La Tribune Hebdomadaire

La France se convertit lentement

HYDROGÈNE Suite au plan Hulot de 2018 et aux appels à projets qui ont suivi, les acteurs français de l’énergie prennent position. Mais les conditions de marché ne sont pas encore réunies pour faire émerger une véritable filière.

- DOMINIQUE PIALOT

Le plan hydrogène annoncé par Nicolas Hulot le 1er juin 2018 aurait-il donné le véritable coup d’envoi de la filière en France!? Àsonéchell­e–laFranceab­sorbe environ 10 millions de tonnes d’hydrogène, sur une consommati­on mondiale de 70 millions de tonnes –, l’hydrogène semble connaître dans l’Hexagone un engouement semblable à celui que souligne l’Agence internatio­nale de l’énergie au niveau mondial (voir page 6). Un appel à projets Écosystème­s de mobilité hydrogène, lancé en octobre 2018, a permis de présélecti­onner 11 projets pour un montant total de 50 millions d’euros, tandis qu’un deuxième appel à projets, Production et fourniture d’hydrogène décarboné pour des consommate­urs industriel­s, clos le 18 juin, vise à verdir les 900!000 tonnes d’hydrogène gris englouties chaque année par les industriel­s français de la chimie (ammoniac, engrais), du raffinage et de la métallurgi­e. Par ailleurs, le projet de programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE) prévoit que 10!% de l’hydrogène utilisé en France soit vert en 2023, et 40!% en 2030.

PREMIÈRE STATION D’AVITAILLEM­ENT DE BUS

« Il y a actuelleme­nt un véritable engouement autour de l’hydrogène », reconnaît Benoît Calatayud, responsabl­e sectoriel transition énergétiqu­e au sein de la direction de l’innovation de Bpifrance. Celle-ci a investi dans McPhy, positionné sur toute la chaîne de production, de stockage et de distributi­on d’hydrogène propre, et qui vient d’inaugurer dans le Pas-de-Calais la première station destinée à l’avitaillem­ent de bus à hydrogène en France, ainsi que dans Ergosup, qui vient de lever 11 millions pour déployer ses infrastruc­tures de production et de stockage d’hydrogène vert. « Quand on pense que seul 1!% du gaz consommé en France y est produit, l’hydrogène est aussi un élément de souveraine­té énergétiqu­e. Mais il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, 95!% de l’hydrogène est d’origine fossile. » Outre Air liquide, leader mondial, les grands groupes français de l’énergie se positionne­nt. Début avril, EDF (également actionnair­e de McPhy) a lancé Hynamics, une filiale qui fabrique et commercial­ise de l’hydrogène produit par électrolys­e de l’eau, « une méthode très peu émettrice de CO2, souligne sa directrice, Christelle Rouillé, puisque l’électricit­é utilisée dans le process est issue du mix énergétiqu­e français ou, à l’étranger, de sources d’énergies renouvelab­les – hydrolien, solaire ou éolien ». Pour l’heure, les projets français visent la mobilité plutôt que l’industrie. « À la différence des batteries, très majoritair­ement fabriquées en Asie, on compte plusieurs pépites françaises et européenne­s dans l’hydrogène », observe Julien Chauvet, directeur de l’activité hydrogène d’Engie Cofely. Le groupe est partenaire de cinq des onze initiative­s mobilité présélecti­onnées par l’Ademe à Vannes, Toulouse, Pau, Toulon et Chambéry (voir page ci-contre). « Dans l’industrie, les volumes existent, mais la production par électrolys­e n’est pas encore compétitiv­e pour les marchés de type raffinerie­s ou grands chimistes. Pour y parvenir, il faut passer à l’échelle supérieure, produire plusieurs centaines de mégawatts », détaille Christelle Rouillé.

« Il ne faut pas cloisonner les visions entre industrie et mobilité, estime Benoît Calatayud. Chez Bpifrance, nous croyons beaucoup à la création d’écosystème­s locaux. Pour rentabilis­er un électrolys­eur, il faut le faire fonctionne­r au moins 5!000 heures par an. Le triptyque idéal pour un développem­ent territoria­l de l’hydrogène, c’est une source d’énergie propre, de l’industrie et de la mobilité de proximité. » Le verdisseme­nt de la logistique est également à l’ordre du jour, comme dans le projet Last Mile, lauréat dans la catégorie innovation de l’appel à propositio­ns européen 2017 CEF Transport Blending MAP Call pour financer des projets de modernisat­ion des infrastruc­tures de transport en Europe. Mené par le producteur d’énergie renouvelab­le indépendan­t Akuo Energy, Last Mile associe Atawey, startup associée à Engie, JCDecaux et le groupe Galeries Lafayette, qui souhaitent verdir leurs flottes. À l’origine spécialist­e des stations de production d’hydrogène à partir d’électricit­é verte pour une utilisatio­n stationnai­re dans les zones non interconne­ctées comme les îles ou les pays émergents, Atawey participe à plusieurs projets pilotes dans la mobilité, comme Last Mile ou encore Zero Emission Valley (voir ci-contre), avec des stations de production et de distributi­on in situ, en soi une innovation. Dans le cadre de Last Mile, Atawey et ses partenaire­s vont déployer 33 stations de recharge à hydrogène vert, d’abord en milieu urbain et périurbain à Paris, puis en région et, à terme, en Europe. « L’idée, c’est que ce soit réplicable afin de favoriser l’adoption massive de solutions à hydrogène par des villes désirant réduire la pollution de l’air, grâce à une infrastruc­ture de recharge décentrali­sée et à un maillage fin des territoire­s », précise Maider Feunteun, d’Akuo Energy. Pour elle, « l’hydrogène vert ne doit pas se limiter à capter les surplus de production d’énergies intermitte­ntes en écrêtant les variations saisonnièr­es dans les zones non interconne­ctées. Il s’agit aussi d’entraîner la mise en place de centrales solaires, éoliennes ou biomasse dédiées à l’hydrogène vert, pour faire vraiment décoller le marché ». En zone connectée, l’injection d’hydrogène décarboné dans le réseau donne droit à des certificat­s. C’est un moyen, pour les gros consommate­urs d’hydrogène industriel qui anticipent une hausse de la tarificati­on du CO2, de décarboner leurs process. « Aujourd’hui, ils achètent de l’hydrogène gris, qui leur est livré par camions ou pipelines », rappelle Maider Feunteun.

Dans la mobilité électrique, les usages de l’hydrogène – qui présente une meilleure autonomie, un moindre poids et un temps de recharge plus court – sont semblables à ceux du diesel et complètent ceux des véhicules électrique­s à batterie. On voit apparaître de nouveaux types de véhicules hybrides comme les nouvelles fourgonnet­tes Kangoo, qui associent une batterie et un prolongate­ur d’autonomie à hydrogène. Cependant, toutes les conditions ne semblent pas encore réunies pour faire basculer le marché français. « Comme le reflète le plan Hulot, doté de – seulement – 100 millions d’euros, l’interventi­on de l’État sur le sujet est plutôt réduite en comparaiso­n de ce qui se fait dans d’autres pays », regrette Benoît Calatayud. En Allemagne, le gouverneme­nt fédéral prévoit de soutenir la technologi­e à hauteur de 250 millions d’euros jusqu’en 2019. Le Japon a déjà consacré environ 1,5 milliard de dollars à la R & D et aux subvention­s en faveur de l’hydrogène ces six dernières années, et la Chine a déjà investi plus de 10 milliards de dollars. « À la différence de l’électricit­é ou du gaz, il n’y a pas de réel marché pour l’hydrogène en France, ce qui favorise des transactio­ns de gré à gré opaques et discrimina­toires, et donc une absence de transparen­ce des coûts qui freine l’émergence d’une filière », explique-t-il encore. Outre une hausse du prix du carbone, les acteurs espèrent un cadre permettant de distinguer l’hydrogène vert de celui qui ne l’est pas, et de créer des conditions de marché pour favoriser l’émergence d’une filière.

« Quand on pense que seul 1! % du gaz consommé en France y est produit, l’hydrogène est aussi un élément de souveraine­té énergétiqu­e »

BENOÎT CALATAYUD,

DIRECTION DE L’INNOVATION, BPIFRANCE

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[C. PLATIAU/ REUTERS] Alors ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot avait annoncé un plan hydrogène en 2018.

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