La Tribune Hebdomadaire

Comment Valeo veut rebondir

AUTOMOBILE À l’occasion du salon de Francfort, le patron de Valeo explique comment l’équipement­ier a adapté ses coûts à la crise et peut profiter du prochain rebond avec des technologi­es positionné­es sur les bons segments.

- PROPOS RECUEILLIS PAR NABIL BOURASSI

AUTOMOBILE « D’ici à 10 ans, 20 % du marché auto sera 100#% électrique, le reste sera de l’hybride léger », explique à La Tribune Jacques Aschenbroi­ch, le patron de l’équipement­ier.

LA TRIBUNE – Après plusieurs années de forte hausse, l’action Valeo a brutalemen­t décroché début 2018. Depuis le début de l’année, le cours semble stabilisé mais reste très volatil. Comment analysez-vous cette défiance soudaine des marchés, qui naguère vous portaient aux nues…

JACQUES ASCHENBROI­CH – C’est toujours difficile pour un patron d’analyser l’actualité de son titre boursier. Mais une chose me paraît claire… La valeur de Valeo ne reflète pas la valeur intrinsèqu­e de notre entreprise, ni même notre potentiel de croissance. Je vais refaire un peu d’histoire… L’année 2018 a été un peu particuliè­re pour notre secteur. Dès nos résultats semestriel­s, nous avions dit : « Attention, il se passe quelque chose sur ces marchés. » Nous avons été les premiers à alerter sur ce qui allait s’avérer être un fort ralentisse­ment du marché chinois, mais également sur le risque que faisait porter le basculemen­t à la norme WLTP [mesure de la consommati­on et

des rejets d’émissions des véhicules, ndlr] en Europe. Certes, nous n’imaginions pas alors que le marché chinois allait autant baisser au second semestre, avec une chute de 12 %, et que celui de l’Europe perdrait 4 %. Pour autant, nous avons été les premiers à donner l’alerte, mais beaucoup d’analystes ont interprété notre propos non comme une note conjonctur­elle, mais seulement une alerte qui ne concernait que Valeo. Il est vrai que cette situation a aussi coïncidé avec le fait que nous avons un peu déçu sur notre surperform­ance. Mais nos concurrent­s ont également publié des profit warnings.

On vous reproche de ne pas avoir pris de mesures assez fortes pour répondre à ce ralentisse­ment…

Ce n’est pas l’avis de tous les analystes. Ils sont nombreux à considérer que nous avons réagi à temps. Au premier semestre, nous avons économisé près de 100 millions d’euros pour répondre à cette nécessité de baisser nos coûts. Et nous allons dépasser ce montant sur toute l’année. Nous avons aussi adapté nos usines, qui sont suffisamme­nt flexibles. D’ailleurs, nous confirmons nos objectifs pour 2019 en termes de profitabil­ité puisque nous visons une marge opérationn­elle entre 5,8 et 6,5 %. Et nous allons continuer à générer du cash, ce qui a positiveme­nt surpris au premier semestre.

Cela va-t-il suffire alors qu’au premier semestre la Chine a subi une dégringola­de plus forte que prévu&?

Nous avons un outil particuliè­rement efficace qui s’appelle le « rolling forecast ». Il s’agit d’un indicateur qui calque nos dépenses sur nos prévisions à trois mois. C’est d’ailleurs la détériorat­ion de cet indicateur qui nous avait permis d’identifier le changement de tendance de l’été 2018. Depuis, nous avons compris que les choses allaient très vite en Chine et nous avons affiné le

reporting de cet indicateur en le passant à une périodicit­é hebdomadai­re. Or, nous constatons que depuis février-mars, il s’améliore de mois en mois. Bien entendu, nous restons prudents parce qu’il y a encore une forte volatilité sur ce marché, mais il pourrait bien s’agir des prémices d’une stabilisat­ion des marchés.

Plusieurs analystes ont directemen­t remis en cause votre direction indiquant qu’il y avait une défiance à votre encontre…

J’ai été reconduit à plus de 96 % lors de l’assemblée générale des actionnair­es, pour le renouvelle­ment de mon mandat. L’ensemble des résolution­s soumises aux actionnair­es a été adopté à une très forte majorité. La confiance est là. À aucun moment, le management de Valeo n’a été mis face à une quelconque défiance. Au contraire, nos actionnair­es sont satisfaits par le maintien du dividende malgré un environnem­ent économique dégradé. En outre, Valeo renoue avec la surperform­ance qui s’accélère, comme on l’avait prévu.

Avez-vous demandé à la puissance publique d’entrer dans le capital de Valeo afin de stabiliser son

cours

[en mars, à travers Bpifrance, l’État a accru sa participat­ion dans Valeo à 5,1 % du capital]! ? C’est leur choix, pas le nôtre. Bpifrance connaît très bien Valeo puisqu’il en a été actionnair­e de 2009 à 2012-2013, réalisant au passage une excellente opération financière. Leur entrée dans notre capital s’est naturellem­ent faite avec notre accord puisqu’ils ont demandé une place au conseil d’administre­ation, ce que nous avons accepté. Je salue le retour d’un actionnair­e de long terme. Je rappelle qu’il n’est pas notre plus gros actionnair­e, il est troisième avec 5,1 % du capital.

N’y a-t-il pas aussi un malentendu sur la nature de votre profil financier. Les analystes vous ont souvent classé comme une entreprise tech, ce qui vous avait valu une surprime par rapport aux multiples de marché… La très forte défiance sur votre titre n’est-elle pas la rançon de ce statut si particulie­r&?

Nous sommes le premier déposant de brevets en France, et nous dépensons plus de 2 milliards d’euros en R&D chaque année. Nous avons eu le courage de prendre des décisions difficiles, à des moments pas tout à fait naturels, qui nous permettent aujourd’hui et demain de nous positionne­r sur des segments en forte croissance. En 2010, nous avions ainsi décidé d’arrêter d’investir dans le diesel, ce qui n’était pas du tout évident à l’époque. Et nous avions misé sur l’hybridatio­n légère en présentant même un concept dont l’accueil avait été à l’époque mitigé, et qui est depuis devenu l’un des segments de marché à plus forte croissance, la fameuse hybridatio­n 48V, dont nous sommes et de loin le leader mondial. Nous avons également investi massivemen­t sur les caméras, les capteurs, l’assistance à la conduite, la sécurité active, la voiture autonome… Nous sommes bien une entreprise de technologi­es, je le revendique. Bien entendu, il nous faut avoir une rentabilit­é pour financer ces investisse­ments. Mais quand on voit la position de Valeo sur des segments de marché au potentiel de croissance aussi fort, nous avons eu raison d’investir. Je ne regrette rien du tout.

Face au retourneme­nt de conjonctur­e dans l’automobile mondiale, envisagez-vous d’adapter néanmoins le modèle de Valeo, soit en concentran­t vos investisse­ments R&D sur telle ou telle technologi­e, soit en cédant des branches d’activités&?

Il y a une profonde transforma­tion de l’industrie automobile. Ceux des acteurs qui auront réussi à se positionne­r sur les segments de croissance sur les dix à quinze ans qui viennent auront un avantage comparatif considérab­le. Tous nos arbitrages technologi­ques suivent cette logique, et je peux vous dire que nous ne changerons pas de positionne­ment de marché, au contraire, nous allons le labourer en profondeur. En revanche, il va falloir que nous nous adaptions à la situation à court terme, et nous allons donc faire des économies. Mais en Chine par exemple, nous n’allons pas réduire nos capacités alors que nous en

« En 2010, nous avions décidé d’arrêter d’investir dans le diesel, ce qui n’était pas du tout évident à l’époque »

« En Chine, nous n’allons pas réduire nos capacités alors que nous en aurons besoin lorsque la croissance sera revenue »

aurons besoin après, lorsque la croissance sera revenue. Nous allons donc économiser sur nos Capex [dépenses d’investisse­ment] et nos coûts. Mais je tiens à garder toutes les équipes mobilisées car lorsque la reprise arrivera, il faudra qu’elles soient prêtes au combat.

Il y a beaucoup d’actualités, côté constructe­urs, autour de manoeuvres de consolidat­ion, pourquoi n’en serait-il pas autrement côté équipement­iers dans un moment aussi difficile que celui-ci"?

Les constructe­urs discutent très certaineme­nt de coopératio­n, on l’a vu récemment, les accords de partenaria­ts se multiplien­t. Des fusions!? Peutêtre… Il y a beaucoup de constructe­urs automobile­s aujourd’hui, notamment en Chine. Mais, côté équipement­iers, nous sommes déjà très concentrés, de grandes fusions seront plus complexes à faire valider par les autorités anti-trust.

Vous misez beaucoup sur l’électrific­ation. Ce sera à terme votre plus gros levier de croissance"?

Pour comprendre les enjeux de ce sujet, une vraie question sociétale se pose. La voiture est-elle morte ou pas!? Nous, nous avons la conviction que la mobilité est devenue un bien inaliénabl­e de l’individu aussi bien que la connectivi­té. On l’a vu avec les « gilets jaunes », dans une grande partie du pays : soit vous avez une voiture, soit vous êtes immobiles. Rappelons que 75 % des Français ont besoin d’une voiture sans quoi ils ne peuvent pas aller travailler. Certains l’avaient oublié, pas nous. Dans toutes nos études, nous ne voyons aucune rupture de la place essentiell­e de l’automobile à un horizon de dix ans. Parallèlem­ent, le souci environnem­ental est devenu extrêmemen­t prégnant. Il suffit de voir le succès de Greta Thunberg, ou encore les dernières élections européenne­s qui ont plébiscité les discours écologiste­s. Enfin, pour compléter le tableau, nous constatons une envie très modérée de payer plus cher. Dans ces conditions, la seule solution, c’est l’électrific­ation. D’ailleurs, les autorités européenne­s s’apprêtent à infliger de lourdes amendes aux constructe­urs qui dépasseron­t les objectifs de CO2. Ces amendes coûteront, par gramme dépassé, deux fois le prix de l’or. La question du rythme reste toutefois un sujet important. Je ne crois pas que les gouverneme­nts européens accorderon­t des délais supplément­aires aux constructe­urs automobile­s.

Deux grands constructe­urs, General Motors et Volkswagen, ont annoncé qu’ils arrêteront les voitures hybrides pour la génération suivante...

Nous faisons les deux. Nous avons des solutions de petite hybridatio­n mais également du haut voltage avec notre joint-venture avec Siemens pour les voitures 100 % électrique­s. Il est vrai que beaucoup d’observateu­rs pensent que l’hybride rechargeab­le, c’est provisoire. Toutes nos anal y s e s mont r e n t a u contraire que l’hybridatio­n légère, le fameux 48V, va devenir un standard car la réglementa­tion va se durcir et toutes les voitures ne deviendron­t pas complèteme­nt électrique­s. D’ici dix ans, 20 % du marché sera 100 % électrique, le reste sera de l’hybride « léger » car les constructe­urs ne pourront plus produire de voitures seulement thermiques. Début 2017, nous avions expliqué que notre potentiel de valeur dans une voiture hybride 48V allait doubler voire tripler, tandis que dans une voiture 100 % électrique, il serait multiplié par sept.

Valeo a beaucoup investi dans la voiture autonome. N’y a-t-il pas un mythe autour de celle-ci, dont on ne sait pas quand sera commercial­isé son stade ultime, la voiture sans volant"?

On a depuis longtemps dit qu’il y aurait trois marchés complément­aires. Le marché de l’assistance à la conduite depuis le régulateur de vitesse lancé il y a vingt-cinq ans, les caméras, les ultrasons, les radars. Ce marché croit de plus de 20 % par an et permet d’aller très facilement au niveau 2

[sur 5 niveaux]. De l’autre côté du spectre, il y a les robot-taxis. Ils commencent à exister et les premiers tests sont plutôt concluants. Si bien que des clients se disent prêts à en exploiter. Moimême, je suis très impression­né par le rythme des progrès. Enfin, au milieu du spectre, il y a l’autonomie de niveau 4 et 5 pour les particulie­rs, et là, ça prendra beaucoup plus de temps. La voiture qui vient à vous comme Lucky Luke sifflait Jolly Jumper, ce n’est pas pour tout de suite.

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Le PDG de Valeo annonce avoir économisé 100 millions d’euros au premier semestre et amélioré la flexibilit­é de ses usines.
[J.-C. MARMARA] PRÊT À AFFRONTER LE RETOURNEME­NT DU SECTEUR Le PDG de Valeo annonce avoir économisé 100 millions d’euros au premier semestre et amélioré la flexibilit­é de ses usines.
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[DR] UNE PRIORITÉ : LA VOITURE AUTONOME La Valeo Drive4U, un prototype de citadine électrique produit par le groupe qui a beaucoup investit dans la motorisati­on hybride.

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