Etudiants auto-entrepreneurs : un job d’un simple clic !
Des plateformes de pair à pair comme StaffMe, Student Pop ou Brigad proposent l’activité qui convient à chacun au moyen d’un algorithme. Un système loin d’être prêt à s’étendre à l’ensemble du marché du travail.
Un travail traditionnel, pour Clémence, non merci!! L’étudiante en troisième année d’école de commerce a fait le choix de l’auto-entreprena
riat : « Je préfère cette façon de faire, on choisit nos horaires, nos missions et
personne ne te donne des ordres. » La jeune femme, âgée de 20 ans, a lancé sa microentreprise en septembre dernier pour s’inscrire sur trois plateformes spécialisées dans les jobs étudiants : Side, Urb-it et StaffMe. Une stratégie qu’adoptent de nombreux étudiants, afin de mettre toutes les chances de leur côté pour décrocher le plus de missions possible et s’assurer des revenus réguliers.
En France, selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), 1,2 million de personnes ont déjà adopté le statut d’auto-entrepreneur. Parmi elles, combien d’étudiants!? Difficile de l’évaluer. L’Observatoire de la vie étudiante estime qu’en 2016, 52,3 % des jeunes de 18-25 ans exerçaient une activité rémunérée à côté de leurs études, sans préciser sous quel statut.
UN SYSTÈME DE NOTATION
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux à être attirés par les promesses de ces plateformes : des horaires flexibles et compatibles avec les études, mais surtout la liberté d’être son propre patron, avec des revenus intéressants (à partir de 12 euros de l’heure), sans besoin d’avoir la moindre expérience. Pour décrocher le job, il suffit d’un clic,
accepter ou refuser la « mission », aussi simple que de répondre à un texto. Pour recruter, ces plateformes affirment recourir à des algorithmes
neutres et équitables. « Un peu comme sur un site de rencontres, on fait “matcher” les offres et les profils des “staffeurs”. On a renversé le paradigme pour candidater à un job. Plus besoin de déposer vos CV ou de postuler à des offres, ce sont elles qui viennent à vous », explique Jean-Baptiste Achard cofondateur de StaffMe.
La startup créée en 2016, compte 50!000 étudiants dont 50 % d’actifs (au moins une mission acceptée par mois) pour 2!500 entreprises. « Notre algo
rithme est fondé sur du machine lear
ning c’est-à-dire qu’il s’adapte tout le temps pour choisir les bons critères pour que les missions soient “bookées”
le plus vite possible » , détaille le fondateur. L’algorithme prend en compte les différentes catégories de missions proposées (serveur, agent d’accueil, télémarketing, déménagement, secrétariat, etc.) et opère son choix dans sa base de « staffeurs » en fonction de plusieurs critères : la notation de la plateforme lors de l’entretien préalable à l’inscription, la note de l’entreprise et la localisation. Un mode de calcul présenté comme plus efficace et plus objectif que la sélection opérée par des humains. « L’algorithme se présente comme une technologie neutre, à l’image d’une “main invisible” qui vient coordonner de manière naturelle les mécanismes du marché », analyse Sophia Galière, chercheuse en sciences de gestion, spécialiste des plateformes de travail comme Uber ou Deliveroo. Mais « il faut toujours garder à l’esprit que la plateforme est conçue par des humains. Ce sont eux qui déterminent les critères pris en compte par l’algorithme », souligne-t-elle.
Derrière ce système de gestion RH, en apparence bien rodé grâce aux algorithmes, la plateformisation du marché du travail apporte son lot de biais et de contraintes : désorganisation, manque d’interlocuteurs et surtout une forte dépendance à l’algorithme. Lorsqu’un étudiant cesse de répondre aux offres de missions, « l’algorithme
nous fait la gueule » résume Clémence. L’étudiante regrette également le manque de liens humains. « Il est très compliqué d’avoir quelqu’un au téléphone.Onnepeutcommuniquerquepar courriel. En cas d’urgence, on en vient à dire, sur leur serveur vocal, qu’on est une entreprise pour espérer leur parler », s’agace-t-elle.
Des défauts que reconnaissent certains spécialistes du secteur. Selon Alexandre Pachulski, cofondateur de Talentsoft, entreprise dédiée au développement de logiciels RH, nous sommes encore loin d’être tous voués
aux algorithmes pour décrocher un
job. « Cette peur de voir les RH disparaître et les profils choisis par la machine est de l’ordre du fantasme. Le but c’est plutôt de coacher les algorithmes pour qu’ils deviennent les assistants des DRH », assure ce professionnel. Pour lui, l’enjeu des années à venir sera « d’avoir pleinement conscience que tout concepteur d’algorithme y introduit des biais qui orientent les résultats sortis par la machine ». L’humain serait donc toujours indispensable pour guider les algorithmes, qui ne parviendront pas demain à la pleine autonomie.
DES CRITÈRES IMPARABLES DIFFICILES À ÉTABLIR
Un avis partagé par Ouriel Darmon, cofondateur de la plateforme Student Pop, qui compte 12!000 étudiants actifs. « La façon de se présenter, l’empathie, le dynamisme, ce sont des qualités humaines qui ne peuvent être jugées que par des humains. On utilise l’algorithme pour dispatcher les missions, mais pour la sélection et l’accompagnement on a encore besoin de l’hu
main. » Ces plateformes de travail pour étudiants ne peuvent en effet déléguer entièrement la sélection à une machine. Difficile d’établir des critères imparables pour trouver le bon serveur, le meilleur distributeur de flyers ou l’agent d’accueil idéal, car pour ces jobs, ce ne sont pas tant les années d’études qui comptent que le sourire ou la motivation. Un feeling que l’algorithme ne sait pas encore prendre en compte.
Ces plateformes 2.0 sont loin de révolutionner le monde du travail et de bouleverser le marché des petits boulots étudiants, car cette plateformisation est loin de concerner tous les jobs. Les cibles de ces plateformes restent les startup ainsi que les moyennes et grandes entreprises situées dans des villes importantes, autrement dit, là où se concentrent les offres et les demandes.
Jusqu’à présent, les postes de vendeur dans une boulangerie ou de caissier dans le supermarché du coin, ne figurent pas dans les missions proposées par ces plateformes. « Je constate dans mes recherches que les jobs classiques, les modes de recrutement traditionnels et le turn-over important subsistent encore », déclare Vanessa Pinto, sociologue et auteure de À l’École du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots » (PUF, 2014, 350 pages, 22,99 euros). Qu’ils soient recrutés par la plateforme ou directement par l’artisan, dans les deux cas, observe Vanessa Pinto, « ces étudiants sont dans une logique du provisoire, c’est-à-dire qu’ils exercent cette activité de façon détachée et temporaire ».
De fait, les aspirations de ces étudiants inscrits sur ces plateformes restent très classiques : l’obtention d’un CDI est toujours perçue comme le Graal. « Une fois diplômé j’aurai sûrement un travail classique. Car le but de ce genre de plateforme n’est pas de transformer tout le monde en auto-entrepreneur mais juste de gagner un peu d’argent et
d’acquérir de l’expérience », conclut Édouard, étudiant en école de commerce. Pour lui, comme pour de nombreux autres jeunes, ces jobs représentent surtout un premier pas dans le monde professionnel.
« Cette peur de voir les RH disparaître et les profils choisis par la machine est de l’ordre du fantasme »
ALEXANDRE PACHULSKI,
COFONDATEUR DE TALENTSOFT