La Tribune Hebdomadaire

En quoi les Français ont-ils encore confiance!?

BAROMÈTRE Les Français s’inquiètent pour la planète, l’avenir de leurs enfants et de la France. Notre sondage BVA- La Tribune révèle la défiance des citoyens après un hiver marqué par la mobilisati­on des « gilets jaunes ».

- GRÉGOIRE NORMAND

Vote de confiance, école de la confiance, contrat de confiance. Cette notion est dorénavant utilisée au quotidien dans les discours politiques et la vie des Français. Dans son programme et lors de sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait exprimé une volonté de mettre fin au pessimisme ambiant. « J’ai décidé de me présenter à l’élection présidenti­elle car je veux redonner à chaque Française et à chaque Français confiance en eux, confiance en la France et dans notre capacité collective à relever nos défis. Ce faisant, nous redonneron­s à l’Europe et au reste du monde confiance en notre pays », avait déclaré le candidat en mars 2017.

Plus de deux années ont passé, et le mandat du plus jeune président de la Ve République a été bouleversé par une crise sociale sans précédent. La colère des « gilets jaunes » a illustré le déficit de confiance d’un chef de l’État critiqué pour sa pratique verticale du pouvoir. Le maintien de la taxe carbone au moment où le prix du baril de pétrole flambait a provoqué l’exaspérati­on de milliers de Français. À l’heure de l’acte II du quinquenna­t, Emmanuel Macron a promis un changement de méthode en annonçant une meilleure prise en compte des corps intermédia­ires. Cette démarche pourrait se révéler déterminan­te si le président veut poursuivre ses réformes au pas de charge, en maintenant le cap comme il l’a annoncé.

INQUIETS POUR L’ENVIRONNEM­ENT

Interrogés pour La Tribune par BVA, les Français se montrent particuliè­rement inquiets à propos de l’avenir de la planète. Dans le détail, ils sont 39"% à se dire inquiets et 45"% à être plutôt inquiets dans le contexte d’une préoccupat­ion grandissan­te pour les problémati­ques environnem­entales. Il existe quelques disparités en fonction des foyers. Chez les catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s, ils sont 20"% à se déclarer confiants dans le futur de la planète, contre seulement 14"% chez les CSP inférieure­s. Au niveau politique, les sympathisa­nts de la République en Marche (24"%) et des Républicai­ns (28"%) se montrent bien plus sereins que les partisans du Rassemblem­ent national (14"%) ou du Parti socialiste (17"%). L’avenir des enfants est également une thématique clivante. Si 26"% des Français se déclarent confiants en moyenne pour l’avenir de leur progénitur­e, ils ne sont que 9"% au RN. En revanche, les soutiens du parti majoritair­e se montrent bien plus optimistes (47"%), tout comme ceux de la droite (36"%). Les chercheurs du Cevipof rappelaien­t dans une récente enquête que « depuis la Libération, le modèle social français a fonctionné sur la promesse que les génération­s futures vivraient mieux que les précédente­s : les sacrifices des parents seraient les progrès des enfants. Or la décennie écoulée montre le refus de croire en cette promesse politique ».

En ce qui concerne l’avenir de la France, il existe un fossé génération­nel. Si les plus de 65 ans sont les plus optimistes pour l’avenir de l’Hexagone (34"%), c’est moins le cas pour les moins de 35 ans (23"%). Sur le plan politique, les partisans de la République en marche sont en proportion plus nombreux (65"%) à y croire que ceux du Rassemblem­ent national (10"%). Pour Christelle Craplet de BVA, « si les sympathisa­nts de la France insoumise et ceux du Rassemblem­ent national peuvent avoir des points communs sur leur niveau de vie, ils ont un rapport au monde différent, où le pessimisme est plus prononcé chez les partisans du Rassemblem­ent national ».

PLUS SEREINS SUR LEUR AVENIR PERSONNEL

Concernant leur avenir personnel, 50"% des Français se disent confiants. Si l’âge ne représente pas un facteur déterminan­t, le niveau de revenu, en revanche, est important. Sans réelle surprise, il y a 19 points d’écart entre les catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s et les catégories inférieure­s. La zone de résidence peut également avoir une incidence sur la confiance des individus. Si les résidents de l’agglomérat­ion parisienne sont 62"% à être optimistes sur leur futur, ils ne sont que 42"% dans les communes inférieure­s à 20"000 habitants, et 45"% dans les communes rurales. Cette fracture s’est largement exprimée au plus fort de la crise des « gilets jaunes », où les habitants des villes de taille intermédia­ire ont crié leur exaspérati­on. Enfin, l’écart entre les partisans de la République en marche et ceux du Rassemblem­ent national sur leur avenir personnel est considérab­le – 88"% contre 32"%.

Parmi les institutio­ns et acteurs testées par BVA, la notion de proximité joue un rôle essentiel pour les Français. Ils sont 77"% à exprimer de la confiance à l’égard des petites et moyennes entreprise­s (PME), contre 37"% pour les grandes entreprise­s. Les syndicats patronaux arrivent vraiment en bas de tableau : 80"% des répondants affirment qu’ils ne leur font pas confiance. Dans la sphère paritaire, les syndicats de salariés font légèrement mieux, mais une grande partie des Français demeurent méfiants (62"%).

Après les PME arrivent les hôpitaux publics (74!%), les forces de l’ordre (73!%) et, contre toute attente, les experts scientifiq­ues (73!% également). L’école (68!%) et les associatio­ns (67!%) arrivent en milieu de classement. Dans une récente enquête, le Cevipof, rattaché à Sciences Po, expliquait que ces acteurs présentaie­nt des caractéris­tiques qui pouvaient être source de confiance « ou du moins l’antidote à la défiance : assurer une fonction de proximité, mener une mission de protection, être bienveilla­nt et être compétent ».

MÉFIANCE VIS-À-VIS DE LA POLITIQUE

La dernière décennie a été marquée par une forte défiance des Français à l’égard des politiques. Les résultats du baromètre indiquent que 88!% des Français ne font pas confiance aux partis et que 76!% sont méfiants à l’égard des députés et sénateurs. Si les citoyens sont relativeme­nt attachés à la démocratie, l’abstention, qui augmente, et le rejet de la classe politique sont profondéme­nt ancrés dans la population. Cela s’est traduit par la montée des populismes aussi bien en France que dans d’autres pays européens. L’économiste Daniel Cohen expliquait lors d’une récente table ronde organisée à Sciences Po qu’« il y a une relation très forte entre le sentiment d’insécurité économique et la montée des forces antisystèm­es. La déception qui a pu s’accumuler au cours des décennies à l’égard des gouverne

ments en place, qu’ils soient de gauche ou de droite, nourrit cette réaction antisystèm­e. Les

“gilets jaunes” sont clairement dans ce front ». Dans la foulée du Grand débat initié par l’exécutif, 68!% déclarent ne pas faire confiance au gouverneme­nt pour poursuivre les échanges de manière régulière, et 31!% ne font même pas du tout confiance au gouverneme­nt d’Édouard Philippe. À l’opposé, seules 32!% des personnes interrogée­s accordent du crédit au pouvoir en place. Là encore, il existe des contrastes. Si 44!% des plus de 65 ans accordent leur confiance à Emmanuel Macron pour poursuivre le dialogue, ils sont bien moins nombreux dans les autres classes d’âge (autour de 29!%). Au niveau des profession­s, les employés et les ouvriers se montrent très méfiants à l’égard du président : 75!% d’entre eux ne lui font pas confiance malgré la multiplica­tion des mesures sociales et fiscales en faveur des revenus modestes depuis le mois de décembre 2018. Ce niveau de défiance baisse chez les profession­s intermédia­ires (65!%), les cadres (60!%), et les indépendan­ts et chefs d’entreprise (58!%). Sur le plan politique, tous les sympathisa­nts de partis, hormis ceux de la République en marche, expriment de la méfiance à l’égard d’Emmanuel Macron, particuliè­rement au Rassemblem­ent national (83!%) et à la France insoumise (81!%). Cette méfiance est moins prononcée chez les Républicai­ns (72!%), les écologiste­s (67!%) ou les socialiste­s (66!%).

 ?? [SEBASTIEN SALOM GOMIS/SIPA] ?? Les « gilets jaunes » ont largement manifesté le scepticism­e que leur inspire un chef de l’État critiqué pour sa pratique verticale du pouvoir.
[SEBASTIEN SALOM GOMIS/SIPA] Les « gilets jaunes » ont largement manifesté le scepticism­e que leur inspire un chef de l’État critiqué pour sa pratique verticale du pouvoir.

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