Alimentation!: les scandales nourrissent la demande de transparence
AGROALIMENTAIRE Les Français sont de plus en plus méfiants à l’égard de l’agriculture et de la nourriture industrielles. Les géants de l’agroalimentaire et la distribution sont sous pression alors que de nouveaux outils numériques renforcent l’information.
Beaucoup de gras et de peau, un peu de soja et d’amidon, un zeste de viande transformée!: la révélation début juin de la composition réelle des « faux steaks hachés » fournis par une entreprise française à des associations distributrices de nourriture aux plus démunis – qui les croyaient pourtant « pur boeuf 15 % » –, est seulement le dernier en date des innombrables scandales alimentaires bouleversant l’opinion publique française depuis la crise de la vache folle dans les années 1990. De la fraude autour de la viande de cheval en 2013 à celle de la viande polonaise provenant d’animaux malades en 2019, en passant par les oeufs au fipronil et l’affaire du lait contaminé de Lactalis en 2017, leur succession semble même s’accélérer. Avec la prise de conscience de la répartition inéquitable de la valeur dans la chaîne alimentaire et du coût environnemental de la production conventionnelle, ils figurent sans doute parmi les principaux facteurs de la méfiance gagnant des Français vis-à-vis de l’agriculture et de l’alimentation industrielles. Elle s’accompagne d’une demande croissante de transparence, dont témoigne l’ énorme succès des applis d’évaluation des aliments ou la progression exponentielle des ventes de produits bio et locaux.
LE GOUVERNEMENT À L’ÉCOUTE
Ainsi, alors qu’en matière alimentaire plus de 40 % des Français regrettent une dégradation des conditions de production, de la rémunération des producteurs, de la qualité gustative des produits et de leurs effets sur la santé, 65 % estiment que les informations fournies par les marques sont « peu complètes », 62 % « peu claires », 58 % « peu compréhensibles » et 57 % « peu fiables », comme le révèle un sondage Opinion Way-French Food Capital réalisé en 2018 et cité par le site LSA. 86 % souhaitent donc obtenir davantage de renseignements, notamment sur le prix, l’origine géographique et la composition des produits, alors que 28 % réclament même « toutes informations possibles ». 45 % voudraient encore une amélioration des contrôles sanitaires, 41 % des labels, 37 % un étiquetage transparent et 20 % des audits des lieux de distribution. Cette inquiétude au sujet de l’alimentation est d’ailleurs de celles
qui rassemblent. La consultation #AgirPourMieuxManger tout récemment lancée par Make.org a été la plus mobilisatrice depuis la création de la plateforme, avec plus de 460"000 participants, 1"260"000 votes et 8"130 propositions, dont une plébiscitée par 90 % des votants": « retirer les substances soumises à controverse dans les aliments comme dans les ustensiles de cuisine et les contenants alimentaires » .
Les pouvoirs publics tentent de se saisir de cette demande de transparence. En France, les ministères de la Santé, de l’Économie, de l’Agriculture et de l’Intérieur ont ainsi lancé en avril une mission conjointe de leurs services d’inspection respectifs afin d’ « améliorer l’organisation du contrôle de la sécurité sanitaire des
aliments » , conformément à des recommandations de la commission d’enquête parlementaire chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis ainsi que de la Cour des comptes. À la demande du parti La France Insoumise (LFI), une commission d’enquête parlementaire a, elle, travaillé pendant six mois sur le sujet de l’alimentation industrielle et adopté un rapport appelant à imposer davantage de contraintes et de transparence aux producteurs.
MOUVEMENTS SOCIAUX
Le succès en 2017 de l’initiative citoyenne européenne (ICE) visant à obtenir l’interdiction du glyphosate, lancée en amont de la réhomologation de cette substance par l’UE, qui a obtenu plus d’un million de signatures, a même amené la Commission européenne à présenter une proposi
tion « dont l’objet est d’améliorer la transparence des études scientifiques dans le domaine de la sécurité alimentaire » ,notamment « dans les domaines des OGM, des additifs pour l’alimentation animale, des arômes de fumée, des matériaux en contact avec des denrées alimentaires, des additifs, enzymes et arômes alimentaires, des produits
phytopharmaceutiques et des nou
veaux aliments » . Une « situation sans précédent » quant aux effets des mouvements sociaux sur la gouvernance alimentaire, souligne Marie-Cécile Damave, responsable « innovations et marchés » auprès du think tank agriDées.
Face au double danger d’une dégradation de leur réputation et d’un durcissement réglementaire, pour les agriculteurs et les industriels, regagner la confiance devient donc un enjeu incontournable. Il ne s’agit plus seulement de produire mieux, condition nécessaire mais insuffisante": le faire savoir et le prouver devient également essentiel. La prolifération d’outils allant des labels à la blockchain, en passant par des applis de notation, vient les défier, mais peut aussi les assister sur ce chemin. n
Quatre ministères ont lancé une mission conjointe pour
« améliorer l’organisation du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments »