La Tribune Hebdomadaire

Le Grand Paris a du mal à tenir ses promesses

BILAN Dix ans après leur lancement, le super-métro et les programmes d’aménagemen­t ont pris du retard. La densificat­ion urbaine, pourtant indispensa­ble face à la flambée des prix dans la métropole, patine aussi.

- CÉSAR ARMAND

BILAN Dix ans après leur lancement, le super-métro et les programmes d’aménagemen­t ont pris du retard. La densificat­ion urbaine, pourtant indispensa­ble face à la flambée des prix dans la métropole, patine aussi.

La Tribune organise mardi 25 juin le Sommet du Grand Paris à la Grande Arche de La Défense.

« !V os successeur­s n’ont pas été au rendez-vous!! Ils ont réduit le Grand Paris à une strate administra­tive supplément­aire et à un grand métro certes indispensa­ble mais qui accumule les surcoûts et les retards. » Le 3 mai dernier, sous le sceau du dixième anniversai­re du Grand Paris, la présidente du conseil régional d ’ Î l e - d e - F r a n c e Val é r i e Pécresse, qui rêve matin, midi et soir de supprimer la métropole du Grand Paris, interpelle son invité d’honneur : Nicolas Sarkozy. En réponse, ce dernier s’amuse de la situation : « Vous voyez la force du Grand Paris!? Même mon successeur n’a pas réussi à le défaire!! »

UN SURCOÛT DE 15 MILLIARDS D’EUROS

Certes avec la loi portant sur la nouvelle organisati­on territoria­le de la République (NOTRe), François Hollande a fait naître la métropole du Grand Paris en 2016, une institutio­n de plus entre les départemen­ts et le conseil régional, mais en matière de gouvernanc­e, l’actuel locataire de l’Élysée n’a pas non plus pris cet écueil à brasle-corps. Pourtant, peu après son élection, Emmanuel Macron promettait de « simplifier drastiquem­ent les structures » . Devant le Sénat le 17 juillet 2017, il déclarait en effet que « l’idée du Grand Paris mérite mieux que ce que nous en avons collective­ment fait!! » Force est de constater que deux ans se sont écoulés et que… le problème n’a toujours pas été résolu. Et pourtant, il continue d’annoncer qu’il va s’exprimer sur le sujet. Le 24 mai dernier, devant les architecte­s lauréats du Pritzker Price, il a promis d’y revenir « dans quelques semaines », en sortant « des débats institutio­nnels sans issue ».

Quant au super-métro, nier « les surcoûts et les retards » évoqués par Valérie Pécresse serait de la mauvaise foi. Il y a dix ans, le coût estimé s’élevait à 20 milliards d’euros, alors qu’actuelleme­nt, le chiffre de 35 milliards est avancé. Au minimum… La Société du Grand Paris, l’établissem­ent public d’État chargé de construire le Grand Paris Express, bénéficie de prêts de la Banque européenne d’investisse­ment et de la Caisse des dépôts, et reçoit bon an mal an 500 millions de recettes fiscales, sous forme de taxes payées par les entreprise­s et les contribuab­les francilien­s, sans compter les nouvelles taxes votées fin 2018. Aujourd’hui comme il y a dix ans, Nicolas Sarkozy considère, pour sa part, que la question du coût est « mal posée » : « L’augmentati­on de la fréquentat­ion des transports en commun mieux adaptés générera des rentrées supplément­aires et diminuera considérab­lement le coût de la pollution générée par le trafic automobile. » En matière de délais, le gouverneme­nt a présenté en février 2018 un nouveau calendrier, selon ses termes, « réaliste, tenable mais extrêmemen­t tendu » avec un accent mis en priorité sur les lignes desservant les Jeux olympiques et paralympiq­ues de Paris 2024. Cet échéancier a été quelque peu modifié depuis cette date, mais il reste, dans l’ensemble, conforme à ces annonces.

En réalité, la première trace du Grand Paris dans les discours présidenti­els remonte au 17 septembre 2007. Lors de l’inaugurati­on de la Cité de l’architectu­re et du patrimoine au Palais de Chaillot, Nicolas Sarkozy déclare souhaiter que « nous réfléchiss­ions, au-delà des clivages des uns et des autres à un nouveau projet d’aménagemen­t global du Grand Paris » . Il propose alors que « huit à dix agences d’architecte­s puissent travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistiq­ue et paysager sur le Grand Paris à l’horizon de v i ngt, t r e nt e v o i r e q uarante ans » , leur demandant « une réflexion globale, approfondi­e et débouchant sur des solutions concrètes et d’envergure sur l’abord des villes » . Le célèbre discours sur le Vrai, le Beau, le Grand et le Juste date, lui, du 29 avril 2009. À la différence de son allocution prononcée un an et demi plus tôt, le président de la République d’alors y affirme « l’ambition du Grand Paris » . Parmi les exhortatio­ns clés, il y est question de « rompre avec le fonctionna­lisme qui a fait tant de dégâts dans nos villes en spécialisa­nt et en séparant là où il aurait fallu au contraire mélanger et réunir » . Sur ce point, les concours d’urbanisme portés par la Ville et la métropole du Grand Paris ambitionne­nt de réintrodui­re de la mixité d’usages dans des endroits où il en manque cruellemen­t. En mars dernier, la première pierre du premier site du premier concours « Inventons la métropole » a ainsi été posée à la frontière de Pierrefitt­e-sur-Seine et de Stains (Seine-Saint-Denis). La foncière Atland y construit 25%000 mètres carrés en ossature bois, dont 5%000 d’espaces verts, des bureaux et un centre de R&D pour Engie Lab Crigen lui-même composé de laboratoir­es et de halls d’essais.

UNE AUTRE APPROCHE DE LA DENSIFICAT­ION

Par ailleurs, dans cette allocution d’il y a dix ans, Nicolas Sarkozy défendait Le Havre (ville de l’actuel Premier ministre, Édouard Philippe) comme port du Grand Paris, estimant que la Seine constitue « l’axe nourricier autour duquel la métropole à vocation à s’ordonner » . Dans ce domaine, les choses avancent aussi… à leur rythme. Le 7 février dernier, la ministre des Transports Élisabeth Borne a chargé les directions des ports de Paris, Rouen, Le Havre de plancher sur la création d’un établissem­ent public portuaire unique au 1er janvier 2021. D’ici à septembre, elles doivent proposer un projet stratégiqu­e pour 2020-2025 ainsi qu’une trajectoir­e financière sur cinq ans. En termes de densificat­ion de la ville, là encore, cela bouge doucement mais sûrement. À la Cité de l’architectu­re et du patrimoine, Nicolas Sarkozy s ’ e x c l a mait : « On p e u t construire haut, on peut c o n s t r ui r e b a s , o n p e ut construire petit ou construire grand pourvu que ce soit beau. Pourquoi s’interdire de bâtir des tours si elles sont belles, si elles s’inscrivent harmonieus­ement dans le paysage urbain!? » Lauréat de la consultati­on internatio­nale sur le Grand Paris en 2008, l’Atelier Castro Denissof Associés réfléchit avec le promoteur Nexity à la notion d’« Habiter le ciel », mais il a fallu attendre plus de dix ans pour qu’une commune accepte un tel projet. Ce n’est que le 11 février dernier qu’a été inaugurée à Aubervilli­ers la tour Emblématik, un immeuble de 18 niveaux mesurant 54 mètres. Tous les quatre étages, ont été installés des jardins partagés de dix mètres de haut offrant des vues sur la butte Montmartre, la Défense et la Plaine Saint-Denis et comportant chacun une petite parcelle. Vus du sol, les poteaux qui soutiennen­t les planchers et les plafonds de ces espaces verts ressemblen­t à des arbres. Entre-temps, entre juin et septembre 2018, l’architecte de cette tour, Roland Castro, a été missionné par le président Macron pour donner de la chair au projet du Grand Paris (lire aussi l’entretien page 26). Depuis, le chef de l’État a fait sienne la formule « Paris en grand » en déclarant, durant le Grand débat national de l’hiver dernier : « Je crois plus au Paris des grands projets qu’au Grand Paris des compétence­s et du millefeuil­le. » La boucle est bouclée.

« Pourquoi s’interdire de bâtir des tours si elles sont belles, si elles s’inscrivent harmonieus­ement dans le paysage urbain#? »

NICOLAS SARKOZY

LORS DE SON DISCOURS FONDATEUR SUR LE GRAND PARIS, LE 17 SEPTEMBRE 2017

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[SIPA] DANS LEUR VISEUR, LA MÉTROPOLE DU GRAND PARIS Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, et Nicolas Sarkozy critiquent la gouvernanc­e du projet, qu’Emmanuel Macron assure vouloir simplifier.

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