La Tribune Hebdomadaire

Les climatosce­ptiques malmènent la science

RÉACTION Nourrie par le discrédit qui touche toutes les formes d’autorité, la critique « antiécolog­isme » donne de la voix, contestant la rigueur des experts.

- DOMINIQUE PIALOT

Les charlatans de l’écolo

gie. » Le dossier de l’hebd o madai r e Valeurs

actuelles associé à cette une pointe pêle-mêle la tête de liste EELV aux élections européenne­s Yannick Jadot (crédité de 13,1 % des voix)!; le député ex-LREM proche de Nicolas Hulot Matthieu Orphelin!; la figure de proue des jeunes activistes pour le climat – bouc émissaire favori des climatosce­ptiques – la Suédoise de 17 ans Greta Thunberg!; mais aussi le site d’informatio­n Novethic, filiale de la Caisse des dépôts, tous accusés d’embrigader la jeunesse, de porter un totalitari­sme vert, une hystérie écologiste… Contrairem­ent à certains pays tels que les États-Unis, où le déni du changement climatique s’affiche sans vergogne au sommet de l’État, la France n’avait rien connu de tel depuis Claude Allègre et son Imposture cli

matique publiée en 2010 et depuis largement dénigrée, puisque rédigée par un… géologue !

Cette une n’est que l’épisode le plus récent d’un frémisseme­nt que l’on observe depuis plusieurs mois. Non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi sur les plateaux de télévision où l’on a pu voir sur CNews la femme politique et activiste Claire Nouvian malmenée par l’animateur et journalist­e (spécialist­e du sport) Pascal Praud, ou encore l’avocat et essayiste Gilles-William Goldnadel déclarer sur LCI face à la secrétaire d’État à la transition écologique : « Je ne sais pas ce que c’est que la science. » Point commun de ces positions résurgente­s dans le débat public : elles s’appuient sur le fondement même de la lutte contre le changement clima

tique : la science. Valeurs actuelles établit un distinguo entre « science officielle » et « véritable science », allant même jusqu’à évoquer une « antiscienc­e ». Dans L’Opinion, l’économiste Bruno Durieux accuse « l’écologisme » d’être une idéologie n’ayant « que faire

des preuves et des réfutation­s », et nous empêchant « de voir le monde tel qu’il

est ». Cette tendance récente reflète et renforce tout à la fois une méfiance envers la science, comparable à celle qui frappe toute forme d’autorité, qu’elle soit politique (dont se méfient 11 % des Français, selon un sondage commandé à BVA par La Tribune) ou médiatique (69 % de méfiants).

LA CORDE ÉMOTIONNEL­LE PARFOIS PLUS EFFICACE

L’expert scientifiq­ue, qui a longtemps bénéficié d'une autorité absolue, suscite désormais la défiance d’un Français sur quatre (27 %). Le retour en force du mouvement antivaccin, plus vivace en France que partout a i l - leurs, en est une autre illustrati­on. Sur le climat, c’est évidemment le

Giec (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat) qui concentre toutes les attaques. Pour y répondre, l’une de représenta­ntes, la française Valérie Masson-Delmotte, s’est livrée il y a quelques jours à un long thread

(fil de discussion, ndlr) sur Twitter. Elle y rappelle son rôle d’évaluation d’informatio­ns scientifiq­ues, techniques et socio-économique­s, le principe de relecture critique par les pairs en plusieurs étapes (fondement de la démarche scientifiq­ue), une présidence exercée par des scientifiq­ues ou encore l’absence de recommanda­tion. Les tricheries avérées de certains scientifiq­ues à la solde des lobbies, telles que celles révélées par les

Monsanto Papers, ont contribué à ternir le blason de la science. Mais à qui les défenseurs du climat pourraient-ils être vendus ? Les climatosce­ptiques citent pêle-mêle les économiste­s adeptes de la décroissan­ce, l’ONU en quête d’une gouvernanc­e mondiale, les dictateurs du tiersmonde à l’affût de subvention­s venues des pays du Nord prêts à payer pour expier leurs fautes de vieux pays développés ayant largement contribué à l’effet de serre, les régulateur­s du CO2, les champions de la tech inventeurs de solutions miracles… Dans ce dernier cas, d’ailleurs, il est intéressan­t d’observer que les adorateurs de la science sont, sinon les plus sceptiques quant au réchauffem­ent climatique, en t o ut c a s les moins prompts à prôner un changement des habitudes individuel­les, encore moins du modèle économique, convaincus qu’ils sont que la science trouvera toujours une solution…

Une posture radicaleme­nt opposée à celle des collapsolo­gues, qui, eux, nous annoncent la fin du monde… mais aussi, parfois, des voies pour l’éviter, comme Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, dans leur ouvrage Une autre fin du monde est

possible. Ces derniers ont décidé d’agir sur la corde émotionnel­le plutôt que de s’en tenir à la seule démonstrat­ion rationnell­e. Il est de notoriété publique qu’une seule catastroph­e climatique, surtout si elle s’accompagne d’images chocs, a plus de prise sur l’opinion publique que les longs discours de scientifiq­ues rarement aguerris à la communicat­ion grand public, et plus adeptes de la prudence que du sensationn­alisme. Ainsi, chaque chapitre des rapports du Giec se termine par une section sur les limites des connaissan­ces et les sources d’incertitud­e.

DES JOURNAUX QUI ADAPTENT LEUR TERMINOLOG­IE

Les ouragans Katrina (à La NouvelleOr­léans en 2005) ou Sandy (à New York en 2012) ont suscité une mobilisati­on de l’opinion publique américaine, qui a malheureus­ement fait long feu. L’offensive des climatosce­ptiques dont

Valeur actuelles se fait la tête de pont est d’autant plus spectacula­ire qu’elle intervient en plein épisode caniculair­e. Dans ce contexte, le rôle des médias n’en est que plus délicat. Doivent-ils ouvrir leurs colonnes à tous ou préférer les vrais experts du sujet aux quelques intellectu­els omniprésen­ts dans la sphère médiatique et nous gratifiant de leurs avis « éclairés » sur toutes sortes de questions ? Certains ont choisi. Au Québec, une associatio­n de journalist­es a décidé de traiter toute l’actualité en fonction de l’urgence climatique. The Guardian, qui couvre le sujet de longue date, a franchi un nouveau pas il y a quelques semaines. En plus d’afficher chaque jour en page météo la concentrat­ion de CO2 dans l’atmosphère, le quotidien britanniqu­e a décidé de modifier son

vocabulair­e pour traiter des questions environnem­entales et climatique­s. Le 17 mai, ses journalist­es ont reçu un e-mail de leur rédactrice en chef, Katharine Viner. « Nous voulons veiller à rester précis sur le plan scientifiq­ue tout en communiqua­nt clairement sur ces questions très importante­s. La formulatio­n “réchauffem­ent climatique,” par exemple, sonne de façon un peu trop passive et sympathiqu­e pour désigner un phénomène catastroph­ique pour l’humanité. » Faisant sienne la conviction d’Albert Camus selon laquelle « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce

monde », à « changement climatique » le quotidien britanniqu­e préfère désormais « urgence, crise ou effondreme­nt climatique ». Son exemple pourrait d’ailleurs faire des émules. Le 22 juin, une centaine de militants écologique­s de l’organisati­on Extinction Rebellion ont manifesté devant le siège du New York Times afin de l’exhorter à modifier lui aussi sa terminolog­ie pour parler du dérèglemen­t climatique, tandis que le collectif belge « Déclarons l’état d’urgence environnem­ental et social » adressait une tribune au quotidien belge Le Soir l’appelant à adopter lui aussi le terme d’« urgence climatique ».

« À chaque fois qu’il y a eu de grandes avancées sur les connaissan­ces, il y a eu un renforceme­nt des théories réactionna­ires, remarque le député Matthieu Orphelin dans sa lettre ouverte en réponse à Valeurs actuelles. Les grandes victoires du féminisme ont par exemple réveillé les pires antifémini­stes. Sur le climat, votre dossier est de cette veine réactionna­ire. » De quoi rassurer les 84 % des Français qui, selon notre sondage BVA (lire pages 4 et 5) se disent préoccupés par l’avenir de la planète ? n

« Une seule catastroph­e climatique a plus de prise sur l'opinion publique que les longs discours de scientifiq­ues peu aguerris à la communicat­ion »

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[AP] Figure la plus connue des jeunes engagés dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique, la Suédoise Greta Thunberg est emblématiq­ue de l’hystérie écologiste qui s’est emparée de nos sociétés, selon ses détracteur­s.

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