La Tribune Hebdomadaire

Atypiques

Surdoués, intuitifs, curieux… Les talents à multiples potentiels peuvent apporter la créativité dont l’entreprise a besoin. Reste à savoir comment manier ces pépites qui ont, bien sûr, les défauts de leurs qualités.

- ERICK HAEHNSEN

Enthousias­tes, curieux de tout, capables de tout faire, toujours partants, dotés d’une pensée flexible et rapide cernant simultaném­ent tous les aspects d’une problémati­que… Les fées se sont penchées sur le berceau des profils « atypiques ». Surdouées, ces personnali­tés intuitives et créatives à potentiel multiple sont aussi qualifiées de « Renaissanc­e soul » (esprits de la Renaissanc­e), de haut quotient intellectu­els, de « polymathes », voire de « slasheurs » . Bref, ces belles pépites nagent à contre-courant des hyperspéci­alistes.

D’un côté, ils sont capables de percevoir ce que personne ne peut imaginer, d’avoir cette étincelle qui fait toute la différence et peut sauver l’entreprise. D’un autre côté, ils sont assaillis par le doute et la remise en question permanente, voire en proie à un sentiment d’éternel inachèveme­nt et à d’incessante­s sautes d’humeur.

Ils ne sont pas dans la norme. Ils s’ennuient vite et zappent à la vitesse de la lumière d’un sujet à l’autre, d’une entreprise ou d’un métier à l’autre. À l’instar de cette hautboïste (joueuse de hautbois) qui, en douze ans, est devenue ingénieure du son, patronne d’un restaurant puis directrice d’une galerie d’art. Forts de leur hypersensi­bilité et de leur rapidité à apprendre, à s’adapter à des contextes sans cesse mouvants, ces profils ultrasensi­bles ont bien sûr les défauts de leurs qualités. Une chose est sûre : les entreprise­s ont toutes les peines du monde à gérer ces « empêcheurs de tourner en rond ».

DES CAMÉLÉONS CRÉATIFS RAREMENT PRIS EN COMPTE

Pas étonnant : ce sont avant tout des « personnali­tés qui sortent de la norme, capables de penser en dehors des clous, de penser autrement », décrit Myriam Ogier, auteure du livre Un cerveau droit au pays des cerveaux gauches. Atypiques, intuitifs et créatifs : trouver sa place quand on ne rentre pas dans le moule (éditions Eyrolles). Les entreprise­s font rarement la place nécessaire à ces caméléons créatifs dotés d’une vision globale pour qu’ils

puissent exprimer à fond leur originalit­é et leurs potentiels.

On peut parfois comprendre les réticences. « Il y a les atypiques “intéressan­ts” et ceux qui ne le sont pas. Au mieux, l’entreprise cherche le premier en espérant qu’elle tombera sur une mine d’or peu exploitée. Quant à l’atypique bohème qui ne vient au boulot que lorsqu’il lui tombe un oeil, elle ne sait pas

l’intégrer, explique Philippe Bloquet, PDG de Peoplesphe­res, cabinet conseil et éditeur d’une plateforme RH. Le multipoten­tiel doit donc s’adapter à l’entreprise. À cette dernière de faire en sorte qu’il s’y sente bien. »

Sans forcément être aussi disruptifs que Steve Jobs ou Elon Musk, ces « Think out of the box » sont pourtant un puissant atout pour innover à l’heure de l’intelligen­ce artificiel­le et de la transforma­tion digitale ou écologique. Il peut alors être intéressan­t de diversifie­r les filières de recrutemen­t. Car les atypiques sont partout. « Il faut savoir les écouter et transforme­r leurs idées en vision, en stratégie de développem­ent pour l’entreprise, reprend Philippe Bloquet, qui a embauché une thésarde en sociologie. Elle réalise des études cognitives comporteme­ntalistes. À cet égard, elle pourrait parfaiteme­nt, un jour, être à la tête d’un départemen­t d’intelligen­ce artificiel­le. »

FAVORISER L’ÉCLOSION DES TALENTS

Reste à bien encadrer l’atypique pour le conduire à fondre son originalit­é dans le métal d’un comporteme­nt business. Un exercice de management délicat. À commencer par savoir identifier ces profils innovants. Pas toujours évident. Par peur du harcèlemen­t, les multipoten­tiels se cachent parfois, se coulent dans l’anonymat. Pis : souvent, ils ignorent la valeur de leur potentiel, par manque d’informatio­n, de culture ou de dialogue. Les entreprise­s ont alors intérêt à développer les valeurs qui favorisent l’éclosion de tous les talents. « Les multipoten­tiels ne peuvent se révéler que dans l’environnem­ent décloisonn­é où l’on autorise les gens à proposer et à se tromper, poursuit Philippe Bloquet. Il faut aussi se donner le temps d’un horizon d’au moins un an. » Encore faut-il en avoir les moyens.

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