La Tribune Hebdomadaire

Taxe Gafa au G7 : un accord en « Trump-l’oeil »!?

DIPLOMATIE Selon Paris, un « très bon accord » sur la taxation du numérique aurait été trouvé entre la France et les ÉtatsUnis. Pourtant, Trump n’a rien cédé.

- SYLVAIN ROLLAND

Je crois qu’on a trouvé un très bon accord », a affirmé un Emmanuel Macron tout sourire, aux côtés de Donald Trump, dans une conférence de presse commune à l’issue du G7 de Biarritz. « Le G7 a été un sommet utile et efficace. Nous avons fait bouger les lignes sur la taxation du numérique », a ajouté fièrement le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, sur Twitter. Mais en réalité, il s’agit d’une unité de façade. Les lignes ont très peu bougé : les deux présidents se sont livrés à un exercice de communicat­ion en annonçant principale­ment des décisions déjà actées depuis plusieurs mois. Et si victoire politique il y a, elle revient surtout à Donald Trump : les États-Unis ont obtenu de la France une concession sur la taxe Gafa, sans renoncer officielle­ment à taxer le vin français, ce qui était pourtant l’objectif d’Emmanuel Macron. Décryptage de chaque « annonce » sur le sujet.

« Les pays du G7, dont les États-Unis, vont collaborer dans le cadre de l’OCDE pour aboutir à une nouvelle taxation mondiale du numérique d’ici à 2020. » Ceci n’est en rien une nouveauté. L’OCDE travaille depuis 2011 sur une réforme de la fiscalité internatio­nale pour stopper la réduction de l’assiette fiscale des États, incapables, en raison de la territoria­lité et de l’optimisati­on fiscale, de taxer efficaceme­nt les activités numériques des entreprise­s. L’implicatio­n des États-Unis, qui bloquaient les négociatio­ns depuis des années pour protéger leurs géants du Net, et celle des autres pays du G7, n’a pas été obtenue à Biarritz. Donald Trump est rentré dans le rang dès le mois de janvier 2019, comme l’avait annoncé le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, en marge du Forum économique de Davos.

En février, l’OCDE a publié un document de travail de plusieurs centaines de pages, largement influencé par les ÉtatsUnis, présentant les options envisagées pour taxer le numérique. La solution française d’une taxe sur la base du chiffre d’affaires dans chaque pays n’y figure pas. Fin mai, 129 pays – dont les États-Unis et les autres membres du G7 – ont approuvé la « feuille de route pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisati­on de l’économie ». Au G20 Finances de Fukuoka (Japon), début juin, l’OCDE a obtenu l’engagement des principale­s économies mondiales de se mettre d’accord sur une seule piste commune d’ici au prochain G20 Finances, prévu à Washington, en octobre, avec l’objectif de parvenir à un accord mondial en 2020.

« Une fois que la fiscalité internatio­nale du numérique entrera en vigueur, la France supprimera sa taxe. » Là encore, rien de nouveau. En avril dernier, le secrétaire d’État au Numérique d’alors, Mounir Mahjoubi, avait affirmé à La Tribune que « dès qu’une solution à l’échelle de l’OCDE sera trouvée, la France supprimera cette taxe ». Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et le nouveau secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, ont eux aussi confirmé depuis plusieurs mois que la taxe française, qui devrait rapporter 400 millions d’euros à l’État en 2019 (soit 0,03%% des recettes totales), a vocation à être provisoire.

PRÊTE À REMBOURSER LE TROP PERÇU

« Tout ce qui aura été versé en excédent à la France par rapport à la solution internatio­nale viendra en déduction pour les e nt r e pri s e s . » Enfin une « vraie » annonce, mais il s’agit d’une concession d’Emmanuel Macron à Donald Trump. L’idée est qu’une fois que la fiscalité internatio­nale entrera en vigueur, si les entreprise­s soumises à la taxe française ont payé davantage que ce qu’elles auraient dû payer avec la méthode de l’OCDE, la France leur rembourser­a la différence. « Si l’entreprise paye 100 millions d’euros en 2019 au titre de cette taxe française, et qu’en comparaiso­n d’une taxe internatio­nale qui sera mise en oeuvre elle paye 20 millions de plus, les 20 millions donneront une déduction à l’entreprise », a précisé Bruno Le Maire.

Quid des menaces de Trump sur le vin français à l’export%? En acceptant de rembourser éventuelle­ment les Gafa en cas de trop-perçu, Emmanuel Macron espérait pousser Donald Trump à lever ses menaces, en représaill­es de l’initiative française, de surtaxer le vin français à l’export. Mais le président américain ne lui a pas fait ce cadeau. Interrogé sur le sujet, Donald Trump s’est contenté de plaisanter sur le goût de son épouse pour le vin français. Un échec donc pour la France, qui espérait lever clairement cette menace au G7.

« Les pays du G7 vont collaborer dans le cadre de l’OCDE pour aboutir à une nouvelle taxation d’ici à 2020 »

EMMANUEL MACRON,

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE « Avant Biarritz, nous étions à deux doigts d’avoir une taxation sur les vins français. Après Biarritz, la menace s’éloigne » BRUNO LE MAIRE,

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Bruno Le Maire interprète toutefois ce silence assourdiss­ant comme un encouragem­ent. « Avant Biarritz, la menace était réelle, c’est-à-dire que nous étions à deux doigts d’avoir une taxation sur les vins français. Après Biarritz, la menace s’éloigne. Elle n’est pas définitive­ment écartée, mais elle s’éloigne. Et elle va dépendre évidemment du travail que nous allons faire dès les jours qui viennent avec mon homologue américain », a estimé le ministre.

 ?? [REUTERS/PHILIPPE WOJAZER ] ?? Donald Trump a en réalité accepté de collaborer à une taxation du numérique dès le mois de janvier, en marge du forum de Davos ; et non au G7 comme l’a laissé penser Emmanuel Macron lors de leur conférence de presse commune à Biarritz, le 26 août.
[REUTERS/PHILIPPE WOJAZER ] Donald Trump a en réalité accepté de collaborer à une taxation du numérique dès le mois de janvier, en marge du forum de Davos ; et non au G7 comme l’a laissé penser Emmanuel Macron lors de leur conférence de presse commune à Biarritz, le 26 août.

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