« Burn out »
Investi, engagé, Patrick, 50 ans, dirige son service, établit des relations avec le Canada, participe à l’élaboration d’une norme avec Afnor, organise des conférences, donne des cours à la fac. Comme il est brillant, on ne cesse de lui en rajouter. Et il aime ça ! Il ne compte plus ses heures. Le jour, il travaille pour la France, le soir pour le Canada. La nuit, des traités normatifs trônent sur sa table de chevet. Excitant. Grisant. Les distinctions honorifiques pleuvent… C’est le salaire du workaholic [dépendant au travail, ndlr]. Bien sûr sa femme et ses enfants acceptent sa vie trépidante.
« Un vendredi soir, je me couche jusqu’au lundi matin, où je refuse de me lever, explique-t-il. Ma femme fait venir le médecin. Je me retrouve aux urgences psychiatriques. » Burn out. 40 jours de clinique psychiatrique de reconstruction psychologique. Onze mois d’arrêt de travail. Trois ans d’anxiolytiques et psychotropes. Cinq ans de consultation psychiatrique. L’addition de l’épuisement professionnel est salée.
Les affections psychiques proviennent majoritairement soit de conditions de travail difficiles, se soldant par des pathologies psychiques caractérisées (dépression, anxiété, etc.)#; soit, à parts égales, de chocs ou de stress liés à des situations de violence (agressions, menaces, braquages, etc.) ou d’accidents de la voie publique, selon la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT/MP) de l’Assurance maladie-risques professionnels (AM-RP).
LE « BURN OUT » NON RECONNU
Le cas de Patrick est loin d’être isolé. D’après l’étude « Exposition aux risques professionnels et psychosociaux au travail#: une analyse globale » du ministère de l’Action et des Comptes publics parue en février dernier, 23 % des salariés (tous secteurs d’activité confondus) sont surexposés aux risques psychosociaux (RPS) comme l’épuisement professionnel ( burn out) et 37 % subissent une exposition intermédiaire ! Près d’un médecin sur deux (49 %) éprouve un des trois symptômes caractéristiques du burn out. À savoir l’épuisement émotionnel, le sentiment de déshumanisation du métier ou de faible accomplissement personnel. Au total, l’AM-RP ne comptabilise pourtant que 10 000 affections psychiques au titre des accidents du travail.
Il faut dire qu’il n’existe pas de tableau des maladies professionnelles relatif aux affections psychiques. Leur prise en charge relève donc du système complémentaire. Le dossier est alors soumis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). « Sous réserve d’un niveau d’incapacité de 25 %. Ce qui est très sévère, relève Loïc Lerouge, chargé de recherche au Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (CNRS-Université de Bordeaux). La loi Rebsamen du 17 août 2015 assouplit cette procédure en insérant dans l’article L461-1 du Code de la Sécurité sociale sur les maladies professionnelles la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies d’origine professionnelle. Quant au décret du 7 juin 2016, il offre la possibilité de faire siéger un médecin psychiatre dans les CRRMP. » Le 25 mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a suscité un faux espoir#: son communiqué a reconnu le burn out non pas comme une maladie professionnelle mais comme un « phénomène lié au travail » . Un progrès bien timide. Comment prévenir le burn out# ? « À un niveau individuel, chacun est responsable de sa santé, rappelle Jehanne Essa, préventrice et enseignante vacataire en innovation sociale à l’Université de Bordeaux. Il faut bien sûr respecter l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle, avoir une activité très différente de son travail au moins un jour par semaine#: musique, danse, sport, amis. » Au niveau collectif, l’entreprise peut former les cadres intermédiaires et supérieurs aux postures managériales. « Ils sauront ainsi capter la température de leur équipe et prendre également soin d’eux-mêmes, reprend Jehanne Essa. Mais l’entreprise tirera un grand profit d’un psychologue du travail qui, une fois par an, saura détecter les situations de détresse. Il peut aider individuellement les personnes et remonter à la direction de façon anonyme les problématiques collectives ainsi que les zones à risque. » À condition que la confiance s’instaure et que la direction l’écoute.
« Un vendredi soir, je me couche jusqu’au lundi matin, où je refuse de me lever. Je me retrouve aux urgences psychiatriques »
PATRICK,
50 ANS