La Tribune Hebdomadaire

Le CO2, un marché plein d’avenir"?

PERSPECTIV­ES Principal responsabl­e du réchauffem­ent climatique, le dioxyde de carbone est aussi une matière première dont les débouchés pourraient se multiplier alors même que s’amplifie la décarbonat­ion de nos économies.

- DOMINIQUE PIALOT

Le marché européen du CO2 commercial (capté auprès des process industriel­s les plus émetteurs) représente aujourd’hui quelque 500 millions de tonnes, et 80 millions pour la France, où il provient principale­ment des gisements que représente­nt les filières de fabricatio­n de bioéthanol, d’hydrogène et d’ammoniac, le secteur agroalimen­taire absorbant 70 % de ces volumes. Le cabinet Sia Partners s’est livré à un exercice d’évaluation de son potentiel dans l’hypothèse où une hausse des coûts rendrait compétitiv­es de nouvelles valorisati­ons. À l’horizon 2050, la demande actuelle, de 1,1 million de tonnes, pourrait augmenter de moitié au seul rythme de la croissance industriel­le. Mais ce sont d’autres usages liés à la transition écologique, et sur lesquels la France est aujourd’hui bien positionné­e en phase de recherche et développem­ent, qui apparaisse­nt comme les véritables relais de croissance.

« Il est très difficile d’évaluer l’ensemble des besoins nationaux des filières industriel­les consommatr­ices de CO2 à l’horizon 2030 et 2050, reconnaît Charlotte de Lorgeril, Associate Partner Energy, Utilities & Environmen­t. C’est pourquoi nous nous sommes focalisés sur les perspectiv­es de croissance des usages émergents les plus significat­ifs, afin de calculer une demande potentiell­e en France. » Ces applicatio­ns qui apparaisse­nt aujourd’hui le plus prometteus­es sont la culture de microalgue­s, la production de méthane de synthèse et la fabricatio­n de produits chimiques, notamment le méthanol. Cet alcool entre dans la compositio­n de nombreux produits chimiques et peut être utilisé comme carburant. Résultat : « Sur ces trois applicatio­ns majeures seulement, on anticipe un marché multiplié par 30 à l’horizon 2050 », affirme la consultant­e.

ALGUES, BIOCARBURA­NTS ET PRODUITS CHIMIQUES

À ce jour, la production d’algues n’en est qu’à ses balbutieme­nts et reste essentiell­ement destinée à l’alimentati­on humaine ou animale, et concentrée en Asie. Mais d’autres applicatio­ns existent. En France, une centaine de sites produisent de la spiruline, commercial­isée pour ses vertus nutritionn­elles. Mais avec 20 à 50 tonnes par an, cela demeure un marché de niche. La biomasse issue des algues peut également être transformé­e en biométhane. La France compte plusieurs pilotes, qui devraient déboucher sur des projets industriel­s à l’horizon 2025. Mais c’est la production de biocarbura­nts qui présente le potentiel le plus important. Contrairem­ent aux biocarbura­nts de première et deuxième génération­s, cette technique ne provoque aucun conflit d’usage des sols, mais elle doit encore surmonter certains freins technologi­ques ou économique­s avant de passer au stade industriel. En chimie, méthanol (notamment biométhano­l produit à partir d’hydrogène renouvelab­le ou d’émissions de CO2 géothermiq­ue), butanol (utilisable comme additif ou en remplaceme­nt de carburants fossiles), polycarbon­ates et éthanol (utilisé dans l’agroalimen­taire ou comme carburant) sont les principaux débouchés émergents.

Et ce n’est pas tout. D’autres pistes de valorisati­on pourraient également devenir compétitiv­es dans un contexte de hausse du coût du CO2 pour les industries françaises et européenne­s, associée à un objectif généralisé de décarbonat­ion de nos économies. « Cette augmentati­on progressiv­e du prix du CO2 va permettre à des solutions innovantes de valorisati­on du CO2 comme matière première de gagner en compétitiv­ité et faire apparaître de nouveaux débouchés à moyen et long termes », affirme Charlotte de Lorgeril.

DES PROJETS ADOSSÉS AUX GISEMENTS VALORISABL­ES

Pour répondre à cette nouvelle demande sans recourir aux importatio­ns, il va devenir nécessaire de capter davantage de CO2. Aujourd’hui, les géants du gaz industriel­s (dont l’allemand Messer, le français Air Liquide ou l’américain Air Products) occupent l’essentiel du marché. Mais « Tout ceci va favoriser les opportunit­és pour de nouveaux entrants dans la filière, mais également l’apparition de logiques décentrali­satrices, en adossant des projets de production à des projets de consommati­on, ce qui évite de transporte­r le CO2 d’un bout à l’autre de la France », anticipe Charlotte de Lorgeril.

C’est déjà ce qui se passe sur des plateforme­s portuaires par exemple, et, pour généralise­r ces pratiques, on pourrait, évoque la consultant­e, envisager un complément de rémunérati­on visant à récompense­r le choix de boucles de proximité. « Un nombre croissant d’acteurs industriel­s, de centres de R&D et de fournisseu­rs d’énergie s’intéressen­t fortement au sujet, affirme Charlotte de Lorgeril. On voit des entreprise­s réfléchir à des projets pilotes autour de l’hydrogène en fonction de la localisati­on des gisements de CO2 valorisabl­es. »

Mais ces nouveaux débouchés étant conditionn­és à une hausse des prix du CO2 découlant de l’ambition poursuivie par les États en matière climatique, seul l’affichage de politiques de long terme ambitieuse­s en la matière rendra possible l’intensific­ation de la R&D nécessaire pour rendre ces nouvelles applicatio­ns compétitiv­es. D’ores et déjà, l’étude annuelle de I4CE sur le marché européen de quotas de CO2 montre que 2018 a été marqué par une forte augmentati­on du prix des quotas alors que celui-ci plafonnait autour de 5 euros la tonne, grâce à l’adoption de nouvelles règles de fonctionne­ment pour la période post-2020 et à l’anticipati­on de la mise en oeuvre de la réserve de stabilité de marché (destinée à abaisser le volume de quotas alloués afin, précisémen­t, d’en faire remonter le prix). Et malgré un surplus de quotas toujours significat­if, certains analystes prédisent que le cours pourrait dépasser les 30 euros par tonne dès 2021...

n

 ?? [ISTOCK] ?? Le volume des applicatio­ns connues du CO2 pourrait tripler en France d’ici à 2050.
[ISTOCK] Le volume des applicatio­ns connues du CO2 pourrait tripler en France d’ici à 2050.

Newspapers in French

Newspapers from France