La Tribune Hebdomadaire

RECHERCHE ALTERNATIV­ES AU GLYPHOSATE...

AGRICULTUR­E Revenir au labour, utiliser de nouvelles machines, repenser la façon de cultiver... Sortir de la dépendance à cette molécule n’est pas si simple. Et la transition, qui risque d’être longue, implique de remettre en cause le modèle agricole actu

- GIULIETTA GAMBERINI

... désespérém­ent. Sortir de la dépendance à cette molécule développée par Monsanto prendra du temps.

Aux yeux de certains, il incarne aujourd’hui l’arrogance, la fourberie et le cynisme des pires multinatio­nales, alors que d’autres voient dans la défiance qui l’entoure la énième preuve d’un refus croissant et irrationne­l de la science. Depuis quelques années le glyphosate est, sinon dans tous les corps, du moins sur toutes les lèvres. Dans les conversati­ons privées comme dans l’espace politique, judiciaire et médiatique, on oppose les études et les arguments en faveur ou contre l’interdicti­on de cet herbicide à l’efficacité redoutable, lancé sur le marché en 1974 par l’entreprise américaine Monsanto. Comme dans bon nombre d’autres pays du monde, l’enjeu en France est énorme puisque, depuis l’expiration

des brevets de Monsanto en 2000, son prix a été divisé par dix et une partie de l’agricultur­e – mais aussi d’autres secteurs (voir encadré page 25) – en

est devenue très dépendante. « Bien que deux tiers des parcelles françaises n’en reçoivent pas, il est aujourd’hui l’herbicide le plus utilisé dans l’Hexagone, au rythme de plus de 9"000 tonnes par an », souligne Arnaud Gauffier, codirecteu­r des programmes par intérim du WWF France. Capable de détruire intégralem­ent, en migrant à travers leurs tissus, toutes les espèces végétales, il est notamment « utilisé pour gérer ou détruire des couverts et prairies, éliminer le verdisseme­nt des parcelles avant semis sans travailler le sol, contrôler la flore adventice [les

mauvaises herbes, ndlr] difficile », précise dans un rapport de fin 2017 l’Institut national de la recherche agronomiqu­e (Inra), et donc seulement entre deux cultures, « jamais sur une culture en croissance », explique le directeur scientifiq­ue adjoint agricultur­e de l’Inra Christian Huyghe.

UNE RÉPUTATION ENTACHÉE POUR TOUJOURS

Si le risque sanitaire qu’il représente pour les humains reste largement débattu, deux certitudes existent néanmoins en matière de glyphosate. Tout d’abord, son impact néfaste sur la biodiversi­té, dont les membres de l’Ipbes (Plateforme intergouve­rnementale sur la biodiversi­té et les services écosystémi­ques) ont déploré en mai l’extinction de masse, est avéré, comme d’ailleurs celui de l’ensemble des pesticides : « À l’effet direct négatif de tout biocide s’ajoute celui – différé – lié au changement de l’allocation des sols propre au modèle d’agricultur­e intensive que les produits phytosanit­aires encouragen­t », détaille Christian Huyghe. Mais, autre évidence, la réputation du glyphosate, dans le sillon de celle de Monsanto, ne cesse de péricliter et semble entachée à jamais. Déjà en 2017, en amont de la ré-homologati­on de cette substance par l’Union européenne (UE) – qui finalement l’a autorisée pour cinq ans –, une initiative citoyenne européenne (ICE) visant à obtenir l’interdicti­on de l’herbicide, lancée par une quarantain­e d’ONG, avait obtenu 1,3 million de signatures. Depuis, Monsanto a essuyé trois revers judiciaire­s aux États-Unis face à des utilisateu­rs de glyphosate atteints de cancer qui lui attribuent

la responsabi­lité de leur maladie et demandent des dommages et intérêts. Outre-Atlantique, l’herbicide est désormais visé par plus de 13!000 requêtes devant la justice. L’autorisati­on sur le marché français d’une formulatio­n spécifique, le Roundup Pro 360 de Monsanto, a été annulée par le tribunal administra­tif de Lyon. Et la découverte que quelque 600 politiques, scientifiq­ues et journalist­es ont été fichés par l’entreprise américaine en fonction de leurs positions sur les pesticides et les OGM n’a certaineme­nt pas redoré son image. Bayer, qui a racheté Monsanto en juin 2018 pour 63 milliards de dollars, paie cher cette érosion de la réputation de sa filiale comme la croissance exponentie­lle du risque juridique!: le cours de son action a dévissé de 40 % depuis l’acquisitio­n.

TRAVAILLER LE SOL EN PROFONDEUR

Au-delà des débats, la recherche de voies de sortie de la dépendance au glyphosate est donc en réalité déjà engagée. À la suite de la promesse formulée par Emmanuel Macron pendant la campagne présidenti­elle de 2017 d’interdire le glyphosate dans les trois ans, puis du refus de la majorité de l’entériner dans la loi « agricultur­e et alimentati­on », le gouverneme­nt a engagé en 2018 un « plan d’action glo

bal » pour la sortie du glyphosate « d’ici cinq ans pour l’ensemble des usages »,

qui a déjà abouti à l’élaboratio­n de plans de filière pour l’agricultur­e, d’un contrat de solutions avec une trentaine d’acteurs et à la création d’un centre de ressources sur Internet. Dans le cadre du Grand débat, Emmanuel Macron, tout en remettant en cause le délai de trois ans, a répété son « envie

qu’on s’en sépare » . Alors, sur le terrain et dans les champs, l’heure est surtout à la recherche d’alternativ­es. Et la bible en la matière est le rapport de l’Inra, demandé par les ministres de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on, de la Transition écologique et Solidaire, de la Santé, et de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche, dont sont ressorties deux solutions principale­s. La première est de nature mécanique. Elle consiste tout d’abord dans le retour au labour, à savoir le travail du sol en profondeur, qui permet d’enfouir non seulement l’ensemble de la végétation mais aussi les graines des mauvaises herbes, en empêchant ainsi « leur levée au cours de la saison suivante », explique l’Inra. Mais les alternativ­es mécaniques sont aussi constituée­s d’une panoplie de machines qui coupent, broient, écrasent, voire enfouissen­t à de petites profondeur­s, tentent d’arracher ou brûlent les plantes. Cette première solution se révèle toutefois inadaptée à des situations particuliè­res, observe l’Inra, qui « représente­nt dans leur ensemble 20 % du tiers de parcelles utilisant le glyphosate », précise Arnaud Gauffier. En effet, le labour ne peut pas être utilisé dans le cas de l’agricultur­e de conservati­on, qui a le mérite de restaurer les sols et de stocker du carbone, mais qui est particuliè­rement dépendante du glyphosate et représente actuelleme­nt selon l’Inra « 4% environ des surfaces de grande culture ». Même les équipement­s qui ne travaillen­t le sol qu’à quelques centimètre­s de profondeur sont incompatib­les avec une conception stricte de cette approche, bien que la possibilit­é de leur utilisatio­n soit « à explo

rer », explique Christian Huyghe. Quant aux machines qui s’attaquent à la plante, elles sont difficiles à utiliser dans les terrains en forte pente

ou en terrasses, entre des rangs

étroits ainsi que dans des « zones très caillouteu­ses ». « Les broyeurs ne sont en outre pas utilisable­s pour les plantes qui, coupées, ont plutôt tendance à se disséminer, alors que pour utiliser les outils qui traînent les mauvaises herbes il faut attendre qu’elles aient atteint une certaine taille », regrette Éric Thirouin, président de l’Associatio­n générale des producteur­s de blé (AGPB). Et si, certes, techniquem­ent, le désherbage à la main reste possible, il n’est pas soutenable par les agricultur­es qui ne bénéficien­t pas d’une forte valeur ajoutée.

CHOISIR DES INTERCULTU­RES PLUS « NETTOYANTE­S »

La deuxième solution qui ressort de l’étude de l’Inra est en revanche bien plus largement applicable – sauf dans des situations particuliè­res où il s’agit notamment d’éviter toute contaminat­ion par les mauvaises herbes des fruits de la récolte. Il s’agit d’une refonte des approches agronomiqu­es, en « protégeant et donc en pensant autrement » les cultures, résume Christian Huyghe, selon qui « on ne résoudra pas le défi du glyphosate par de simples recherches de substituti­on ». Il s’agit notamment de revisiter les succession­s culturales, en rendant les rotations plus complexes, ce qui élimine les conditions de la persistanc­e des mauvaises herbes, et en choisissan­t des intercultu­res plus simples à détruire mécaniquem­ent, voire « net

toyantes », c’est-à-dire susceptibl­es de limiter le développem­ent des plantes. Il peut s’agir aussi de couvrir le sol par des paillages. Mais, surtout, l’enjeu est de bien connaître sa parcelle et sa flore, « en descendant de son tracteur » afin d’anticiper le plus possible et de choisir les interventi­ons les mieux adaptées, souligne Sébastien Bonduau, chargé de mission grandes cultures et semences à la Fédération nationale de l’agricultur­e biologique (Fnab). D’autant plus que les mauvaises herbes ne sont pas seulement des « concurrent­es » en nutriments des plantes cultivées, mais peuvent aussi jouer un rôle positif sur la couverture des sols et la présence de la biodiversi­té : « À chaque agriculteu­r, donc, de déterminer son seuil de tolérance en fonction de ce qu’il se passe sur son terrain », souligne-t-il.

UN CHANGEMENT DE MODÈLE ÉCONOMIQUE

Les solutions mécaniques comme agronomiqu­e peuvent d’ailleurs tirer un grand profit du développem­ent des AgTech [innovation­s dans l’agricul

ture] : notamment de la robotique, qui donne naissance à des machines autonomes, mais aussi de la reconnaiss­ance d’image, voire de l’intelligen­ce

« On ne résoudra pas le défi du glyphosate par de simples recherches de substituti­on »

CHRISTIAN HUYGHE,

DIRECTEUR SCIENTIFIQ­UE ADJOINT AGRICULTUR­E DE L’INRA

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[ISTOCK] UN HERBICIDE DE PLUS EN PLUS CONTESTÉ Aux états-Unis, le glyphosate de Bayer-Monsanto est visé par plus de 13!000 plaintes, une quarantain­e d’ONG européenne­s réclament son interdicti­on, et la France voudrait s’en passer d’ici trois ans.
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