La Tribune Hebdomadaire

La mobilité sera inclusive ou ne sera pas !

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IDÉES

Dans la France du xxie siècle, 7 millions de personnes rencontren­t des difficulté­s pour se déplacer quotidienn­ement (source$: Laboratoir­e de la mobilité inclusive). Un quart des actifs et la moitié des personnes en insertion ont ainsi dû renoncer à une offre d’emploi ou à une formation faute de moyen de transport pour s’y rendre. Quant aux seniors, ils voient leur mobilité se réduire avec l’âge$: 11 % des personnes de plus de 75 ans ne peuvent même pas se déplacer une fois par mois.

Cette incapacité à se déplacer et plus largement à accéder à un ensemble de services (emploi, santé, services publics…), notamment en zone rurale, a été l’un des ferments du mouvement des « gilets jaunes ». Malgré la résilience de ces personnes, leur capacité à s’entraider ou à innover à une échelle ultra-locale (covoiturag­e solidaire, livraison à domicile…), ce phénomène entraîne sentiment de déclasseme­nt et sentiment d’inégalité territoria­le.

La profusion d’offres de mobilité, notamment dans les zones urbaines, ne facilite pas pour autant leur accès. La preuve$: dans Paris intra-muros, alors que l’offre de transports est incroyable­ment abondante et variée, pour les publics les plus exclus, un accompagne­ment, une formation, un contact humain sont nécessaire­s. Nos vingt ans d’expérience dans l’accompagne­ment à la mobilité nous ont permis de comprendre que les difficulté­s d’accès à la mobilité sont complexes et souvent composées de plusieurs freins. L’aspect cognitif ou psychosoci­al, bien qu’invisible, est présent pour une grande partie des personnes en difficulté que nous accompagno­ns$: 20 % de nos bénéficiai­res ne savent pas lire un plan de transports par exemple. Contrairem­ent à une idée reçue, la mobilité inclusive ne concerne donc pas que les territoire­s ruraux ou fragiles. Les grandes villes sont aussi paradoxale­ment très concernées : 32 % des résidents de l’agglomérat­ion parisienne déclarent avoir renoncé à se rendre dans un lieu inconnu par incapacité à construire leur itinéraire. Voilà pourquoi la formation à la mobilité et à l’accompagne­ment des plus vulnérable­s doit se composer d’actions d’émancipati­on individuel­le et d’inclusion sociale et profession­nelle.

La capacité à se déplacer n’est pas innée$: elle peut et doit s’apprendre. Nous accompagno­ns plus de 12$000 personnes chaque année vers une solution de mobilité adaptée et vers des droits auxquels ils peuvent prétendre. Sur l’ensemble du territoire, les tarificati­ons solidaires ont actuelleme­nt un taux de non-recours proche de 60 %, parce qu’elles sont méconnues et parce qu’elles ne sont pas toujours bien ciblées. L’accès facilité au permis de conduire est une bonne idée pour certains, mais à quoi bon orienter certaines personnes vers une solution qui ne leur permettra pas d’atteindre une réelle autonomie$? Parmi nos bénéficiai­res par exemple, à peine 1 % sera ensuite en mesure d’acquérir et d’entretenir un véhicule. L’inégalité face aux questions de mobilité réside aussi dans une mauvaise compréhens­ion des problèmes auxquels sont confrontés les plus fragiles de notre société. Le droit à la mobilité instauré par la LOM n’aura de sens que s’il s’agit d’un droit réel pour tous, y compris les personnes les plus fragiles. L’expérience montre en effet que les solutions de mobilité créées pour les publics fragiles finissent par bénéficier à tous. Le droit à la mobilité sera inclusif ou ne sera pas.

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[ISTOCK] Sept millions de personnes rencontren­t des difficulté­s pour se déplacer quotidienn­ement. Le projet de loi sur les mobilités était ce mois-ci au programme de l’Assemblée nationale.
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FLORENCE GILBERT, DIRECTRICE GÉNÉRALE WIMOOV

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