« Routes de la soie » : chance ou menace pour l’Europe"?
CHINE Depuis son lancement par le président chinois en 2013, les « nouvelles routes de la soie » ont suscité beaucoup de débats en Occident. Ailleurs, les réactions sont, au contraire, très positives. Pourquoi les perceptions sont-elles si différentes ?
STRATÉGIE À travers les « nouvelles routes de la soie », Pékin compte trouver des relais de croissance dans le reste de l’Asie et sur les autres continents, grâce à plus de 1$000 milliards de dollars de projets d’infrastructures et de services. Cette version chinoise de la mondialisation ressemble furieusement à une démonstration de force. Si les pays émergents et l’Afrique peuvent y trouver leur compte, les Américains et les Européens sont inquiets. D’autant que les investissements prévus pourraient s’avérer désastreux pour le climat.
Nul ne peut plus ignorer l’importance sans précédent des « nouvelles routes de la soie » : si le sujet fait la une des magazines, c’est que ce projet géant, estimé au départ à plus de 1"000 milliards de dollars, prévoit de connecter la Chine au reste de l’Asie, à l’Europe, à l’Afrique, à l’Amérique du Sud et même à l’Arctique, par voies terrestres, ferroviaires et maritimes. Elles se focalisent sur les projets d’infrastructure (transport, énergie, télécommunications, zones industrielles spéciales), mais s’étendent également à d’autres secteurs comme la finance ou le tourisme. De 2013 à 2018, le commerce entre la Chine et les pays situés le long de ces routes a atteint 6"469 milliards de dollars.
En 2013, lorsque cette initiative a été lancée par le président Xi Jinping, la Chine envisageait un sérieux défi de surcapacité industrielle : son taux d’utilisation moyen des équipements de fabrication n’était que de 70,8"%. Le pays possédait également assez de capitaux et d’expériences techniques pour la construction d’infrastructures à l’international. L’objectif essentiel de cette initiative était donc de réduire la surcapa
cité dans le pays, et de trouver de nouveaux relais de croissance, en développant des perspectives économiques et en cherchant des opportunités de collaboration avec les autres pays, à commencer par ceux en voie de développement. Elle pourrait bien sûr aussi aider le pays à acquérir un certain leadership dans les affaires internationales, et à construire son soft power.
Si elles ont toujours été positionnées par le gouvernement chinois comme une initiative économique, les « nouvelles routes de la soie » ont souvent été perçues, du côté occidental, comme un projet plus géopolitique ou géoéconomique que simplement économique : une stratégie d’expansion géographique et sectorielle, une nouvelle forme de mondialisation, une démonstration de force de l’empire du Milieu ou, pour certains, une façon pour les Chinois de satisfaire davantage leurs propres intérêts et de dominer le monde. En effet, face à ce projet pharaonique, les réactions en dehors de la Chine restent assez diverses, voire parfois complètement opposées.
Pourquoi des perceptions différentes ? La diversité de celles-ci peut d’abord être expliquée par les différences idéologiques, les craintes face à la montée en puissance d’un grand pays que l’Occident a souvent du mal à comprendre. Ensuite, cette initiative fait face aussi à des défis politiques ou sécuritaires, même dans le déploiement des projets économiques, surtout dans certaines régions sensibles. Par exemple, « des attentats ou des mouvements ethniques ont généré de l’insécurité autour des trois ports construits par la Chine le long de la “ceinture” dans l’océan Indien : le port birman de Kyaukpyu ; le port de Colombo,
au Sri Lanka, où des attentats attribués aux musulmans ont eu lieu en avril 2019 contre des chrétiens, mais surtout des expatriés chinois ; et dernièrement, le port de Gwadar au Pakistan, où, en mai 2019, des insurgés baloutches ont visé un hôtel
de luxe recevant des Chinois », rappelle Jean Pégouret,présidentdeSaphirEurasiaPromotion. Il poursuit : « La Russie a établi dix bases militaires sur les côtes russes de l’océan Arctique, et travaille étroitement avec la Chine pour sécuriser le transit des porte-conteneurs chinois vers l’Europe. »
S’y ajoute le caractère évolutif et ambigu des « nouvelles routes de la soie ». Outre le nombre de secteurs, celui des pays concernés augmente aussi : à la fin de l’année 2018, la Chine a déjà signé 170 documents de coopération intergouvernementale avec 122 pays et 29 organisations internationales. En revanche, la liste complète de ces partenaires ou des projets n’a pas encore été dévoilée. D’ailleurs, le pays encourage ses partenaires étrangers à fournir des idées et ajuste en permanence ce projet. Malgré plusieurs avantages, cela crée aussi une certaine confusion, donnant l’impression que presque tous les projets chinois à l’international peuvent être inclus dans cette initiative.
Enfin, du côté chinois, les méthodes de communication et de travail ne sont pas encore assez « occidentalisées ». Pour le public occidental, les discours officiels, comme la notion de « communauté de destin partagé pour l’humanité », ne suffisent pas. Il faut expliquer de manière plus concrète les intérêts et les bénéfices que cette initiative peut apporter aux autres pays, et les illustrer par davantage de projets. Plus de transparence sera également nécessaire, même si la culture chinoise est une culture de l’implicite. Il serait d’ailleurs très utile d’installer des bureaux ou des points de contact locaux des « nouvelles routes de la soie », pour fournir des explications détaillées et des informations précises, et identifier des opportunités de projets.
LA CHINE VEUT-ELLE DIVISER L’EUROPE ?
Depuis 2012, la Chine réunit 16 pays d’Europe centrale et orientale (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque…) autour du partenariat « 16+1 » ; en avril, cette plateforme a été rebaptisée « 17+1 » avec l’adhésion de la Grèce. Si l’Europe occidentale et du Sud n’était pas ini