Après l’engouement, le tourisme en plein creux technologique
NUMÉRIQUE Un pas de côté plutôt qu’un pas en arrière. André Barbé, le directeur général de la Semitour, la société d’économie mixte qui exploite les différents sites de Lascaux en Périgord, reconnaît volontiers avoir été « déçu par la promesse du numérique, qui est intéressant et présente des avantages mais qui n’est pas assez intuitif et ne fonctionne pas avec tout le monde » . Lors de l’inauguration du Centre international de l’art pariétal fin 2016, plus connu sous le nom de Lascaux IV, la communication avait laissé une large place aux outils numériques proposés. Deux ans plus tard, André Barbé se montre bien plus nuancé : « Dans l’absolu, on pourrait gagner plus d’argent en faisant du tout numérique mais on se rend compte que notre succès vient en réalité de la possibilité d’avoir un guide, une personne qui vous prend la main et vous raconte une histoire. Lascaux est un site qui invite à la contemplation et ce n’est pas toujours compatible avec une tablette numérique. » Du côté du Musée Mer Marine, inauguré le 21 juin 2019, Norbert Fradin, son promoteur, souligne aussi les limites de l’exercice : « Quand on fait du numérique sans être Hollywood, on prend le risque d’être vite périmé. Le poids de l’image est important mais il ne faut pas être dans le virtuel à tout prix. Les écrans doivent être un complément aux vrais objets, qui sont le coeur du musée. » Deux analyses qui illustrent concrètement les limites de la technologie sans pour autant lui tourner le dos. « On parle beaucoup de big et de smart data dans de nombreux secteurs d’activité. La vérité dans le tourisme, c’est que les opérateurs ne disposent pas souvent de métriques satisfaisantes » , argumente Ludovic Dublanchet, cofondateur d’Agitateurs de destinations numériques et spécialiste de l’e-tourisme. « Souvent les données sont datées, pas homogènes, et proviennent d’une multitude d’acteurs. A contrario, les compagnies aériennes n’en fournissent aucune, l’hôtellerie non plus. Pour les collectivités, il est donc compliqué de s’emparer de ces outils. Il en existe d’ailleurs assez peu. En conséquence, la plupart des acteurs du tourisme sont dans une posture d’observation et l’on observe un vrai creux tech. »
MIKAËL LOZANO
UNE FILIÈRE CHAMBOULÉE
Cette absence de dynamique s’explique aussi par l’histoire récente d’une filière chamboulée par l’émergence de nouveaux services web. « On a tendance à oublier que le tourisme a été un des premiers secteurs impactés par la technologie, poursuit Ludovic Dublanchet. En quelques années, les sites de réservations, les sites d’avis et de recommandations, les réseaux sociaux, le mobile également, ont changé la donne. Les utilisateurs finaux ont souvent pris en main très rapidement ces évolutions, devançant les opérateurs. Ces derniers ont ensuite essayé de prendre de l’avance, ont beaucoup testé et investi également. Il y a eu en suivant une sorte de désillusion car ces technos n’étaient pas mûres, coûtaient cher et les attentes du public n’étaient pas forcément là. Sur tous les sujets, même sur les chatbots, on relève un certain retrait des opérateurs, d’autant plus que le client demande désormais de l’insolite, du sur-mesure, du contact humain et de l’authentique. »
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