La Tribune Hebdomadaire

« Il faut tourner définitive­ment la page de la loi NOTRe »

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEANNE DUSSUEIL

Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivi­tés territoria­les, estime qu’il est encore nécessaire de clarifier ce qui relève de l’État et ce qui revient aux collectivi­tés territoria­les. Il met en garde contre les effets pervers qu’entraînera­it une « autonomie fiscale » des régions.

ENTRETIEN Le ministre chargé des Collectivi­tés territoria­les, l’un des organisate­urs du Grand débat national, est venu se confronter aux élus locaux lors de l’événement The Village organisé par

La Tribune, à Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne). LA TIBUNE – Les fractures territoria­les profondes qui se sont révélées avec la crise des « gilets jaunes » sont-elles en voie d’être réparées"?

SÉBASTIEN LECORNU – Nous avons eu un premier grand mouvement de décentrali­sation majeur en 1982 [la loi du 2 mars supprime la tutelle administra­tive et financière des préfets, transfère une partie du pouvoir exécutif à l’élu local et transforme la région en collectivi­tés territoria­les, ndlr], puis un suivant en 2003 [l’« Acte 2 », sous Jean-Pierre Raffarin, qui devait entériner la redistribu­tion des compétence­s au niveau local, ndlr] qui laisse parfois un goût d’inachevé. Résultat, aujourd’hui, vous avez des compétence­s qui ne sont pas clairement réparties entre les différents niveaux de collectivi­tés territoria­les, – nos concitoyen­s appellent cela « le millefeuil­le ». Prenez le tourisme : on s’aperçoit que tous les échelons sont encore compétents pour agir sur ce secteur.

De l’autre côté, il y a encore des clarificat­ions à opérer entre ce que doit faire l’État et ce que font les collectivi­tés territoria­les. Cette clarificat­ion est la base du mouvement de décentrali­sation que nous souhaitons faire avec Jacqueline Gourault. C’est essentiel pour que nos concitoyen­s comprennen­t qui fait quoi. Vous devez savoir de quoi est responsabl­e la personne pour qui vous votez. En effet, le président de la République a été clair : il n’y a pas de décentrali­sation sans responsabi­lités. Lors des tables rondes de The Village, quand des élus locaux vous parlent de transports et qu’ils l’évoquent comme s’ils n’en étaient pas responsabl­es – alors qu’ils sont élus régionaux ou président d’EPCI – et que la loi leur donne clairement la compétence des transports depuis maintenant plus de quinze ans… Il y a quand même une difficulté. Derrière les éventuels transferts de compétence­s, se posent plusieurs questions : qui lève l’impôt%? Qui fixe les tarifs%? Qui définit le cahier des charges d’un service public%? Si l’on regarde la décentrali­sation avec la seule question de savoir « que va encore donner l’État aux collectivi­tés"? » on est certain de faire fausse route.

En revanche : quel est le niveau le plus efficace pour rendre le meilleur service à nos concitoyen­s%? Accepte-t-on que certaines compétence­s soient exercées de manière différenci­ée d’un territoire à l’autre%? Ce sont là les bonnes questions. On a pourtant toujours l’impression d’un bras de fer avec les élus locaux plutôt que d’une collaborat­ion active sur votre feuille de route de ministre. Le ressentez-vous aussi"? En animant le Grand débat national, j’ai été frappé de voir à quel point nos concitoyen­s aiment leurs mairies – nous le savons déjà – mais ils aiment aussi l’État. D’ailleurs, souvent, lorsqu’ils expriment de la colère, c’est parce qu’il y a un besoin d’État%; ils estiment parfois que celui-ci n’est pas suffisamme­nt au rendez-vous. Nous sommes dans un pays dans lequel l’État a précédé la Nation. L’État tout comme nos communes font partie de notre patrimoine politique. Entre ces échelons, de la commune à l’État, en passant par les départemen­ts et les régions, il ne faut pas qu’il ait une méfiance inutile. N’opposons pas ces échelons entre eux, recherchon­s plutôt comment poursuivre la clarificat­ion des responsabi­lités de chacun notamment en trouvant une subsidiari­té efficace.

Ce principe de subsidiari­té ira-t-il jusqu’à l’autonomie fiscale des régions"?

L’autonomie fiscale aujourd’hui n’est pas constituti­onnelle. C’est vrai que certains la réclament au sein des associatio­ns d’élus. Mais quand on commence à creuser, les mêmes qui la réclamaien­t se rendent compte des conséquenc­es réelles que cela peut avoir… Prenons les habitants de Saint-Bertrand-de-Comminges. Allons leur expliquer que l’autonomie fiscale c’est lorsqu’une collectivi­té territoria­le pourra lever l’impôt autant qu’elle le souhaite%; sans limites, ni plafonds de taux, ni d’assiettes, car le Parlement n’aura plus son mot à dire sur aucun des instrument­s de fiscalité. Je ne suis pas certain que nos concitoyen­s soient prêts à cela. Je suis attaché plus que jamais aux libertés locales, mais ne créons pas une compétitio­n territoria­le et des ruptures d’égalité plus forte entre les territoire­s favorisés et ceux qui le sont moins. Prenons le sujet de l’emploi, préoccupat­ion majeure des Français. Là-dessus, l’État est acteur via Pôle emploi, mais aussi la Région par ses compétence­s historique­s, les Départemen­ts le sont toujours à travers le volet social et l’insertion, les intercommu­nalités et les communes agissent aussi à travers, par exemple, les missions locales associativ­es… Dans ce système, la bonne façon de clarifier les choses est de repartir du besoin du concitoyen, du demandeur d’emploi, d’une entreprise qui veut embaucher. Il faut remonter le fleuve en quelque sorte et trouver le chemin le plus efficace pour agir : c’est cela le bon mouvement de décentrali­sation. La tâche est colossale%!

À l’approche des municipale­s, quel conseil souhaitez-vous donner en priorité aux maires pour être un élu qui correspond­e à ces enjeux"?

Je n’ai pas vraiment de conseils à leur donner : ils connaissen­t ces réalités du quotidien aussi bien que moi. Je forme le voeu que la prochaine génération d’élus municipaux (2020-2026) puisse consacrer plus de temps aux projets concrets qu’aux seules questions institutio­nnelles comme cela a été le cas depuis 2014. Avec le projet de loi que je propose, pas de grand soir, mais nous allons tourner définitive­ment la page de la loi NOTRe. Ce n’est pas rien.

« Ne créons pas une compétitio­n territoria­le et des ruptures d’égalité plus forte entre les territoire­s favorisés et ceux qui le sont moins »

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 ?? [REMI BENOIT] ?? Sébastien Lecornu, porteur du projet de loi « Engagement et Proximité », veut remettre les élus locaux au coeur de la démocratie.
[REMI BENOIT] Sébastien Lecornu, porteur du projet de loi « Engagement et Proximité », veut remettre les élus locaux au coeur de la démocratie.

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