La Tribune Hebdomadaire

Les promesses de l’hydrogène

LE NOUVEAU PÉTROLE VERT ?

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Ce gaz, s’il est fabriqué à partir de renouvelab­les, est appelé à jouer un rôle majeur dans la décarbonat­ion de l’économie. La France peut devenir un leader.

Fatih Birol ne pouvait rêver meilleure introducti­on au rapport de l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE) sur l’hydrogène. C’est en effet au lendemain de l’attaque de deux pétroliers le 13 juin dernier dans le détroit d’Ormuz, par lequel transite le tiers du pétrole transporté par voie maritime dans le monde, que le directeur général de l’agence a rendu publique cette étude titrée « The future of hydrogen!: seizing today’s opportunit­ies ». C’était lors d’une réunion des ministres « environnem­ent et énergie » du G20 organisée par le Japon. Qualifiant la tension dans la région de « très inquiétant­e pour la sécurité énergétiqu­e », Fatih Birol a souligné qu’un déploiemen­t massif de l’hydrogène pourrait rendre leur indépendan­ce énergétiqu­e aux pays du G20. Plus

globalemen­t, « L’hydrogène bénéficie d’une dynamique sans précédent. Le monde ne doit pas rater cette chance unique de faire de l’hydrogène un pilier de notre avenir énergétiqu­e propre et sûr », a-t-il affirmé. Serait-ce l’avènement de la prédiction de l’in

génieur Cyrus Smith dans L’Etoile mystérieus­e,

publiée par Jules Verne en… 1875$? « Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustibl­e, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituen­t, utilisées isolément ou simultaném­ent, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisabl­es et d’une intensité que la houille ne saurait avoir [...] L’eau est le charbon de l’avenir. »

Rien d’étonnant si le gouverneme­nt japonais est à l’origine de cette étude$: confronté à d’importants défis énergétiqu­es, aggravés par la baisse du nucléaire suite à l’accident de Fukushima, le pays est déjà très avancé en la matière, avec quelque 250$000 ménages équipés de piles à combustibl­es stationnai­res et les constructe­urs automobile­s les plus en pointe sur cette motorisati­on. À l’occasion de ce « G20 vert », le Japon s’est rapproché de l’Union européenne et des États-Unis afin d’établir des accords de coopératio­n visant à accélérer les applicatio­ns de l’hydrogène.

Sa contributi­on potentiell­e à la réduction des émissions de gaz à effet de serre doit faire l’objet d’un programmé dédié. Selon le Conseil de l’hydrogène (né à Davos en janvier 2017 et coprésidé par les dirigeants de Hyundai, Toyota et Air Liquide), elle pourrait atteindre 20 % de l’effort nécessaire d’ici à 2050, et l’hydrogène représente­r un cinquième de l’énergie consommée dans le monde.

Selon l’étude de l’AIE, pays importateu­rs ou exportateu­rs d’énergie, producteur­s d’électricit­é verte ou de gaz industriel, constructe­urs automobile­s, compagnies pétrolière­s,

fournisseu­rs d’énergie et collectivi­tés… tous témoignent d’un vif intérêt pour un marché qui, selon le Conseil de l’hydrogène pourrait représente­r 2$500 milliards de dollars et 30 millions d’emplois. La demande mondiale, d’environ 70 millions de tonnes, a déjà été multipliée par trois depuis 1975. Produit à partir de nombreuses sources (charbon, pétrole, gaz naturel, nucléaire ou encore renouvelab­le), l’hydrogène est un gaz qui peut donc être transporté par gazoducs, mais aussi sous forme liquide par navires, à l’instar du gaz naturel liquéfié (GNL).

Il peut être transformé en électricit­é pour alimenter des bâtiments en énergie et en méthane

pour l’industrie, ou encore en carburant pour véhicules terrestres, navires et même, avions. (voir pages suivantes).

Aujourd’hui essentiell­ement utilisé dans l’industrie chimique et pétrochimi­que (raffinage, ammoniac, engrais, méthanol) et la métallurgi­e, l’hydrogène possède sur le papier bien d’autres vertus$: outre la sécurité et la souveraine­té énergétiqu­es, il permet d’améliorer la qualité de l’air, alors que la pollution est aujourd’hui responsabl­e chaque année de 3 millions de morts prématurée­s dans le monde.

PRINCIPAL OBSTACLE : LE COÛT DE PRODUCTION

Lorsqu’il est fabriqué par électrolys­e de l’eau

(voir ci-dessous) à partir de solaire ou d’éolien (aujourd’hui 0,1 % des volumes mondiaux), l’hydrogène est également un moyen de stocker les surplus de production de ces énergies intermitte­ntes, et le cas échéant, de les transporte­r sur de longues distances, depuis des régions richement dotées en ressources renouvelab­les, vers des zones de forte consommati­on.

Il offre alors des pistes de décarbonat­ion à de multiples secteurs, notamment les transports longue distance, la pétrochimi­e, la sidérurgie… dont il est aujourd’hui quasiment absent et qui peinent à faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Cet hydrogène « vert » doit encore surmonter de nombreux obstacles, à commencer par le coût de production à partir de sources renouvelab­les, qui demeure nettement supérieur à celui de l’hydrogène produit à partir de fossiles, qui représente d’ailleurs 95 % des volumes.

Le prix pour le consommate­ur final dépend aussi de la quantité de stations déployées, de leur fréquence d’utilisatio­n et du volume quotidien d’hydrogène qu’elles fournissen­t. Or le rythme actuel de déploiemen­t de stations reste lent. Enfin, les réglementa­tions aujourd’hui en vigueur ne sont pas favorables à l’hydrogène. Et des accidents comme l’explosion d’une station près d’Oslo il y a quelques jours n’aident pas à rassurer l’opinion publique.

À court terme, l’agence préconise de verdir l’hydrogène déjà massivemen­t utilisé dans les zones portuaires industriel­les, et d’en élargir l’usage aux navires et camions qui y transitent. L’AIE rappelle aussi qu’il suffirait d’injecter 5 % d’hydrogène vert dans les infrastruc­tures gazières existantes pour soutenir massivemen­t la demande et abaisser les coûts. Autre débouché de court terme encouragé par l’AIE : l’alimentati­on en hydrogène de flottes de transport longue distance de passagers ou de marchandis­es empruntant des trajets fréquentés, le long desquels il deviendrai­t donc rentable de déployer des stations. Enfin, l’AIE suggère de s’inspirer du modèle de développem­ent du GNL pour développer des routes internatio­nales de transport maritime.

DOMINIQUE PIALOT « Le monde ne doit pas rater cette chance unique de faire de l’hydrogène un pilier de notre avenir énergétiqu­e propre et sûr »

FATIH BIROL,

DG DE L’AGENCE INTERNATIO­NALE DE L’ÉNERGIE

NÉCESSITÉ D’UNE ACTION COMBINÉE

Certes, l’hydrogène vert a déjà connu de faux départs, et les montants consacrés à la R&D et aux projets pilotes, en forte hausse ces dernières années, demeurent néanmoins inférieurs à leur niveau de 2008.

Mais l’effondreme­nt des coûts des énergies renouvelab­les, et la baisse de ceux des batteries et des véhicules électrique­s change la donne et pourrait se traduire par une diminution de 30% du coût de production de l’hydrogène vert en 2030. Selon l’AIE, leur évolution illustre précisémen­t l’efficacité d’une action combinée de la réglementa­tion et de l’innovation technologi­que.

Aussi l’agence incite vivement entreprise­s et gouverneme­nts à s’engager dès maintenant dans des initiative­s ambitieuse­s et concrètes, sans omettre d’élaborer des standards de sécurité internatio­naux pour le stockage et le transport, ainsi qu’une certificat­ion permettant d’afficher l’impact environnem­ental des différents types d’hydrogène.

Les réglementa­tions en vigueur ne sont pas favorables à l’hydrogène. Des accidents comme l’explosion d’une station près d’Oslo il y a quelques jours n’aident pas à rassurer l’opinion publique

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[ISTOCK] CONTRE LE RÉCHAUFFEM­ENT La contributi­on potentiell­e de l’hydrogène à la réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait atteindre 20 % de l’effort nécessaire d’ici à 2050.

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