La Tribune Hebdomadaire

Tesla Insurance, une menace pour le monde de l’assurance ?

- YVES PIZAY SENIOR PATNER DU CABINET DE CONSEIL EN STRATÉGIE KEA & PARTNERS

AUTOMOBILE

Elon Musk a confirmé, fin août, le lancement de Tesla Insurance en Californie, une offre d’assurance compétitiv­e dédiée aux propriétai­res de voitures Tesla. Aujourd’hui comme courtier, mais demain probableme­nt en tant qu’assureur de plein exercice. Effet d’annonce, nouvelle lubie d’un entreprene­ur hors norme ou véritable menace pour les assureurs"? Décryptage.

Elon Musk persiste et signe. Avec le lancement de Tesla Insurance annoncé début septembre, les propriétai­res de voitures Tesla habitant en Californie bénéficien­t désormais d’une assurance 20 à 30!% moins chère que les tarifs en vigueur. L’avenir dira si cette offre s’applique au marché européen, mais l’annonce a déjà suscité de vives réactions.

Tout a commencé pour Elon Musk par un constat très simple : les assureurs ont du mal à évaluer le risque des voitures Tesla. Ce sont en effet des voitures électrique­s haut de gamme, bardées de technologi­es de pointe qui n’ont pas vraiment d’équivalent sur le marché, et donc pas de modèle de référence actuariel. Certes, en moyenne, elles se révèlent plus fiables que les autres – un conducteur de Tesla a 3 à 6,5 fois moins de risque d’avoir un accident que les autres conducteur­s américains, selon le dernier rapport trimestrie­l du constructe­ur californie­n. Mais pour les assureurs, ces bijoux technologi­ques sont si sophistiqu­és que le moindre incident peut se révéler extrêmemen­t coûteux. De surcroît, ce sont des produits rares et récents. Les premières livraisons du modèle S, par exemple, ne datent que de 2012. Résultat, les assureurs compensent leur méconnaiss­ance du produit par une hausse de la prime de risque. C’est le même phénomène qui s’est produit il y a quelques années avec les voitures Autolib’. Elon Musk, dont l’esprit entreprene­urial n’est plus à démontrer, a pris l’exact contre-pied des assureurs. En avril dernier, il leur avait envoyé un premier signal en déclarant que le Groupe Tesla se sentait en mesure de couvrir le risque à leur place. Dans la foulée, le milliardai­re Warren Buffet, fondateur de la holding Berkshire Hathaway, actionnair­e de GEICO, l’un des principaux assureurs auto outreAtlan­tique, avait alors prévenu : « C’est un métier difficile. La probabilit­é de succès d’un constructe­ur automobile dans l’assurance est à peu près égale à celle d’un assureur dans le secteur automobile (autant dire quasiment nulle, ndlr). » En effet, le marché de l’assurance présente de nombreuses barrières pour les nouveaux entrants. Compétitif, réglementé, mobilisant des fonds propres importants, il requiert aussi des compétence­s ardues en matière de droit des affaires et de statistiqu­es. Autant de coûts non négligeabl­es que l’on ne peut a priori amortir que par un effet volume. Or Tesla a-t-il les compétence­s requises!? Sa clientèle est-elle aussi importante que celle des assureurs traditionn­els!? À l’évidence, non.

Qu’à cela ne tienne. Au lieu de ne considérer que les difficulté­s du métier d’assureur, Elon Musk a préféré miser sur les atouts existants de son groupe. Certes, les propriétai­res de Tesla ne courent pas les rues – en France, les prix s’échelonnen­t de 43!000 € à plus de 200!000 € selon le modèle. Mais cette clientèle aisée et plutôt homogène est parfaiteme­nt connue par son prestatair­e, notamment grâce aux quantités de données numériques que captent toutes les technologi­es installées dans chacune des voitures Tesla. En d’autres termes, le constructe­ur californie­n possède beaucoup plus d’informatio­ns sur ses clients qu’un assureur automobile ordinaire. Or, cette masse d’informatio­ns, qui jusqu’à présent a permis d’améliorer l’expérience de conduite des clients, pourrait demain tout aussi bien être utilisée pour calculer avec précision les probabilit­és d’accidents, et couvrir ainsi le risque de chacun. À terme, Tesla pourrait même assurer l’ensemble de son parc automobile à l’internatio­nal, les batteries électrique­s de ses clients, leur matériel informatiq­ue, leurs logements, etc.

On voit ainsi se dessiner les grandes lignes d’une stratégie tournée vers le client plutôt que le produit. Une stratégie qui ne se limite pas seulement à se diversifie­r pour croître, mais à créer un véritable « univers de consommati­on », de bout en bout, parfaiteme­nt cohérent. Sous cet angle, l’ambition du Groupe Tesla ne consiste donc à devenir plus globalemen­t l’interlocut­eur privilégié d’une certaine classe sociale aux revenus élevés.

Bien entendu, pour le moment, personne ne peut dire si Tesla Insurance s’imposera sur le marché. Mais une chose est déjà sûre : contrairem­ent à ce qu’affirme Warren Buffet, il est non seulement possible de se lancer sur un marché complexe et réglementé sans en être natif, mais aussi d’en modifier les règles du jeu de manière durable. Pour mémoire, ce sont des enseignant­s qui ont créé la MAIF et des artisans qui ont fondé la MAAF. Si la stratégie client d’Elon Musk ne semble pas encore menacer les acteurs européens, à long-terme, elle pourrait se révéler payante. Voilà le véritable enseigneme­ntquedoive­nttirerdès­aujourd’hui les assureurs traditionn­els.

« Cette stratégie ne se limite pas à se diversifie­r pour croître, mais à créer un véritable “univers de consommati­on” »

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