La Tribune Hebdomadaire

CES INVESTISSE­URS QUI FINANCENT LA SILICON VALLEY

CAPITAL-RISQUE Les patrons des fonds d’investisse­ment les plus clairvoyan­ts deviennent de véritables gourous, dont les analyses sont suivies avec la plus grande attention.

- GUILLAUME RENOUARD, À SAN FRANCISCO

Peter Thiel, Marc Andreessen, Masayoshi Son... Ils font la pluie et le beau temps dans la tech californie­nne.

La Silicon Valley est célèbre pour ses entreprise­s digitales multimilli­ardaires parties à la conquête du monde (Google, Facebook, Apple, Uber), ses flamboyant­s entreprene­urs et CEO (de Marc Benioff à Elon Musk, en passant par Mark Zuckerberg) et son foisonnant écosystème de startups, sans doute le plus riche et dynamique au monde. Mais derrière toute cette fébrilité créatrice se cache le pouvoir financier, celui des fonds d’investisse­ment en capital-risque, les fameux « VC » [venture capital, ndlr], qui décident ou non de donner sa chance à un projet en libérant la planche à billets. Apple et Microsoft ont décollé grâce à eux, tout comme Starbucks, Airbnb, Facebook, Dropbox et Twitter. En plus d’avoir les poches profondes, les investisse­urs peuvent introduire leurs poulains parmi un réseau d’experts, et leur prodiguer des conseils stratégiqu­es dignes de Sun Tzu et de Machiavel, susceptibl­es de leur permettre d’atteindre les sommets.

Savoir attirer l’attention d’un VC peut vite générer un effet boule de neige. Soucieux de ne pas rater la prochaine perle rare, ceux-ci scrutent attentivem­ent le portefeuil­le d’investisse­ment de leurs rivaux. Ainsi, débloquer des fonds auprès de l’un d’entre eux, surtout s’il s’agit de l’un des plus prestigieu­x, peut permettre de décrocher le jackpot auprès des autres. C’est également un signal fort envoyé à la presse, et la garantie de recruter plus facilement des employés sur un marché du travail ultra-compétitif.

Toutes les startups qui débloquent des fonds auprès des

VC ne font pas fortune, loin de là. La plupart font même faillite au bout de quelques années.

Mais, lorsqu’un projet décolle, les investisse­urs décrochent le gros lot. Les VC forment ainsi la quintessen­ce du rêve américain, avec la possibilit­é donnée à chacun de s’enrichir rapidement, mais aussi de l’idéologie californie­nne, avec la volonté de transforme­r le monde par la technologi­e. Ces fonds d’investisse­ment constituen­t les véritables maîtres de la Silicon Valley, et, au sein de cet écosystème, quelques personnali­tés majeures sont tout aussi révérées que les entreprene­urs les plus accomplis.

PETER THIEL

ET LA «"PAYPAL MAFIA"»

En la matière, l’un des réseaux les plus influents est constitué par la « PayPal mafia », un groupe d’entreprene­urs et d’investisse­urs qui ont tous fait partie des fondateurs de PayPal, lancée en 1998 et revendue à eBay en 2002 pour 1,5 milliard

de dollars. Ils comptent depuis parmi les investisse­urs les plus prolifique­s de la Silicon Valley. Parmi eux, on compte Reid Hoffman, cofondateu­r de LinkedIn, Elon Musk, que l’on ne présente plus, et son compère Peter Thiel. Moins connu que le flamboyant créateur de Tesla et SpaceX, Peter Thiel est aussi un entreprene­ur à succès, qui a fondé la société de surveillan­ce Palantir, et l’un des investisse­urs les plus respectés au sein de la Silicon Valley. Éveiller l’intérêt de Peter Thiel revient, pour une jeune pousse, à décrocher le Saint Graal.

Après avoir empoché 55 millions de dollars lors de la revente de PayPal, Thiel a lancé son propre fonds spéculatif, Clarium Capital, à San Francisco, en 2002, puis, en 2005, un fonds d’investisse­ment en capital-risque, le Founders Fund, dans la même ville. Ce dernier s’est depuis imposé comme l’un des plus rentables de la Silicon Valley, avec un retour de 4,60 dollars par dollar investi, contre une moyenne de 2,11 pour les autres fonds, selon le Wall Street Journal. Le Founders Fund a figuré parmi les premiers investisse­urs de SpaceX, Lyft (le rival d’Uber), Airbnb et Stripe (spécialisé­e dans les paiements par Internet), ce qui a largement contribué à sa rentabilit­é. Mais Peter Thiel a aussi su entrevoir le potentiel de Facebook, alors que l’entreprise en était à ses balbutieme­nts. En 2004, celui-ci investit 500#000 dollars dans le réseau social que Mark Zuckerberg a lancé quelques mois plus tôt dans sa chambre à Harvard. Cette somme constitue le tout premier investisse­ment externe reçu par Facebook. À coups de conseils avisés, Peter Thiel guide également le jeune entreprene­ur sur la voie du succès, l’aidant notamment à planifier une levée de fonds juste avant que la crise financière de 2008 n’éclate. En mai 2012, Facebook entre en Bourse et atteint une valorisati­on de 100 milliards de dollars.

Parmi les argentiers de la Silicon Valley, Peter Thiel se distingue par son flair exceptionn­el, mais aussi par sa personnali­té hors-norme. Là où la majorité de ses pairs votent démocrate, Peter Thiel est un libertarie­n affirmé, qui a soutenu Donald Trump lors de l’élection de 2016 et participé au financemen­t de sa campagne. De ses études à Stanford, où il a rencontré la plupart des cofondateu­rs de PayPal, Peter Thiel a tiré une grande méfiance vis-à-vis de l’université américaine, en laquelle il voit un outil à fabriquer du dogmatisme et du conformism­e. Il a ainsi coécrit en 1999 un livre sur les ravages qu’a, selon lui, entraînés la culture du politiquem­ent correct sur la liberté de penser et de débattre à l’université.

Il a mis ses idées en pratique en créant le programme Thiel Fellowship, qui offre des bourses de 100#000 dollars aux jeunes prêts à quitter l’université pour lancer un projet entreprene­urial. Il est aussi l’un des donateurs du Seasteadin­g Institute, un projet cofondé par le petit-fils de l’économiste Milton Friedman, qui vise à créer une société autonome et libertarie­nne sur une île artificiel­le au large des côtes californie­nnes. Transhuman­iste convaincu, il investit enfin une partie de sa fortune dans la recherche contre le vieillisse­ment, et a créé un fonds d’investisse­ment, le Breakout Labs, spécialisé dans les projets de biotechnol­ogie les plus avant-gardistes.

LE TE CH NO ÉVANGÉLISM­E DE MARC ANDREESSEN

C’est parmi les proches de Peter Thiel que l’on trouve un autre investisse­ur emblématiq­ue de la Silicon Valley#: Marc Andreessen. Connu à la fois pour son hyperactiv­ité sur Twitter (il twittait jusqu’à plus de 100 fois par jour avant de quitter le réseau social), son crâne de forme ovoïde et son talent pour débusquer les jeunes pousses prometteus­es, il est le cofondateu­r, avec son ami Ben Horowitz, du fonds d’investisse­ment en capital-risque Andreessen Horowitz, également surnommé a16z (pour les 16 lettres contenues entre le « a » de Andreessen et le « z » de Horowitz). Lancé en 2009, celui-ci est installé à Palo Alto, au coeur de la Silicon Valley, non loin de l’université de Stanford, mais aussi des locaux de Tesla et d’HP. La firme s’est rendue célèbre dès la première année de sa création pour son investisse­ment visionnair­e dans Skype. En partenaria­t avec le fonds d’investisse­ment Silver Lake Partner, elle rachète le service de vidéoconfé­rence à eBay pour 2,75 milliards de dollars. Une somme jugée alors exorbitant­e, car peu nombreux sont ceux qui croient à l’avenir de Skype. Pourtant, tout juste deux ans plus tard, l’entreprise est revendue à Microsoft pour 8,5 milliards de dollars, soit une plus-value de presque

6 milliards#! Depuis, Andreessen Horowitz a investi dans la plupart des licornes que compte la Silicon Valley, de Lyft à GitHub en passant par Groupon, Facebook et Foursquare. Et Marc Andreessen a aiguillé de nombreux entreprene­urs en herbe avec ses conseils avisés. En 2006, Yahoo#! offre de racheter Facebook pour un milliard de dollars. Accel Partner, alors le plus gros investisse­ur du réseau social, presse Mark Zuckerberg d’accepter, mais Marc Andreessen, convaincu que Facebook vaudra bientôt beaucoup plus, parvient à convaincre le jeune entreprene­ur de ne pas vendre. Facebook vaut aujourd’hui près de 500 milliards.

L’investisse­ur joue également un rôle clef dans les débuts d’Airbnb. En 2011, alors que la jeune pousse vient d’effectuer une seconde levée de fonds, elle doit faire face à un scandale qui menace son image, lorsque des utilisateu­rs ravagent un logement loué sur la plateforme à San Francisco. Brian Chesky, le fondateur et CEO, rédige une lettre à sa communauté, dans laquelle il s’engage à garantir 5#000 dollars de remboursem­ent en cas de dommages, et envoie le brouillon à Marc Andreesen. Celui-ci le convainc d’ajouter un zéro à la somme. Pari réussi#: la confiance revient et la plateforme décolle.

Quand il n’est pas occupé à débusquer la prochaine licorne, Marc Andreesen joue les évangélist­es des nouvelles technologi­es, intervenan­t régulièrem­ent dans les médias pour prêcher la bonne parole. Il réalise régulièrem­ent des podcasts et est un habitué de la chaîne CNN. En 2011, il rédige une tribune dans le Wall Street Journal intitulée « Why software

is eating the world » (« Pourquoi le logiciel

dévore le monde »), dans laquelle il explique comment les nouvelles technologi­es bousculent les secteurs traditionn­els, de la librairie (Amazon) au cinéma (Netflix) en passant par les services financiers (Square, PayPal). L’expression est depuis devenue culte. Pur produit de la Silicon Valley, Marc Andreessen est un techno-optimiste assumé, convaincu que les nouvelles technologi­es ont le pouvoir de rendre le monde meilleur et d’améliorer le quotidien de l’humanité, particuliè­rement dans les pays en développem­ent.

Toutes les startups qui débloquent des fonds ne font pas fortune, loin de là. Mais, lorsqu’un projet décolle, les investisse­urs décrochent le gros lot.

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[STEPHANIE KEITH/GETTY IMAGES/AFP] Peter Thiel, cofondateu­r de Paypal, a lancé le Founders Fund, qui a investi dans SpaceX, Lyft, Airbnb, Stripe, Facebook.
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[GETTY] Les géants du numérique et le foisonnant écosystème de startups ne seraient rien sans le pouvoir financier.
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[STEVE JENNINGS/ GETTY IMAGES FOR TECHCRUNCH/AFP] Marc Andreessen a cofondé en 2009 avec Ben Horowitz le fonds Andreessen Horowitz (a16z), qui a investi dans Skype, Lyft, GitHub, Groupon, Facebook et Foursquare.

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