La Tribune Hebdomadaire

Le croisé du patrimoine

PIONNIER Parrain de The Village 2019, Stéphane Bern est venu défendre une idée dynamique et enthousias­te du patrimoine, trait d’union entre passé et avenir.

- ANTHONY REY

C’est un authentiqu­e coup de foudre. En déambulant dans les rues étroites de Saint-Bertrand-de-Comminges, depuis sa cathédrale aux allures de château fort jusqu’aux recoins les plus pittoresqu­es de sa cité médiévale, Stéphane Bern confesse son admiration pour « le Mont- Saint-Michel des Pyrénées » , bâti au Ier siècle av. J.-C. Et le prouve par le geste : l’animateur du Village préféré des Français dégaine son portable, appelle sa société de production et demande que SaintBertr­and-de-Comminges soit ajouté aux bourgs déjà en lice pour l’édition 2020 de l’émission télé. « Mon engagement pour le patrimoine remonte à l’âge de quinze ans, quand j’ai pris conscience que si 50!% des Français vivent en ville, les autres 50!% demeurent donc à la campagne, raconte Stéphane Bern. J’habite moi-même dans le Perche, où j’ai pu expériment­er la fracture entre villes et campagnes, dans ces moments où privé de 4G et d’autres services, on se demande pourquoi on devient un sous-citoyen. Il faut tout faire pour donner aux gens l’envie de rester et de vivre dans nos villages. »

La facette médiatique de Stéphane Bern est un aspect de son combat. En huit éditions, Le Village préféré des Français, l’émission de France 3 consacrée à la valorisati­on des territoire­s, est devenu un phénomène de société. L’impact dans les villages lauréats du titre, ou simplement sélectionn­és, a été mesuré à 20 ou 30"% de hausse de la fréquentat­ion touristiqu­e la première année. L’activité des commerces et de l’hôtellerie locale a pu elle aussi bondir de 30"% dans certains cas. « C’est aussi la seule émission qui fasse l’objet d’une édition philatéliq­ue », souligne Stéphane Bern : chaque année, La Poste émet un timbre de collection, tiré à un million d’exemplaire­s, à l’effigie du village lauréat.

COUPS D’ÉCLAT MÉDIATIQUE­S

Mais l’engagement de Stéphane Bern pour la préservati­on du patrimoine a pris aussi un tour institutio­nnel. Peu de temps après son élection, en 2017, Emmanuel Macron l’a nommé à la tête d’une « Mission patrimoine » visant à identifier les sites locaux en péril, avec le concours de nombreux organismes dont la Fondation du patrimoine. L’état des lieux réalisé révèle une urgence : la France compte 44"000 monuments classés ou inscrits, dont une bonne part dans des communes de moins de 2"000 habitants, souvent dépourvues de moyens financiers pour les entretenir. « La France est un pays de cocagne. Ses villages, ses mers et ses montagnes sont un trésor, et nous le délaissons. Je veux bien croire le discours officiel selon lequel la France serait une grande puissance industriel­le, mais elle est surtout le premier pays touristiqu­e au monde, avec 90 millions de visiteurs par an. Et ceux-ci ne viennent pas nous voir pour notre sens de l’hospitalit­é ou notre maîtrise des langues étrangères, mais bien pour nos trésors!! À ceux qui disent que le patrimoine coûte cher, je réponds que c’est d’abord de l’investisse­ment pour notre développem­ent touristiqu­e » , s’enflamme Stéphane Bern. La mission Bern a mis en place une plateforme participat­ive où 3"500 sites ont été signalés partout en France : 390 projets de rénovation ont été sélectionn­és depuis 2018, et 120 chantiers ont déjà démarré. Si le budget alloué à la mission s’élevait à 50 millions d’euros l’an passé, il lui revient aussi de trouver des financemen­ts innovants pour soutenir toujours plus de travaux de restaurati­on. C’est un sujet sur lequel Stéphane Bern s’implique à fond, sans ménager les susceptibi­lités. Dès l’été 2018, il a menacé de quitter la mission faute de budget suffisant. « J’ai été agacé qu’on puisse débloquer 450 millions d’euros pour rénover le Grand Palais à Paris alors que le patrimoine rural ou artisanal intéresse si peu, commente Stéphane Bern. Les joyaux sont partout. Restaurez un monument historique et ce sont les commerçant­s qui s’installent, les visiteurs qui affluent. » Autre coup de gueule contre son mandataire : lors de la discussion sur la loi Elan pour le logement, l’animateur s’en est pris aux élus qu’il soupçonnai­t de vouloir limiter le rôle des architecte­s des Bâtiments de France. « J’ai pris leur défense car il faut protéger les centresbou­rgs contre les installati­ons inconsidér­ées d’antennes relais ou même de volets électrique­s dans les opérations de rénovation urbaine. J’estime qu’on doit éduquer les gens à ça. Nous sommes tous dépositair­es de notre culture patrimonia­le. C’est de l’identité heureuse, à portée de main, c’est une appropriat­ion collective, comme la langue et l’histoire, au-delà de nos origines. »

MISES À CONTRIBUTI­ON DES ENTREPRISE­S

Cette puissance de conviction, Stéphane Bern l’a mise au service du Loto du Patrimoine, lancé en 2017, un autre grand succès à l’actif de la mission. Malgré un prix de vente de 15 euros le ticket, l’opération a récolté 20 millions d’euros en deux tirages, soit 30 % de plus qu’un loto ordinaire. « Nous avons pu sauver 150 monuments et 100 autres sont en travaux. La troisième session du Loto du Patrimoine démarre à la rentrée pour un tirage prévu le 21 septembre », informe Stéphane Bern, qui fourmille encore d’idées, en enrôlant notamment les entreprise­s. L’animateur est en discussion avec la Banque des Territoire­s pour un projet de boutiques-hôtels, inspirées des paradores espagnoles et des pousadas portugaise­s, qu’il s’agirait d’installer à l’intérieur de certains sites en déshérence.« Onnedoitpa­svivreuniq­uement dans le passé. Je trouve formidable que Saint-Bertrand-de-Comminges ait aménagé un incubateur de startups dans une ferme classée de 300 ans d’histoire. Le patrimoine ne doit pas être fossilisé : on peut y créer des hôtels ou des lieux de coworking. Il faut des amarres pour se projeter le plus loin possible. » De même, l’animateur s’associe au groupe La Poste pour le lancement, le 13 septembre, d’une opération baptisée « Ensemble, sauvons notre patrimoine », avec l’émission d’un carnet de douze timbres-poste représenta­nt autant de monuments emblématiq­ues du travail effectué par la mission Bern. Le canal du Midi figurera sur l’un d’eux, représenta­nt la région Occitanie, berceau du village pyrénéen désormais si cher au dandy esthète.

« C’est d’abord de l’investisse­ment pour notre développem­ent touristiqu­e »

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