La Tribune Hebdomadaire

Geoffroy Roux de Bézieux, Medef

« Nous devons dialoguer avec les ONG. »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE

Montée des populismes, du protection­nisme, risques climatique­s, crises migratoire­s et géopolitiq­ue… Comment les chefs d’entreprise peuvent-ils garder confiance dans l’avenir dans un monde sous de telles tensions!? La confiance est constituti­ve de l’économie de marché. C’est quand on a confiance qu’on investit, qu’on consomme. C’est l’un des moteurs de la croissance. Les signaux perturbate­urs sont en effet assez généralisé­s en ce moment, que ce soit à l’échelle du pays ou du monde. La montée des tensions entre la Chine et les ÉtatsUnis, même si je note une certaine accalmie depuis le G20 d’Osaka, mais aussi les risques de conflits régionaux au Moyen-Orient, notamment entre l’Iran et l’Arabie saoudite, tout cela crée un environnem­ent complexe et déstabilis­ant pour les affaires. Les démocratie­s, à l’ouest, sont aussi sous tension, avec la poussée des populismes. La défiance envers les élites, les dirigeants, les institutio­ns au sens large n’a jamais été aussi forte. Dans notre sondage BVA/ La Tribune, quand on interroge les Français pour savoir en qui ils ont confiance, les PME arrivent largement en tête, avec 77 % de taux de confiance, tandis que 80 % ont une mauvaise image des syndicats patronaux comme le Medef. Cela ne vous surprend pas, vous qui avez fait campagne en déclarant que le Medef peut mourir s’il ne se réforme pas!? En effet, il y a encore un très gros travail à mener pour reconstrui­re la confiance. Je ne suis pas surpris par le haut niveau de confiance des Français dans les PME. Les gens ont davantage confiance dans les échelons les plus proches d’eux. Cela fonctionne de la même manière pour les maires. On a confiance dans les acteurs de proximité, que l’on peut approcher, et on se défie de ceux qui sont plus distants. Les syndicats patronaux peuvent apparaître centralisé­s, lointains, et c’est pour cela que nous avons transformé notre organisati­on pour aller vers plus de proximité dans les territoire­s. Cela nous pousse à accélérer les changement­s. Vous avez en effet annoncé une réforme importante du Medef. Quelles en sont les grandes lignes!? Cette réforme a été adoptée par l’Assemblée générale du Medef le 2 juillet, à 97,6 %. Signe qu’elle représenta­it une véritable nécessité. Le premier axe consiste à donner plus de place aux territoire­s dans la gouvernanc­e en renforçant leur poids et leurs moyens d’action. Les 12 Medef régionaux seront désormais présents au conseil exécutif. Le deuxième axe, c’est d’organiser notre indépendan­ce financière en renonçant volontaire­ment aux sub

ventions paritaires [le Medef perçoit 4,4 millions d’euros, soit 12 % de son budget, de sa participat­ion à l’Unedic, à la Caisse nationale d'assurancev­ieillesse et aux caisses d'allocation­s

familiales, ndlr]. Pour renouer avec la confiance, il faut en passer par cette étape de transparen­ce. Le troisième principe, c’est la démocratis­ation de l’élection, en élargissan­t le corps électoral, qui passera de 550 à 1$100 délégués. C’est aussi la féminisati­on de nos instances. Nous nous fixons l’objectif de parvenir en trois ans à la parité économique, c’est-à-dire à 30 % de femmes. Nous devons aussi nous réformer en interne pour être plus efficaces au service de nos adhérents. Enfin, je souhaite ouvrir le Medef à la société civile, à un moment où les parties prenantes deviennent des interlocut­eurs des entreprise­s. Nous allons donc créer une cellule de dialogue avec les ONG. Vous avez dit qu’aujourd’hui, « Hulot est devenu plus important que Martinez » … C’est une façon de souligner que, dans le contexte actuel, l’influence de la société civile au sens large doit être mieux prise en considérat­ion. Les syndicats de salariés demeurent bien sûr un pilier du dialogue social dans les entreprise­s, mais cela devient un dialogue tripartite, incluant les ONG pour prendre en compte toute la société. C’est particuliè­rement vrai dans le cas des entreprise­s cotées où les salariés, les clients et les actionnair­es, comme les fonds d’investisse­ment, demandent des comptes sur la RSE. Le Medef se découvre écolo, comme Macron ? Les entreprise­s ont pris conscience de la nécessité de faire évoluer leurs modèles de business. Il n’y a plus beaucoup de patrons climatosce­ptiques depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Des engagement­s ont été pris à l’égard de la société dans son ensemble, la question qui se pose aujourd’hui est : comment les mettre en oeuvre. Or, on le voit de plus en plus, les nouvelles technologi­es, la science, sont en mesure d’apporter des réponses nouvelles, qu’il s’agisse de réduire les émissions de CO2 ou de sobriété énergétiqu­e. Des modèles de production qui semblaient hors de portée, trop onéreux, sont en train d’émerger, et c’est notre responsabi­lité de chefs d’entreprise que d’en tenir compte. La pression vient de la société civile, mais aussi des clients et des salariés. Le Medef n’attire plus, notamment les jeunes entreprene­urs. Comment inverser la tendance!? En donnant, comme je l’ai proposé, plus de place et de représenta­tion aux territoire­s, mais aussi en menant une campagne de prospectio­n pour convaincre et recruter de nouveaux adhérents. Pour cela, nous allons développer une gamme de services aux entreprise­s mutualisés au niveau du Medef mais déployés sur l’en

« Il n’y a plus beaucoup de patrons climatosce­ptiques depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015 »

semble du territoire. J’ajoute que nous avons créé un « comex 40 » rassemblan­t 45 chefs d’entreprise de moins de 40 ans, composé de 23 femmes et 22 hommes. Emmené par Paola Fabiani, il montre que le militantis­me patronal se transmet et évolue. Ses premiers travaux porteront sur les impacts du recul de la démocratie et des migrations sur nos économies.

Sur l’assurance-chômage, l’État a repris la main. Le Medef a-t-il encore sa place dans le paritarism­e!?

Le paritarism­e de négociatio­n est face à deux difficulté­s. Les réformes du marché du travail ont renvoyé les négociatio­ns vers les branches et les entreprise­s. Ce qui semblait encore possible au siècle dernier – une négociatio­n interprofe­ssionnelle nationale couvrant l’ensemble du spectre – n’est plus envisageab­le dans un monde où coexistent des entreprise­s de plus en plus diverses. Il faut essayer de réinventer, définir le cadre de négociatio­ns nationales avec les syndicats de salariés qui ne soient pas normatives, mais plutôt indicative­s, sur des sujets nouveaux. Il y a des changement­s en cours dans le monde du travail qu’il est indispensa­ble d’aborder#: sur l’impact du numérique, de l’automatisa­tion, de l’intelligen­ce artificiel­le, nous n’en sommes qu’au début. Cela va bouleverse­r nos manières de travailler.

Sur le paritarism­e de gestion, ou de mandat comme les prud’hommes, il y a aussi des questions qui se posent. Il faut y répondre de manière pragmatiqu­e. Ce n’est pas blanc ou noir, tout bon ou tout mauvais. Il y a des cas où le paritarism­e de gestion a bien fait son travail, exercé ses responsabi­lités, comme sur les retraites complément­aires, où les partenaire­s sociaux ont trouvé des accords constructi­fs et innovants. Et d’autres, comme l’assurance-chômage, où il a échoué, mais c’est aussi, il faut le dire, parce que l’État a empiété en permanence sur les prérogativ­es du paritarism­e. Par exemple en accordant sa garantie sur l’endettemen­t, ce qui a déresponsa­bilisé les acteurs, en finançant une partie de Pôle emploi sur le compte de l’Unedic. De fait, cela fait un bon moment que le chômage n’est plus une assurance.

Donc la réforme actuelle, c’est le coup de grâce final!?

C’est la question d’une nouvelle gouvernanc­e de l’Unedic adaptée à la réalité nouvelle qui se pose.

Si on va au bout de cette logique, on va avoir d’un côté une solidarité chômage financée par la CSG, et de l’autre la tentation de baisser les cotisation­s patronales pour financer des assurances privées que ne vont pas manquer de réclamer les salariés, notamment cadres…

Je suis d’accord sur le principe, la philosophi­e du système a changé, mais la loi ne le permet pas. On l’avait proposé au début de la négociatio­n, avec un socle minimal d’indemnisat­ion collectif, payé par l’impôt et une assurance complément­aire financée par une baisse des cotisation­s patronales. L’État s’y est faroucheme­nt opposé ! La seule conséquenc­e prévisible de la réforme, c’est le renchériss­ement des ruptures convention­nelles.

L’Université d’été du Medef, devenue la Rencontre des entreprene­urs de France (REF), se tient cette année à l’hippodrome de Longchamp, pas à HEC. Pourquoi!?

Le lieu n’avait pas changé depuis vingt ans. Nous souhaition­s nous réunir plus près de Paris pour pouvoir accueillir plus de monde, tout en restant dans un cadre estival et convivial. Nous avons choisi un thème pour susciter du débat, « No(s) futur(s), quel capitalism­e demain », parce qu’aujourd’hui, le modèle capitalist­e est confronté à de nombreux défis pour nos démocratie­s libérales#: le climat, les inégalités, qu’elles soient géographiq­ues, de revenus, de destin, les conflits géostratég­iques... Nous voulons aborder ces thèmes sans esprit partisan, avec sérénité et lucidité. Il y aura deux formats#: le in, pour des débats et des controvers­es sur les questions de sociétés#; et le off qui sera un espace d’échanges et networking à destinatio­n de nos adhérents.

Le style Roux de Bézieux au Medef, comment le définissez-vous!?

Chaque président du Medef a imprimé son style en fonction de l’offre politique du moment. Ce n’est pas la même chose d’être président du Medef en 2013 et en 2018. La politique menée par le gouverneme­nt détermine le choix des combats, des priorités et de la communicat­ion qui en découle. Nous sommes dans une logique de propositio­ns face à un gouverneme­nt qui a une attitude globalemen­t pro-business et a fait des réformes importante­s. Mais l’expérience des derniers mois, où ont été prises des mesures qui ne nous sont pas favorables, nous inquiète un peu, qu’il s’agisse du bonus-malus sur les contrats courts, de la suppressio­n de certaines niches fiscales et sociales ou de l’ampleur des défis budgétaire­s à venir, surtout en cas de retourneme­nt de la conjonctur­e. Pour l’instant, l’État se drogue aux taux bas. On a besoin d'un cap clair, de stabilité, de cohérence#: c'est parfois ce qui fait défaut au gouverneme­nt.

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