« Il est encore possible de changer les choses, mais pour combien de temps ? »
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l est encore possible de changer les choses, mais pour combien de temps!? La jeunesse se mobilise partout dans le monde pour impulser une transformation de nos sociétés. Elle a espoir, mais pas un espoir naïf qui serait la caution des générations précédentes. On attend souvent des jeunes qu’ils soient ceux qui portent la promesse d’un avenir meilleur, alors que celui-ci n’est pas encore entre leurs mains. Il faut avoir un espoir pragmatique, qui se nourrit d’actions et de réflexions. Le discours de la Suédoise Greta Thunberg est violent, alarmiste, catastrophiste. Il ne fait que refléter une réalité que les applaudissements de nos dirigeants ne suffiront pas à combattre. Nos parents disent souvent que nous pourrons faire ce que nous voulons dans la vie si nous travaillons bien à l’école. Pourtant, je poursuis mes études en me demandant comment nous en sommes arrivés à nous écrire au futur conditionnel de la peur. Face à une urgence mondiale, la confiance en l’avenir doit se construire à plusieurs. Nous avons besoin d’une secousse d’inquiétude pour construire un modèle plus juste et éviter la violence. Parce que l’urgence est grande, nous n’avons de choix que d’imaginer un nouveau monde. Face à un système qui privilégie l’accumulation de richesses et la compétition, le « marche ou crève » est devenu « rêve ou crève ». Alors travaillons ensemble à faire émerger une véritable vision.
Oui, il faut croire en l’humain pour croire en demain. De manière rationnelle, pour reconstruire une confiance mutuelle, « microéconomique », avec nos institutions et nos concitoyens!: les solutions les plus brillantes du monde ne pourront pas être mises en place sans cela. La recherche économique ressent la vague de défiance qui nous traverse, et lui identifie de nombreuses causes. Pour Pierre Cahuc et Yann Algan, la confiance se construit notamment par l’école. Ils appellent à changer le système scolaire pour le rendre collaboratif, éliminant la hiérarchie dans les formations et encourageant la diversité des parcours. Il m’apparaît, de plus, essentiel que la culture et la créativité y prennent une place plus importante. Les arts portent dans leur histoire l’expression de tous les ouvrages de l’homme, écrite dans la langue universelle de sensibilités. Ils ne s’expliquent pas toujours, mais se font comprendre. Si Notre-Dame a provoqué tant de réactions, c’est aussi parce que la culture est un ciment social inestimable. Les arts sont bien trop silencieux dans cette période de bouleversements, pas assez présents pour nous aider à faire sens. Une société qui croit en son prochain est une société qui croit en elle. Le sens global que nous donnerons à nos nations doit se construire sur le sens que nous donnons à nos vies. Le modèle capitaliste dominant laisse à penser que le holisme n’est pas à notre portée. Mais, en réalité, les mouvements populaires français montrent une forme de désir commun pour la justice sociale et l’égalité des chances. Pour atteindre cet objectif, il est important que chacun soit considéré, et ne soit pas aliéné par un des « bullshit jobs » décrits par l ’ a nt hropologue David Graeber. La quête de sens est individuelle avant d’être collective. La confiance ne se donne pas, elle se gagne. La défiance se construit aussi sur une désillusion vis-à-vis de nos élites. Les erreurs du passé les ont privés de la confiance privilégiée qui leur était confiée. Les économistes sont nombreux à demander plus de transparence de la part de la classe politique et des grands dirigeants d’entreprise. Les lobbys, notamment, ont souvent fait obstruction à l’instauration de politiques importantes, aidés par l’absence d’une instance de contrôle des financements politiques et de la notion de conflit d’intérêts entre politiques et entreprises dans le droit français. À cet évident besoin de responsabilisation des élites dirigeantes, j’ajouterai que celle des intellectuels, notamment économistes, doit également être de mise. Certes, l’Économie aspire à être une science objective, se soutirant au joug de l’idéologie. Mais elle est une discipline qui n’a de sens que si elle permet d’améliorer la gestion de nos ressources. Indissociable de la politique qui l’instrumentalise souvent, l’Économie (avec les autres sciences sociales) doit être le point de départ intellectuel d’un changement de modèle. Puisque sa communauté comprend les enjeux que nous affrontons, elle est d’autant plus responsable de travailler leur résolution. Dans le milieu universitaire, il est grand temps d’ouvrir le débat et de penser des modèles innovants. Le mouvement de la décroissance est parfois moqué pour son manque de « réalisme », car offrant des mesures di f f i c i l e s à mettre en place. La décroissance est un effort de penser un monde durable et juste, qui ne reçoit qu’une considération limitée. Nous l’avons dit précédemment, notre ère peut, et doit, être le théâtre de grands changements. Dans les universités, think tanks, centres de recherche, il est essentiel de concentrer les efforts pour proposer des solutions innovantes. Les outils que nous construisons intègrent bien trop peu souvent les externalités environnementales, un regard sur le long terme ou un recul critique sur les besoins de la société. Je ne réclame pas ici que la science économique devienne purement normative, mais que celle-ci se rappelle que les défis contemporains sont affaire de tous.
Faisons taire les bruits parasites. Changeons la fréquence de la radio, tuons les grésillements. Victor Hugo le disait!: tous les peuples ont une poésie. Vibration hertzienne de l’âme, à l’unisson. Prenons la poésie et jetons-la sur le monde pour détricoter les symboles que dessine l’actualité. Jetons-la sur les villes et les campagnes, pour y voir grandir la confiance de l’autre. Rejetons le fordisme social, qui automatise les relations pour les rendre plus efficaces, sans dépasser des contours. Sombre coloriage que nos communes où le facteur n’a plus le temps de discuter avec Mme Sanchez, où les commerçants se font aspirer par les centres commerciaux en périphérie, où les commissariats de quartier ferment. Qui pour partager un peu du rythme de nos quotidiens!?
Prenons le temps d’en perdre pour parler aux autres et fabriquer quelque chose ensemble, comme des millions d’enfants qui construiraient des châteaux de sable sur une plage, en partageant outils et astuces avec leurs voisins. À l’école, au travail, dans les rues, travaillons à la beauté. Prenons la poésie pour diriger le monde, avec l’ambiguïté de ses images comme décodeur de chaque perception, et le sens comme unique cap. Alors nous imaginerons un modèle durable et juste, et trouverons la force pour mettre en place des solutions d’ampleur mondiale. Un marché mondial des émissions de CO2 ou le développement de low-techs permettant de recycler nos ressources et produisant leur propre énergie, une refonte de nos écoles et la mise en place de contrôles des financements politiques. Mort des moustiques, lumière, action. La confiance est à portée de main. C’est une confiance rationnelle, d’actions. Hâtons-nous de tendre le bras.
« Je me demande comment nous en sommes arrivés à nous écrire au futur conditionnel de la peur »