La Tribune Hebdomadaire

Jean-Louis Chave, l’artisan

- FLORA CHADUC

ANCRAGE Dresser le portrait de Jean-Louis Chave revient d’abord à aborder celui de sa famille. Les hommes, eux, prennent moins d’importance qu’un passé empreint d’histoires et d’une aventure viticole de seize génération­s.

La cave se situe sur la rive ardéchoise du Rhône, à Mauves. Les vignes qui confèrent la renommée de la famille Chave se trouvent, elles, sur la rive drômoise du fleuve, à Tain-l’Hermitage. En Ardèche ou dans la Drôme, Jean-Louis Chave regarde dans tous les cas vers ses vieux et majestueux coteaux viticoles. L’histoire commence en 1481 au-dessus de Tournon-sur-Rhône. Le seigneur de l’époque offre vigne et ferme à la famille Chave pour un « service rendu », dont plus personne ne se souvient. Après trois cents ans de viticultur­e, le phylloxéra, insecte ravageur, détruit le domaine. La famille Chave perd tout, mais gagne de ce fléau une capacité à se renouveler. « La famille a su traverser ces périodes difficiles. Rebondir pour moi, c’est savoir placer, stocker quand les années sont bonnes. Notre meilleure banque et assurance, c’est la nôtre », affirme Jean-Louis Chave. Se déplaçant dans la vallée, la famille Chave achète une première parcelle de grand cru de l’Hermitage. « Pour une famille paysanne, ce n’était pas imaginable d’accéder à ce coteau », commente le descendant de cette longue lignée de viticulteu­rs, qui garde aujourd’hui l’humilité, l’excellence et l’exigence comme maîtres mots. Constitué de 15 hectares d’hermitage et d’une quinzaine en saintjosep­h, le domaine Chave emploie une trentaine de personnes à l’année, une cinquantai­ne en saison. Parmi eux, des maçons qui entretienn­ent les tènements à la main, et des jardiniers chargés de façonner la vigne. « On reste dans la culture traditionn­elle en faisant les choses à la main, avec des chevaux et des treuils. Nous n’avons jamais utilisé de produits chimiques. On ne peut être que dans l’excellence. » Une manière de travailler mise en valeur sous l’impulsion de l’agricultur­e biologique, que le domaine pratique depuis toujours. « L’histoire se répète. Il y a quelques années, c’était vu comme un travail à l’ancienne et le bon viticulteu­r était celui qui connaissai­t la molécule chimique… Notre façon de faire redevient moderne, à un moment où celui qui utilise la chimie est vu comme le “mauvais” vigneron. »

TRANSMISSI­ON

Formé aux États-Unis, titulaire d’un MBA en finance avant d’être rattrapé par l’histoire familiale et d’étudier l’oenologie, Jean-Louis Chave ne peut pas échapper à un système d’entreprise, aux flux financiers, aux questions d’investisse­ment et de transmissi­on. Mais il garde de la distance : « On ne développe pas à outrance. Je ne suis jamais impression­né par un chiffre d’affaires ou le nombre de bouteilles produites, mais par la beauté, le plaisir d’un vin à maturité à la table d’un gastronome. Je n’ai pas le culte de la marque ou de l’ego. C’est une philosophi­e d’origine, une modestie liée à notre histoire. »

Passé de paysan vigneron à chef d’entreprise, il doit faire prospérer une vigne vivante pour pouvoir la transmettr­e. « Ce sont des objectifs différents d’un industriel qui peut vendre. Il faut être sûr que cette transmissi­on se fait avec du stock, une bonne terre, une histoire à poursuivre. » Ses deux enfants entrent alors dans le bureau. Chez les Chave, les génération­s se croisent mêlant passé, présent et futur.

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