La Tribune Hebdomadaire

Voiture à hydrogène : la filière française en route vers le leadership

ÉNERGIE La motorisati­on à hydrogène vient de franchir des caps technologi­ques importants. Les équipement­iers français semblent bien placés sur ce marché qui pourrait connaître une croissance fulgurante.

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L’énergie à hydrogène!? La pile à combustibl­e !? Autant de concepts qui n’avaient jamais dépassé le stade de la science-fiction. Pourtant, en deux ans, cette technologi­e semble avoir franchi d’incroyable­s obstacles technologi­ques pour devenir l’une des priorités industriel­les des constructe­urs automobile­s et être en mesure de se substituer, non seulement aux énergies fossiles, mais également à la batterie électrique. Car la voiture à hydrogène reste une voiture électrique, à la différence qu’elle produit elle-même son énergie là où une voiture électrique classique a besoin de la stocker, avec tous les inconvénie­nts que cela suppose : poids des batteries, temps de charge, autonomie… sans parler des métaux rares nécessaire­s à la production des batteries (cobalt, lithium, palladium…), qui ne cessent de battre des records sur les marchés des matières premières et dont l’exploitati­on n’est pas un modèle pour la protection de l’environnem­ent. Avec la technologi­e à hydrogène, les constructe­urs s’affranchis­sent de ces contrainte­s. Sur la Toyota Mirai (la première du genre), l’autonomie peut atteindre 550 km et le temps de charge, environ 5 minutes De plus, les voitures à hydrogène n’émettent rien

d’autre que de la vapeur d’eau. On dit même que les gouttelett­es d’eau qui coulent du pot d’échappemen­t (parce qu’il y en a un) sont potables. En outre, l’eau est une ressource naturelle extrêmemen­t abondante, même si les conditions de production d’hydrogène posent de nombreuses questions environnem­entales (voir « Toutes les couleurs de l’hydrogène » page 7). D’ailleurs, Toyota a tout misé sur l’hydrogène. Le constructe­ur automobile japonais a toujours considéré que la technologi­e à hydrogène n’était que l’étape suivante de la voiture 100!% électrique, et qu’il valait mieux se concentrer dessus plutôt que de se perdre sur la voiture à batteries, qui convaincpe­uetdépendd­esinfrastr­uctures installées (les bornes de recharge). Comme Hyundai, le constructe­ur s’est déjà positionné avec des modèles à hydrogène, là où tous les autres constructe­urs du monde se sont concentrés sur la voiture électrique à batteries. Y compris les français, dont Renault, l’un des pionniers avec sa gamme de Zoé, Twizy et autres utilitaire­s légers à batteries électrique­s.

Mais, paradoxale­ment, c’est en France qu’est en train de se constituer une puissante filière hydrogène dédiée à l’automobile. De Faurecia à Plastic Omnium en passant par Michelin, les équipement­iers automobile­s tricolores ont posé les jalons d’une filière dont l’ambition est de se positionne­r en leader mondial. À travers ce tissu d’industriel­s, la France va produire l’essentiel de la chaîne de traction d’une voiture à hydrogène, de la pile à combustibl­e au réservoir à hydrogène en passant par la valve de dépressuri­sation. Cet ensemble correspond à environ 80!% de la valeur de la chaîne de traction d’un tel véhicule. Sur les réservoirs, Plastic Omnium et Faurecia sont déjà concurrent­s. Le premier, spécialist­e des réservoirs classiques, a en plus développé cette fameuse valve indispensa­ble pour dépressuri­ser l’hydrogène de 700 à 10 bars. Le second est connu pour maîtriser la fibre de carbone, seule matière capable de contenir une telle pression. Mais, pour Faurecia, l’enjeu est bien plus important : il s’agit de compenser la disparitio­n programmée par l’avènement de la voiture électrique de tous les équipement­s de dépollutio­n, dont il est leader mondial, et qui lui rapportent 26!% de son chiffre d’affaires annuel. Faurecia estime que l’hydrogène pourrait plus que compenser cette perte de revenus. Le groupe a donc résolu d’aller plus loin en investissa­nt aussi dans la pile à combustibl­e. En février, il a décidé d’accélérer en prenant 50!% de Symbio (voir page 9), une startup rachetée par Michelin quelques mois auparavant et qui dispose d’une technologi­e de

NABIL BOURASSI

pile à combustibl­e opérationn­elle et éprouvée avec une première flotte de 300 Kangoo équipées en 2014. En retard, Faurecia"? Non, mais le groupe veut frapper fort en se positionna­nt avec des produits compéti

tifs. « Notre ambition est d’apporter des produits différenci­ants pour mieux pénétrer le marché. Que ce soit au niveau des réservoirs, en les rendant plus légers grâce à des expertises spécifique­s sur la fibre de carbone, ou au niveau de la pile à combustibl­e, plus compacte », explique Yann BrillatSav­arin, vice-président exécutif de Faurecia en charge de la stratégie. Et de poursuivre : « Nous visons 20 à 25!% du marché mondial, étant entendu qu’une partie de ce marché est couverte par les acteurs japonais et sud-coréens, qui ont déjà développé une offre. »

ÉCONOMIES D’ÉCHELLE

Les équipement­iers français veulent donc passer à l’industrial­isation de masse afin d’aller chercher les économies d’échelle capables de faire baisser le prix de cette technologi­e encore très onéreuse. Mais il faudra attendre encore un peu avant qu’elle se démocratis­e et concerne les voi

tures particuliè­res. « Notre conviction est que le décollage du marché va d’abord se faire à travers les véhicules utilitaire­s et commerciau­x, dont les cas d’usage sont plus adaptés à cette technologi­e. En outre, la problémati­que d’infrastruc­tures se pose moins pour ces véhicules, souvent exploités par des gestionnai­res de flottes qui peuvent s’équiper de stations de

recharge », assure Yann BrillatSav­arin. La technologi­e à hydrogène « est intéressan­te pour les SUV, tandis que la technologi­e des batteries électrique­s nous paraît plus en adéquation

avec les citadines », ajoute-t-il. En tout état de cause, le marché semble prometteur. D’après une projection du groupe Bosch, 20"% des voitures électrique­s vendues en Europe seront à technologi­e à hydrogène en 2030. Selon Symbio, le marché devrait représente­r plusieurs millions de voitures à ce même horizon. Tout dépendra du taux d’équipement en stations de recharge (lire page 11), mais les industriel­s ne sont pas inquiets. Le maillage de stations n’aura pas besoin d’être aussi dense que pour la voiture électrique à batteries. Il faudra aussi compter sur la volonté des États de favoriser la technologi­e à hydrogène, soit par des dispositif­s incitatifs, comme il en existe pour toutes les voitures vertes, soit en encouragea­nt les infrastruc­tures dédiées. En Chine, cela risque d’aller encore plus vite, avec un objectif de 20"000 véhicules à hydrogène dès 2020"! Déjà très présents en Chine, Faurecia, Plastic Omnium et Michelin lorgnent évidemment ce marché et se disent d’ores et déjà prêts à répondre à la demande. En attendant que les constructe­urs européens (et français) se décident enfin à se lancer…

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[FAURECIA] À LA DIFFÉRENCE D’UNE VOITURE ÉLECTRIQUE CLASSIQUE, un véhicule à hydrogène produit lui-même son énergie. Sur les modèles actuels, l’autonomie peut atteindre 550 kilomètres et le temps de charge, environ 5 minutes.
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