Laurent Berger, CFDT
Sans confiance, pas d’avenir. »
SYNDICALISME Le secrétaire général de la CFDT estime que la confiance est malmenée par l’exécutif. Or, c’est la clé de voûte de toute perspective d’avenir. En témoigne le « Pacte pour le pouvoir de vivre », qui conjugue enjeux environnementaux et sociaux.
Dans l’éventail des mots composant votre lexique de syndicaliste, quelle place conférez-vous à la confiance!? Des vocables conditionnant le dialogue social, est-il le plus névralgique!? Mais aussi le plus vulnérable!? Il n’y a pas de « contrat » – support cardinal de la doctrine cédétiste – sans confiance… La confiance est constitutive de toute relation humaine, mais elle ne se décrète pas!: elle se construit à l’épreuve des faits. Elle est un élément fondamental du dialogue social. Car elle signifie loyauté, reconnaissance de l’interlocuteur dans sa légitimité et sa capacité de s’engager, volonté « réelle » d’ouvrir la discussion – aussi musclée se révélera-t-elle par la suite. Et en effet, pas de contrat sans confiance. Celle-ci est la « clé de voûte » des contributions aboutissant au compromis et à l’accord que les parties seront déterminées à mettre en oeuvre, elle est aussi un pivot au moment d’appliquer les lois et les mécanismes de régulation qui nous assurent de « vivre ensemble ». Parfois elle n’est pas suffisante pour aboutir mais s’il n’y a ni traîtrise ni duplicité, elle est alors préservée et peut « resservir ». À d’autres moments, elle est rompue!; il n’y a jamais de séance de rattrapage… Vous êtes syndicaliste depuis vingt-quatre ans, mais êtes aussi l’héritier de ce que François Chérèque, Nicole Notat, et même Edmond Maire ont semé avant vous. De ce prisme étalé sur plusieurs décennies, constatez-vous une altération des « conditions » de confiance entre partenaires sociaux, mais aussi avec l’ensemble des protagonistes du dialogue social et en premier lieu l’État!? Sur une période aussi longue, cette « ligne de confiance » est bien sûr irrégulière, puisqu’elle est liée en premier lieu au comportement des acteurs, mais aussi aux particularismes de l’époque. Aujourd’hui, ce qui est nouveau et conditionne nécessairement le lien de confiance, c’est que les transformations auxquelles nous sommes exposés sont colossales et évoluent à très grande vitesse. Personne vraiment ne sait où nous allons car la période est pleine d’incertitudes. Pour exemples, prenons le changement climatique et la justice sociale. Plus personne ne peut nier que la situation environnementale dépasse chaque jour un seuil un peu plus critique que la veille, et ceci dans un mouvement d’accélération phénoménal. Sans confiance, comment peut-on espérer freiner puis stopper cette course folle!? Sans confiance, comment pouvons-nous nous rassembler autour d’un nouveau modèle de développement qui à la fois endigue, répare, et réenchante!? Quant à l’enjeu de la justice sociale, n’est-ce pas le déficit de confiance qui donne à beaucoup le sentiment que leurs enfants vivront moins bien qu’eux-mêmes!? Sentiment d’autant plus délétère qu’il encourage au repli, à l’individualisme, à l’égoïsme, des réflexes mortifères pour la personne autant que pour la société. Or « la » solution est et plus encore sera collective. Cette érosion d’une confiance appréhendée dans sa dimension sociétale fait-elle écho à celle que pourraient constater les acteurs du dialogue social dans l’entreprise!? Actuellement, au sein des entreprises sont mises en oeuvre les nouvelles instances représentatives du personnel!: les comités sociaux et économiques (CSE), issus des ordonnances de la loi travail de septembre 2017. Chaque jour les militants en témoignent!: les conditions de mise en oeuvre des CSE sont la cristallisation de ce sujet si central de la confiance. Car les cas de figure couvrent un large spectre de situations, au gré du climat de confiance caractérisant le dialogue social. On voit le bon et beaucoup plus souvent le pire… Le gouvernement disait vouloir faire confiance au dialogue social et il ne lui a pas donné les moyens. Et trop d’entreprises en ont profité pour réduire ce dialogue social à peau de chagrin. Justement, vous aviez déclaré accueillir « avec
confiance » l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, vous aviez ensuite affirmé aborder
« dans la confiance » les premiers chantiers avec le gouvernement. À partir de quand, dans le cadre de quel dossier, avez-vous éprouvé que cette confiance se délitait!? Dès la fin du mois d’août 2017, dans le cadre de ces fameuses ordonnances. Elles furent le premier théâtre de ce qui allait dominer par la suite!: la logique s’imposant était celle de l’unilatéralité et de la verticalité, celle de la seule efficacité économique, de l’abaissement des contraintes pour les entreprises, de la vulnérabilisation du dialogue social, celle, finalement, d’un abandon progressif du « sens » et des politiques sociales. Mais pouvait-il en être autrement dès lors qu’à l’espoir d’une démarche « véritable » de dialogue, de consultation, de concertation se substituait une logique purement individuelle!? À l’aune du dernier sujet de discorde, la réforme de l’assurance-chômage, estimez-vous qu’aujourd’hui cette confiance est brisée!? À quelles conditions peut-elle, selon vous, se régénérer!? Soyons clairs!: il n’y a pas d’affect lorsqu’on négocie avec un employeur, le patronat ou le gouvernement. L’ensemble des acteurs sont dans un rapport de force, il s’agit simplement de viser un accord équilibré, un compris partagé par tous, et cela seules les conditions de la confiance le déterminent. En l’occurrence, le plus dommageable n’est pas que nous ayons échoué à signer un accord et que nous soyons