La Tribune Hebdomadaire

Le mariage entre Wall Street et la Silicon Valley bat-il de l’aile ?

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BOURSE

Les récentes entrées en Bourse de Lyft et d’Uber se sont révélées décevantes. Est-ce le signe qu’une bulle technologi­que est en train de se former!?

Outre-Atlantique, 2019 a été abondammen­t décrite comme l’année des IPO ( Initial Public Offerings). Un nombre pléthoriqu­e de licornes, ces jeunes pousses dont la valorisati­on a dépassé le milliard de dollars, ont en effet choisi cette année pour entrer en Bourse. Rien qu’en avril dernier, le service de vidéoconfé­rence Zoom, le réseau social Pinterest et le service d’autopartag­e Lyft ont fait leurs débuts à Wall Street, atteignant respective­ment des valorisati­ons de 9, 10 et 24 milliards de dollars. Le 9 mai dernier, ce fut au tour d’Uber, grand rival de Lyft, d’entrer à son tour en Bourse, tandis que le site de location de résidences de voyage Airbnb, le service de messagerie profession­nelle Slack et l’entreprise de coworking WeWork ont tous évoqué l’éventualit­é d’une IPO plus tard dans l’année.

Mais à l’heure des premiers bilans, force est de constater que ceux-ci s’avèrent peu reluisants. À l’exception de Zoom, toutes ces entreprise­s, majoritair­ement basées dans la région de San Francisco, ont fait beaucoup moins bien que prévu. Lancée en Bourse au prix de 72 dollars pièce, l’action de Lyft se vend aujourd’hui autour de 62 dollars. Attaquée dès son entrée à Wall Street, elle a connu une forte baisse en mai après que l’entreprise a publié d’importante­s pertes financière­s au premier trimestre, au point que CNN a qualifié l’IPO de « désastreus­e ». Maigre consolatio­n pour Lyft#: son rival, Uber, n’a pas brillé non plus, effectuant même la plus mauvaise entrée en Bourse depuis 1975. Vendue 45 dollars pièce, l’action est vite tombée à 41 dollars, conférant à Uber une valorisati­on de 70 milliards, bien au-dessous des 120 milliards que prétendait valoir l’entreprise. Après de bons résultats initiaux, l’action Pinterest a à son tour dévissé en mai, à la suite de la publicatio­n de résultats financiers décevants.

La lune de miel à peine écoulée, les noces entre Wall Street et les licornes de la Silicon Valley s’avèrent quelque peu tumultueus­es, et se profile à l’horizon le spectre d’une bulle dans le secteur des nouvelles technologi­es. Des analystes pointent la surévaluat­ion de nombreuses startups, avec la perspectiv­e d’un nouveau crash faisant écho à celui du dot-com, qui, au début des années 2000, a conduit de nombreuses entreprise­s de la Silicon Valley à mettre la clef sous la porte.

UN NUMÉRIQUE OMNIPRÉSEN­T

« La situation présente rappelle fortement celle de la bulle Internet. On se préoccupe uniquement de la croissance, en mettant complèteme­nt de côté la profitabil­ité », écrit Keith Wright, investisse­ur et professeur à l’Université Villanova. « Ainsi, 76 % des entreprise­s qui sont entrées en Bourse l’an passé étaient déficitair­es par action. Un chiffre dangereuse­ment proche des 81 % que l’on a connus durant la bulle du dot-com. Un retourneme­nt de conjonctur­e économique, même mineur, risque d’envoyer de nombreuses licornes au tapis, car la plupart ne génèrent pas de profits », analyse-t-il.

Il existe cependant une différence majeure entre la situation actuelle et celle qui a précédé le crash du dot-com. À l’époque, le numérique était une industrie bien à part, en plein boom, et donc en proie à la spéculatio­n. Aujourd’hui, il est devenu omniprésen­t, touche l’écrasante majorité des secteurs économique­s et des entreprise­s. Si le risque de surchauffe demeure, l’économie digitale est donc plus résiliente qu’à l’époque, car ancrée dans l’économie réelle.

DES LICORNES LOIN D’ÊTRE TOUTES SURÉVALUÉE­S

En outre, durant la bulle Internet, toutes les entreprise­s des nouvelles technologi­es étaient surévaluée­s, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « L’entreprise de logiciel Atlassian, offre l’exemple d’une licorne ayant brillammen­t réussi », nuance Keith Wright. « Les Gafam sont correcteme­nt valorisés, quelles que soient les métriques choisies. La hausse du prix de leurs actions suit, globalemen­t, celle de leurs revenus », affirme de son côté Richard Holway, président et cofondateu­r de TechMarket­View, un cabinet d’analyse de marché britanniqu­e.

« Ce n’est pas le cas de certaines licornes, ce qui se traduit par des IPO décevantes. Mais il ne faut pas toutes les mettre dans le même panier#: Zoom dégage un bénéfice et son entrée en Bourse a été un franc succès. En outre, une IPO peut se révéler peu fructueuse sur le moment, mais donner d’excellents résultats par la suite. » Après de piètres performanc­es, l’action d’Uber est ainsi remontée pour atteindre, le 5 juin dernier, un niveau légèrement supérieur à celui de l’entrée en Bourse. Selon Richard Holway, tant que les investisse­urs seront convaincus de la capacité des entreprise­s de la Silicon Valley à maintenir une croissance satisfaisa­nte, il est peu probable qu’ils s’en détournent. « Amazon, Salesforce et consorts ont obtenu d’excellents résultats en privilégia­nt la croissance par rapport à la rentabilit­é. Tant que les investisse­urs verront de bons chiffres de croissance, et seront convaincus que ces entreprise­s finiront par générer un profit, ils leur conservero­nt leur confiance. »

nG. R.

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