Le tourisme de masse, mythe ou début de réalité ?
RISQUES Le « sur-tourisme » inquiète, une crainte non fondée, selon les acteurs de la filière. Ce qui n’empêche pas une certaine vigilance.
Trois exemples parmi d’autres : victime de son succès avec 19 millions de visiteurs, Amsterdam a pris des mesures pour limiter l’afflux touristique et les Pays-Bas s’apprêtent à changer radicalement leur marketing territorial en abandonnant la promotion de sa capitale au profit d’autres destinations. À Barcelone, les sites touristiques deviennent payants, leur fréquentation plafonnée, et les banderoles « Tourist go
home » fleurissent aux balcons. À Venise, une « taxe de débarquement », dont les touristes devront s’acquitter pour découvrir la Cité des Doges, sera bientôt mise en place et devrait rapporter entre 40 et 50 millions d’euros, mis à profit pour veiller à la propreté de la ville notamment. Ces trois villes sont des exemples extrêmes du tourisme de masse, pour des raisons différentes : les deux premières attirent un public plutôt jeune et avide de fiesta à bas prix, la troisième séduit par sa dimension patrimoniale.
UN EFFET DE MODE ?
Bordeaux et la Nouvelle-Aquitaine sont-ils concernés par ces phénomènes ? Assis dans son bureau de la mairie de Bordeaux un lundi matin pluvieux de mai, Stéphan Delaux, l’adjoint au maire chargé de l’attractivité économique, du tourisme, des grands événements et de la vie fluviale, se lève, se rapproche de la fenêtre et désigne de la main la place Pey-Berland. Celle-ci
est vide ou presque. « La question est légitime car l’accroissement du tourisme à Bordeaux a été spectaculaire ces dernières années, enchaîne-t-il.
Mais il faut raisonner avec des éléments objectifs et ne pas se fier uniquement au bruit de la rue. Bordeaux, c’est aujourd’hui 6 millions de nuitées par an, très loin de ce qui se passe à Amsterdam ou Barcelone. Et sur ces 6 millions, c’est plus de 50 % liées au tourisme d’affaires. Une fois cela dit, le sujet ne doit pas être repoussé. Nous avons un tourisme calme, paisible et raisonnable, mais le risque est toujours que la machine s’emballe. Nous cherchons donc à ne pas subir. » Comment ?
« Bordeaux est une ville de patrimoine, c’est le message que nous voulons envoyer. Il n’est donc pas question de la transformer en parc d’attractions. Si j’écoutais les demandes, il y aurait aujourd’hui 50 restaurants flottants sur la Garonne. Les touristes ne viennent pas pour se saouler comme ils le font sur les ramblas de Barcelone, ils sont là pour discuter avec les vignerons et visiter les domaines viticoles. Je n’ai pas envie que le fleuve se transforme en bodega : par contre inciter les personnes de passage à découvrir l’estuaire de la Gironde, c’est oui ! Il nous faut donc être responsable dans le choix des projets et capitaliser sur nos atouts fondamentaux. »
L’élu juge qu’il existe un « effet de mode où l’on parle beaucoup de sur-tourisme » mais que dans la région bordelaise ou ailleurs en Nouvelle-Aquitaine, il ne repose sur rien de concret. En
revanche, il pointe qu’il s’agit d’un marché
d’offre et incite au travail collectif : « Ce qu’attend un touriste, c’est la dune du Pilat, moins l’éco-tour de la rive droite. À nous d’être en accord avec les différents acteurs locaux pour construire et orienter les messages afin de promouvoir nos pépites inattendues, à passer plus de temps à les promouvoir. »
MONTÉE EN GAMME ET VOLS « LOW COST », DEUX GARDE-FOUS
Le sujet du tourisme de masse, Michel Durrieu le maîtrise parfaitement. Pendant vingt-sept ans, il a oeuvré à Barcelone au sein d’un opérateur privé, et s’y est donc frotté de près. Aujourd’hui, il assure la direction générale du Comité régional de tourisme de Nouvelle-Aquitaine. Lui aussi déconstruit complètement l’hypothèse d’une saturation, démonstration métho
dique à l’appui : « Globalement, un peu partout dans l’Hexagone, la clientèle française a de plus en plus tendance à se tourner vers l’étranger grâce aux compagnies aériennes low cost. Notre premier marché, c’est Paris. Or, aujourd’hui, 60 % des Parisiens n’ont plus de voiture ! Pour eux, cela coûte moins cher de prendre un vol low cost et de louer un hôtel 3 étoiles au sud de la Méditerranée au bord de la plage que de louer un bungalow sur la côte littorale. Le premier critère de choix des Français, c’est le prix. Nous, nous sommes structurellement sur un tourisme plus cher, avec un nombre de salariés importants, des prestations conséquentes, un hébergement très nature et camping... ce qui rend impossible un tourisme de masse. En Nouvelle-Aquitaine, on constate des pointes mais elles sont limitées à la période 10 juillet-20 août. La demande est raccord avec les capacités d’hébergement. On a tendance à oublier que le Pays basque ou le bassin d’Arcachon ont toujours fait le plein l’été ! » À la tête du cabinet d’étude et de conseil en tourisme Protourisme, dont il est le directeur général associé, Didier Arino ne croit pas non plus qu’il y ait le moindre risque de « sur-tourisme » en France. Il voit plutôt le danger du côté du « sous-tourisme » même s’il admet que cette activité ne se répartit pas de façon homogène selon les territoires. « Les destinations touristiques fortes se renforcent et celles qui sont plus faibles vont en s’affaiblissant. C’est frappant quand on regarde les centres urbains les plus dynamiques, comme Bordeaux Métropole, qui devient un puissant moteur touristique. La Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Gironde ont fait de nombreux efforts pour protéger la nature et faciliter la vie des touristes, avec
les pistes cyclables par exemple. Mais rééquilibrer
les flux touristiques, c’est une autre affaire » , juge Didier Arino, plutôt impressionné par le décollage touristique de la métropole bordelaise et son cadrage par les élus.
Dans sa publication Cahiers de la métropole bor
delaise, l’agence d’urbanisme métropolitaine A’Urba évoque le phénomène. Elle aussi conclut que la situation bordelaise est sous contrôle, ce dont semble également témoigner l’absence de mouvements de contestation de la population locale envers le tourisme. Ce qui n’empêche pas d’avoir des points de vigilance, notamment sur la question immobilière, étroitement liée, et sur le transport. Mais on parle là d’effets secondaires.