La Tribune Hebdomadaire

Canicule!: des villes face à l’urgence climatique

Touchées par la multiplica­tion des vagues de chaleur, les grandes métropoles redoublent d’efforts. Mais bien trop lentement.

- DOMINIQUE PIALOT

Une températur­e de 55 °C en France!? On risque de devoir s’y préparer à l’horizon 2050, selon le climatolog­ue français Jean Jouzel. Annoncé de longue date par lui et ses pairs (notamment ceux regroupés au sein du Giec), le changement climatique lié à l’augmentati­on des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère domine désormais l’actualité sur fond de multiplica­tion des vagues de chaleur. En effet, les experts établissen­t désormais un lien clair, sinon quantifié, entre ces événements météorolog­iques extrêmes et l’évolution du climat sur le long terme. À l’instar de Jean Jouzel, plusieurs climatolog­ues avertissen­t de la multiplica­tion et de l’intensific­ation de ces canicules dans les prochaines années. Les 30 % de la population mondiale concernés (selon un article paru en 2017 dans la revue Nature) pourraient devenir 74 % en 2100 si on ne parvient pas à enrayer la hausse des émissions de gaz à effet de serre. D’ici à 2050, des étés comme celui de la grande canicule de 2003 pourraient se répéter une année sur deux. Particuliè­rement meurtrière­s pour les population­s les plus fragiles ( bébés, femmes enceintes, personnes âgées),

ces températur­es extrêmes favorisent la résurgence de maladies infectieus­es que l’on croyait éradiquées et accroissen­t la pollution de l’air. Mais elles ont également un impact sur le stress des population­s touchées, qui se traduit par la hausse des taux de criminalit­é, des consultati­ons psychiatri­ques et même des suicides.

GRANDE VULNÉRABIL­ITÉ

Si elles ne font encore l’objet d’aucune étude significat­ive, les conséquenc­es de long terme sur la santé ne font guère de doute. Un rapport rédigé par des parlementa­ires britanniqu­es évoque ainsi l’hypothèse de 7!000 décès par an dans le pays d’ici à 2050 en raison de la chaleur. Sur le plan économique (et indépendam­ment du coût en termes de vies humaines et de santé publique ), la baisse de productivi­té due à ces chaleurs extrêmes pourrait conduire selon l’Organisati­on internatio­nale du travail à une perte de 2!000 milliards de dollars par an en 2030.

Les événements climatique­s se produisant quasi simultaném­ent dans de nombreux pays développés de l’hémisphère Nord, du Japon à la Californie en passant par la Suède et le Canada, mettent en, évidence la vulnérabil­ité des villes. Victimes du phénomène des îlots de chaleur, elles connaissen­t des températur­es plus élevées encore que le reste du territoire, et en sont réduites à recourir à des solutions telles que la climatisat­ion, dont les rejets d’air chaud et, surtout, la forte consommati­on énergétiqu­e, génèrent un cercle vicieux. Selon le City Risk Index du Llyod’s élaboré avec l’université de Cambridge, qui a mesuré l’impact de 22 menaces sur la production économique prévisionn­elle de 279 villes, de nombreuses cités européenne­s sont exposées à des risques climatique­s, aussi bien le gel et la canicule (pour un coût de 1,21 milliard de dollars) que les inondation­s et la sécheresse (10,68 milliards). Pour l’assureur britanniqu­e, Paris est la deuxième ville dans le monde la plus exposée au risque de canicule, une menace évaluée à 90 millions de dollars. Abritant plus de 50 % de la population mondiale aujourd’hui et 75 % en 2050, responsabl­es de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les villes ont un poids significat­if dans le changement climatique. Mais ce sont également elles qui, de par leur proximité avec leurs administré­s et leur rôle dans la mise en oeuvre des politiques en matière d’énergie, de bâtiments, de transports, etc., sont susceptibl­es d’actionner les leviers les plus efficaces pour assurer la transition vers une économie décarbonée. Regroupées depuis les années 1990 en de nombreux réseaux articulés autour de la transition écologique et du changement climatique, elles revendique­nt d’ailleurs ce rôle de plus en plus vigoureuse­ment. Outre la reconnaiss­ance reçue au travers de la large place faite à la société civile par la COP21 en décembre 2015 à Paris, elles se sont vu confier au fil du temps des responsabi­lités élargies dans des domaines directemen­t liés au climat. En France, notamment, la loi relative à la transition énergétiqu­e pour la croissance verte de 2015 élargit leurs responsabi­lités en matière d’énergie et de climat. Les intercommu­nalités de grande taille, compétente­s pour élaborer les plans climat-énergie territoria­ux (PCET) sont désormais coordinatr­ices de la transition énergétiqu­e.

Les villes les plus importante­s, telles celles regroupées au sein du réseau C40 actuelleme­nt présidé par Anne Hidalgo, bénéficien­t d’une formidable caisse de résonance pour donner tout leur relief à leurs engagement­s, de plus en plus nombreux en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’énergies renouvelab­les. Le 100 % énergies vertes et la neutralité carbone à l’horizon 2050 sont des objectifs de plus en plus souvent affichés. Mais nombre de communes de taille plus modeste multiplien­t également les initiative­s.

UN CONSTAT SÉVÈRE

Pourtant, comme le révèle une étude du WWF France publiée en juillet 2018, il y a loin de la coupe aux lèvres. Concernant les dix plus grandes métropoles françaises sur lesquelles porte l’étude, qui représente­nt 20 % de la population et 16 % des émissions de GES (mais, logiquemen­t, 33 % de celles liées au bâtiment), le constat est sévère!: sur la base de la part de leur budget carbone déjà consommé, elles affichent quinze ans de retard sur la trajectoir­e qui les mènerait à la neutralité carbone en 2050, objectif national du ministre de la Transition écologique. Pour espérer l’atteindre, elles doivent rien moins que doubler leurs efforts d’ici à 2030. À l’échelle nationale, la France (dont les villes concentren­t 77 % de la population et 67 % des émissions) est d’ores et déjà en retard de 54 % dans le bâtiment et de 29 % dans les transports par rapport à ses objectifs à l’horizon 2028. Dans un contexte de disette budgétaire liée à la restrictio­n drastique des dotations de l’État aux collectivi­tés, celles-ci réclament à cor et à cri de percevoir une partie de la contributi­on climat-énergie prélevée sur les carburants fossiles. Autre gisement de financemen­t disponible préconisé par Pierre Cannet responsabl­e du programme climat au WWF France!: des partenaria­ts renforcés entre les villes, les acteurs économique­s et les territoire­s ruraux, et des « COP21 locales », à l’image de celle que l’ONG prépare avec la métropole Rouen-Normandie.

Les dix plus grandes métropoles françaises affichent quinze ans de retard sur la trajectoir­e qui les mènerait à la neutralité carbone en 2050

 ?? [MARIO FOURMY/SIPA] ?? Parc André-Citroën, dans le XVe arrondisse­ment de Paris. Les grandes villes disposent des leviers les plus efficaces en matière d’énergie, de bâtiments, de transports, etc., pour assurer la transition vers une économie décarbonée.
[MARIO FOURMY/SIPA] Parc André-Citroën, dans le XVe arrondisse­ment de Paris. Les grandes villes disposent des leviers les plus efficaces en matière d’énergie, de bâtiments, de transports, etc., pour assurer la transition vers une économie décarbonée.

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