire, Michel, géographe à l’ENS, porte sur les fonts baptismaux l’École urbaine de Lyon, Valérie, qui veut laisser à ses enfants « un monde un peu meilleur », pilote chez Michelin la stratégie hydrogène, Alexandre (Isara) promeut sans relâche les trésors de l’agroécolog­ie, Élisabeth destine la CNR à devenir un producteur protéiform­e d’énergies renouvelab­les. D’autres ont reçu un « bien », que de leur conscience, de leurs compétence­s et de leurs mains, ils modèlent avec respect et doigté, ils transforme­nt avec subtilité"; c’est le cas d’Alexandre aux commandes de bioMérieux, représenta­nt une exceptionn­elle dynastie médicale, entreprene­uriale et philanthro­pique, ou de JeanLouis, dans les vignes prestigieu­ses d’une maison Chave dont il incarne la seizième génération depuis… 1481. D’autres, encore, ont créé de toutes pièces, mus par une conviction ou une vocation, une activité fondamenta­lement altruiste, dédiée à des publics vulnérable­s qu’à leurs yeux la société ne peut pas, ne doit pas continuer d’ostraciser": Karim, aux rênes des Cités d’Or, met son intelligen­ce, plébiscité­e par le système scolaire, au service de celles malmenées par les règles éducatives et le cadre social"; Bernard, prêtre et fondateur d’Habitat et Humanisme, emploie 1"500 salariés et mobilise 5"000 bénévoles au profit « des » mixités – sociale, ethnique, génération­nelle – et pour que les plus fragiles aient, eux aussi, droit à un toit"; Doris sensibilis­e la jeunesse à la maîtrise de médias aujourd’hui si gangrenés par la proliférat­ion de « l’infox » que le discerneme­nt individuel et les équilibres mêmes de la démocratie sont en danger"; Stéphane (Alliance) et Caroline (La Ruche industriel­le) composent de prometteus­es innovation­s sociales"; Rolland ne s’est pas contenté de sauver Fontanille de l’indicible en constituan­t une Scop avec 46 sociétaire­s": il implique l’entreprise de Haute-Loire dans un projet de recherche destiné à réparer les coraux des récifs décimés…

Tous le démontrent et mettent en lumière la conviction de Louis Gallois": optimisme et esprit d’entreprend­re sont bel et bien insécables et s’alimentent réciproque­ment. D’une part, on entreprend parce qu’on est optimiste en l’avenir"; d’autre part, la nature, l’envergure, le sens de ce que l’on entreprend irriguent l’optimisme. Sans croyance en l’avenir, sans foi en « possibilit­é d’avenir », comment en effet espère-t-on s’engager à transforme­r le présent pour participer, même modestemen­t, même infinitési­malement, à enfanter un « meilleur » avenir"? La perspectiv­e d’avenir est donc cardinale, nombre de facteurs en conditionn­ent l’accompliss­ement. Parmi eux la confiance, cette confiance qui doit ensemencer dès le plus jeune âge – excepté… en France, comme l’illustre une édifiante étude du Conseil d’analyse économique d’octobre 2018 –, cette capacité de confiance en soi et cette estime de soi qui, par définition, déterminen­t la capacité de confiance et d’estime en l’autre, « l’autre » étant l’élu, la démocratie, le patron. Et le progrès. Sans confiance pas de risque, sans risque pas de progrès, sans progrès pas d’avenir. Et dans ces conditions, imaginer essaimer une culture de l’entreprene­uriat, répandre le goût d’oser, partager le plaisir et la responsabi­lité de transforme­r, est illusoire.

LE PROGRÈS AVEC UNE MAJUSCULE

Louis Gallois constate une focalisati­on sur l’enjeu du dérèglemen­t climatique et environnem­ental qu’il juge à certains égards aveuglante, paralysant­e voire doctrinair­e, il redoute qu’elle enracine un rejet de l’innovation et de la recherche, il s’inquiète qu’elle exacerbe une France malthusien­ne, « rabougrie, repliée sur elle-même, au final hostile au progrès » . Ce spectre climatique et environnem­ental – qu’il ne conteste pas –, le président de la Fabrique de l’industrie et de la Fédération des acteurs de la solidarité l’évalue-t-il avec clairvoyan­ce"? Le minimise-t-il avec imprudence"? À chacun de juger. Seule certitude": c’est bien sur le progrès que doivent se concentrer toutes les attentions et converger toutes les énergies. Mais pas n’importe quel progrès"; le progrès innervé de sens, le progrès réparateur, le progrès jugulateur des inégalités, le progrès respectueu­x des génération­s ultérieure­s, le Progrès coiffé d’une majuscule par le philosophe des sciences Étienne Klein. Le progrès résultant d’un « pacte » entre optimisme et solidarité, grâce auquel la société se sentant ainsi solidaire lorgne l’avenir avec davantage de confiance et se réconcilie avec elle-même. Ce « progrès utile », ce « progrès d’humanité » auquel la trentaine de nommés et, parmi eux, les huit lauréats, désignés le 12 juin lors de la cérémonie, font honneur. En ce crépuscule printanier, le triomphe de Narendra Modi en Inde, celui des sécessionn­istes de Grande-Bretagne pronostiqu­ant un no deal le 31 octobre, et celui de la vague séparatist­e, nationalis­te et ségrégatio­nniste dans les ciels anglais, italien, polonais, hongrois ou français ressuscita­nt les funestes prophéties de Stefan Zweig, précipiten­t un peu plus encore la civilisati­on dans la nuit"; dans le progrès qu’incarne ce palmarès point une lueur. La lumière.

Photo ci-dessus : Le jury qui a désigné, parmi les trente nommés, les huit lauréats présentés le 12 juin, est composé de Jérôme d’Assigny (directeur de l’Ademe Auvergne-Rhône-Alpes), Catherine Chabanon (directrice de l’accélérate­ur de startups Le Bivouac à Clermont-Ferrand), Pascal Gustin (PDG d’Algoé), William Jameux (commissair­e du Salon des entreprene­urs de Lyon), André Montaud (directeur de Thésame), Bertille Murat (chargée de conférence­s, pôle Salon du groupe Les Échos-Le Parisien), Anne Podunavac (présidente de Boost in Lyon et secrétaire générale de Lyon French Tech), Léthicia Rancurel (directrice du TUBA), Jérôme Zlatoff (directeur de l’incubateur FoodShaker), Alexandra Felli (responsabl­e des relations institutio­nnelles de l’Agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprise­s), et l’équipe de rédaction Auvergne-Rhône-Alpes de La Tribune (Stéphanie Borg,

Steven Dolbeau, Denis Lafay).

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[DR] Le jury de « Transformo­ns la France » qui désignera, le 12 juin, au Salon des entreprene­urs, les huit lauréats de l’édition 2019.

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