Aigle Azur : ces deux risques qui menacent la reprise
AVIATION Le respect de la réglementation sur les créneaux de décollage est un élément clé pour l’avenir des 1 150 salariés de la compagnie en faillite.
Période décisive pour l’avenir d’Aigle Azur et de ses 1!150 salariés. Placée en redressement judiciaire le 2 septembre dernier, la compagnie aérienne française a reçu ce lundi 9 septembre 14 manifestations d’intérêt, émanant notamment d’Air France, du Groupe Dubreuil déjà propriétaire d’Air Caraïbes et de French Bee, d’un ancien directeur général délégué d’Air France, Lionel Guérin, du fonds d’investissement américain Cyrus Capital Partners, ou encore de la société Lu Azur, actionnaire à 20 % d’Aigle Azur et détenue par Gérard Houa, l’homme à l’origine d’un coup de force rocambolesque fin août pour tenter de prendre le contrôle de la compagnie. Toutes ces offres ont été jugées irrecevables en l’état par l’administratrice judiciaire, qui a demandé aux candidats de les « parfaire ». Les offres définitives sont présentées ce vendredi au comité d’entreprise d’Aigle Azur, qui donnera son avis. Une nouvelle audience est prévue lundi 16 septembre au tribunal de commerce d’Évry, au cours de laquelle le choix d’un ou de plusieurs repreneurs pourrait être décidé. Pour autant, le dossier est loin d’être aussi clair que le calendrier le laisse paraître. Deux
éléments de taille sèment le doute sur une issue positive. Les deux sont liés aux règles de transfert des créneaux horaires de décollage et d’atterrissage.
L’enjeu est crucial. Sans un tel transfert, aucune reprise d’Aigle Azur n’est possible. Pour la plupart des candidats comme Air France, le Groupe Dubreuil, EasyJet ou Vueling, rafler tout ou partie des 9!800 créneaux horaires d’Aigle Azur à Orly constitue même le principal – pour ne pas dire l’unique – intérêt de ce dossier. La raison est simple. En raison du plafonnement d’Orly à 250!000 mouvements (décollages et atterrissages) par an, ces créneaux horaires sont extrêmement rares et par conséquent très précieux. Or, une première question d’ordre juridique se pose, et non des moindres, parce qu’elle peut remettre en cause plusieurs offres à ce stade. Elle concerne en effet la compatibilité des offres de reprise avec le règlement européen sur les créneaux horaires. D’ailleurs, Cohor, l’association pour la coordination des horaires, chargée de la gestion des créneaux de décollage, a rappelé ce mardi à l’administratrice judiciaire les règles de transfert des créneaux aéroportuaires. Histoire d’écarter le risque de voir des offres de reprise acceptées sans que soient possibles les transferts de créneaux.
PERMETTRE LA POURSUITE DE L’ACTIVITÉ
La réglementation est très claire. Il ne peut y avoir de transfert de créneaux d’une compagnie à une autre qu’en cas d’une reprise totale ou partielle de l’activité à laquelle les créneaux sont liés. Plus précisément, pour avoir les créneaux d’Aigle Azur, les repreneurs doivent reprendre ce que l’on appelle en droit « une branche autonome d’activité », c’est-àdire les contrats de location des avions, les personnels, les locaux..., tout ce qui est attaché à l’activité reprise et qui permet sa continuité et son fonctionnement. « Cela permet de garantir que les repreneurs ne vont pas racheter que des créneaux mais qu’ils vont continuer l’activité, explique un connaisseur du dossier. Un repreneur ne peut en effet pas dire qu’il ne reprend que les avions sans le personnel ou le personnel sans les avions », précise-t-il.
C’est d’ailleurs pour respecter cette notion de « branche autonome d’activité » qu’EasyJet, lorsqu’elle a repris fin 2017 une partie de l’activité d’Air Berlin, a récupéré 25 appareils en location de la compagnie allemande, des bureaux et repris du personnel. L’entreprise a même dû honorer les billets d’avion achetés par des passagers avant la faillite d’Air Berlin et qui étaient toujours valables quand elle a repris son activité. C’est également pour se conformer à cette notion de « branche autonome d’activité » qu’EasyJet n’a pu récupérer les créneaux d’Air Berlin à Orly. Dans la mesure où Air Berlin ne les utilisait plus depuis de longs mois au moment où elle a fait faillite, mais au contraire les « prêtait » à d’autres compagnies, EasyJet ne pouvait pas en effet justifier que ces créneaux étaient liés à une « unité autonome de production » d’Air Berlin. D’ailleurs, personne n’a remis en question la décision du Cohor, le gestionnaire des créneaux horaires en France. Il y a certes un contre-exemple, mais il ne vaut qu’au RoyaumeUni, où la Cour de justice britannique a considéré il y a plusieurs années que les créneaux constituaient un actif, et qu’à ce titre, ils pouvaient être vendus. Quand la compagnie britannique Monarch a été liquidée en 2017, elle a vendu ses créneaux sans reprise d’activité et de personnel. La première mouture de l’offre d’Air France n’est pas compatible avec la réglementation des créneaux. La compagnie voulait obtenir en effet tous les créneaux d’Aigle Azur pour assurer les lignes transférées en moyens propres, sans reprendre les avions. En termes d’emplois, elle envisageait de reprendre une partie des personnels selon un processus de sélection spécifique qui, selon certains, n’apporte pas de garanties suffisantes aux salariés d’Aigle Azur. L’offre d’Air France en a d’ailleurs déçu plus d’un. Celles du groupe Dubreuil (reprise de deux A330 et du personnel), ou de Lionel Guérin (reprise de la totalité du fonds de commerce et des moyens de production, des personnels navigants et du personnel au sol, avec évaluation pour les besoins des fonctions support), semblent davantage coller avec la réglementation. Les offres retravaillées devaient être envoyées avant la réunion du comité d’entreprise ce vendredi. Un autre élément de taille est à prendre en compte dans le dossier : le placement ou pas d’Aigle Azur en liquidation judiciaire. Dans un courrier envoyé ce mardi aux salariés de la compagnie, l’administratrice judiciaire a déclaré qu’ «à défaut de parvenir à une offre exécutable dans les délais, une liquidation judiciaire sera inévitable pour préserver notamment les garanties de paiement des salaires par l’AGS [le régime de garantie des salaires, ndlr], au vu des règles applicables en la matière ».
LE DANGER QU’IL N’Y AIT PLUS RIEN À CÉDER
Alors que certains pensent qu’un passage d’un redressement judiciaire à une liquidation ne changera pas la donne au processus de reprise d’Aigle Azur, un tel scénario risque au contraire de plomber définitivement les chances de reprise de la compagnie. En cas de liquidation judiciaire en effet, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) devra retirer la licence d’exploitation d’Aigle Azur. Par conséquent, la compagnie ne sera plus considérée comme un transporteur aérien et Cohor reprendra les créneaux horaires qu’il pourrait en théorie redistribuer immédiatement.
Selon des proches du dossier, il ne le fera pas. Il devrait laisser un mois au liquidateur pour constituer des « branches d’activités à céder », composées toujours d’avions, de personnels... Ce qui risque d’être difficile. À la différence d’une phase de redressement judiciaire où ils sont disponibles, les avions risquent d’être repris par les sociétés de location, et le personnel licencié. « Il y a un risque élevé qu’il n’y ait plus rien à céder », fait valoir un observateur. Auquel cas, 10!000 créneaux horaires d’Aigle Azur seront ensuite distribués selon une règle bien connue : la moitié pour les nouveaux entrants ou possédant peu de créneaux à Orly, l’autre moitié aux acteurs déjà présents sur cet aéroport. Comme ce fut le cas en 2003 lors de la cessation d’activité d’Air Lib, d’Aeris et d’Air Littoral.
« À défaut de parvenir à une offre exécutable dans les délais, une liquidation judiciaire sera inévitable » L’ADMINISTRATRICE JUDICIAIRE CHARGÉE DU DOSSIER AIGLE AZUR