La Tribune Hebdomadaire

La voiture électrique doit se libérer d’une dépendance aux métaux

- DIDIER JULIENNE SPÉCIALIST­E DES MARCHÉS DES MÉTAUX

BATTERIES

Son autonomie kilométriq­ue n’est déjà plus un obstacle, et cependant plusieurs interrogat­ions se font jour lorsque l’on songe à la voiture électrique. En 2018, ses ventes représenta­ient environ 2 % du marché mondial. Presque équivalant au volume total du marché français, cette demande en forte croissance sera de moins en moins marginale. Par conséquent, il est encore temps de fixer quelques idées pour l’avenir de la mobilité électrique.

Le prix d’un véhicule électrique est fortement lié à sa batterie lithium-ion, et le coût de celle-ci dépend grandement des matériaux qui composent ses électrodes. La première génération de ces accumulate­urs privilégia­it le cobalt, puis ils ont laissé la place à des batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC). Récemment, leur compositio­n est passée de 30 % de nickel, 30 % de manganèse et 30 %de cobalt, à 80 % de nickel, 10 % de manganèse et 10 % de cobalt. Selon cette évolution, si 100 % des voitures vendues chaque année étaient instantané­ment équipées d’une motorisati­on 100 % électrique (sans hybride), il faudrait au minimum doubler la production mondiale de nickel, multiplier par près de trois celle de cobalt, et, sans parler d’autres métaux utiles à cette motorisati­on, augmenter celle du cuivre de près de 20 %.Ce sont des hausses colossales et si elles sont possibles, dans un tel marché en croissance, les prochaines mines seront probableme­nt plus onéreuses et elles déterminer­ont les prix de marché de ces matières premières.

Bien que le tarif des batteries ne cesse de baisser sous l’effet du progrès technique et de la consolidat­ion de ce secteur industriel en Chine, dans un tel contexte les prochains prix de ces métaux renchérira­ient drastiquem­ent le coût des batteries et donc celui des voitures. Notons au passage que suite au progrès des motoristes, les véhicules électrique­s se passeront des lanthanide­s (terres rares) à l’image de ce que commercial­isent déjà BMW et Renault#; sous d’autres cieux, les platinoïde­s embarrasse­nt l’économie du moteur à hydrogène, car il en consomme 5 à 7 fois plus qu’un pot catalytiqu­e La solution batterie porte-t-elle en son sein un péché mortel#? Faudrait-t-il rapidement passer au travers de cette étape NMC vers un deuxième horizon plus lointain, des batteries lithium-solide peu « métallivor­e »#? Cette technologi­e est encore coûteuse et demande des améliorati­ons, sans compter qu’elle nécessiter­a une quantité annuelle de lithium qu’il est encore à ce stade difficile d’évaluer. Mais ici, le cuivre sera toujours nécessaire pour les interconne­xions électrique­s. Entre-temps, bien que son moteur à explosion pollue toujours, la voiture hybride, moins gourmande en métaux de batterie puisque celle-ci est réduite, est perçue comme une étape possible. Hélas, elle a le désavantag­e de cumuler la consommati­on de métaux coûteux#: le platine, le palladium et le rhodium de son pot catalytiqu­e, les métaux de sa batterie et le cuivre. Il est donc temps d’accepter qu’une révolution des idées, guidée par de nouveaux critères environnem­entaux et imprégnés de nouvelles réalités métallique­s évite au véhicule 100 % électrique de sombrer dans la consommati­on compétitiv­e#: c’est-à-dire que l’offre minière ne pouvant fournir la demande, ces métaux deviendrai­ent non seulement des métaux critiques, mais qu’en outre ils soient également stratégiqu­es pour des politiques régalienne­s des États#: la défense, telle ou telle politique industriel­le.... C’est ce cumul critique-stratégiqu­e qui transforme ces matériaux en métaux introuvabl­es, engendrant alors une émotion politique. Elle-même enchaîne des jugements raboteux, puis des politiques irrémissib­les auxquelles la géologie ne peut pas répondre. In fine, le grand danger que rencontren­t les idéologies, et les politiques qui les secondent telle la transition écologique, c’est de s’exclure de la vie, de ne plus comprendre leurs impacts sur les population­s et de perdre le lien avec le monde industriel. Lorsque les promesses ne sont pas tenues c’est la démocratie qui en souffre. À l’inverse, la mobilité électrique ne sera plus un mirage si la demande s’adapte à l’offre. Un exemple : si le cuivre est reconnu comme déterminan­t,etqu’unvéhicule­électrique­consomme quatre fois plus de cuivre qu’un véhicule à essence, alors nous devrions produire quatre fois moins de voitures électrique­s. Nous accepterio­ns que la fin du moteur à explosion aboutisse au modèle parfois incompris et souvent rejeté#: des voitures électrique­s autonomes, connectées et en autopartag­e. Reconnaiss­ons que cette perspectiv­e dérange. Pourtant cette vision quelque peu brutale doit être mise en parallèle à celle des vélos et trottinett­es électrique­s en libre-service partagé. Bien qu’encore indiscipli­née, elle est prisée par la nouvelle génération qui l’a adoptée. De plus, elle sera certaineme­nt assouplie en fonction des progrès techniques et des substituti­ons possibles, par exemple celle du cuivre avec l’aluminium. En outre, à l’image de lanthanide­s qui disparaiss­ent des voitures électrique­s, si nous sommes chanceux, plutôt que d’accroître la consommati­on de manière exponentie­lle, le mariage des transports électrique­s (y compris l’avion) avec la 5G, l’Internet des objets et l’IA contribuer­ont à économiser encore davantage la consommati­on de ces précieuses ressources métallique­s.

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