La Tribune Hebdomadaire

Comment retirer du CO2 de l’atmosphère ?

CLIMAT L’objectif de neutralité carbone, inscrit dans l’accord de Paris, suscite un regain d’intérêt pour les solutions permettant d’accroître la capacité de la planète, notamment des sols, à absorber plus de dioxyde de carbone.

- DOMINIQUE PIALOT

ENVIRONNEM­ENT La neutralité carbone : toujours plus d’États, de villes et d’entreprise­s adhèrent à cet objectif, inscrit dans l’accord de Paris. Il suscite un regain d’intérêt pour les solutions permettant d’accroître la capacité de la planète, notamment des sols, à absorber plus de dioxyde de carbone. Le rôle des forêts, mis en lumière par de récents incendies dans plusieurs régions du monde, est décisif. Les initiative­s de reboisemen­t se multiplien­t.

Mis en lumière par les récents incendies qui ravagent plusieurs régions dans le monde, de la Sibérie à l’Amazonie en passant par l’Afrique subsaharie­nne, le rôle des forêts dans la régulation du climat est désormais connu de tous. Les arbres et autres végétaux absorbent aujourd’hui un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, les initiative­s de reboisemen­t se multiplien­t!: 1 arbre par élève, soit 230!000 arbres, pour la région Occitanie!; 50 millions en cinq ans pour le fabriquant d’équipement de loisirs de plein air Timberland!; 350!000 en 12 heures le 29 juillet en Ethiopie, dans le cadre d’un programme de 4 milliards d’ici octobre!; 440 millions promis par l’Irlande d’ici à 2040…

Comme le souligne le think tank américain World Resources Institute (WRI), les effets bénéfiques du reboisemen­t dépassent la seule capacité d’absorption des arbres. Ils permettent notamment de restaurer l’habitat de certaines espèces animales, d’accroître la fertilité des sols, de limiter le risque d’inondation, d’améliorer la qualité de l’air… Cependant, soulignent les auteurs,

l’ ampleur des bénéfices dépend des essences replantées. Les variétés à racines profondes et l’agroforest­erie – consistant à mixer sur un même terrain agricultur­e et forêts – sont les pistes à privilégie­r pour accroître la capacité d’absorption du CO2, en veillant à prendre en compte les spécificit­és locales (nature du sol, conditions climatique­s, mode de gestion antérieur du terrain…) En outre, enrichir le sol en carbone est bénéfique jusqu’à un certain point, notamment sur le plan des rendements agricoles, à condition de ne pas atteindre un niveau de saturation aux effets contraires. Pour cette même raison, les auteurs mettent en garde contre des plantation­s trop nombreuses dans des zones qui n’étaient pas préalablem­ent boisées. D’autant plus que cette pratique pourrait entraîner des conflits d’usage des sols, synonymes de pression sur les prix du foncier, voire de menaces sur la sécurité alimentair­e mondiale.

LA BIOÉNERGIE, SOLUTION MIRACLE ?

Ces mêmes mises en garde s’appliquent à la bioénergie avec captage et stockage de CO2 (BECCS). Pourtant, cette technique consistant à brûler de la biomasse pour produire de l’énergie, puis à capter et stocker le CO2 émis par cette combustion, suscite beaucoup d’espoirs, car elle génère ce que les experts appellent des « émissions négatives ». Autrement dit, à l’issue de l’opération, la quantité de CO2 dans l’atmosphère est inférieure à ce qu’elle était antérieure­ment, car on comptabili­se le CO2 absorbé tout au long de la croissance de la plante avant d’être brûlée. C’est pourquoi la bioénergie apparaît comme la variable d’ajustement dans de nombreux modèles climatique­s. Elle présente d’autres bénéfices pour l’homme et les écosystème­s : santé du sol, productivi­té agricole, protection des ressources en eau, etc. Pourtant, rappelle le rapport du WRI, le Giec (groupe intergouve­rnemental d’experts sur l’évolution du climat) luimême met en garde contre les risques inhérents à un recours trop massif à cette solution. L’utilisatio­n de cultures dédiées, exclusivem­ent destinées à être brûlées dans ces conditions, générerait des conflits d’usage en venant concurrenc­er l’agricultur­e. D’où la préconisat­ion des auteurs : utiliser pour la bioénergie des déchets agricoles et forestiers plutôt que des cultures dédiées.

En outre, le coût actuel du captage et stockage du CO2 demeure trop élevé pour permettre la viabilité économique de cette solution, dont le potentiel demeure incertain.

DES SOLUTIONS À MANIER AVEC DISCERNEME­NT

Dans tous les cas, les auteurs soulignent la nécessité mais aussi la difficulté de mesurer précisémen­t le bilan carbone de cette solution. Il s’agit de démontrer que la situation, du point de vue de la quantité de CO2 absorbée, est meilleure qu’elle ne l’aurait été sans recourir à cette technique et que ce résultat n’aurait pu être obtenu sans cette interventi­on. Il importe aussi d’éviter les effets pervers susceptibl­es de survenir ailleurs sur la chaîne de valeur. Ainsi, un allongemen­t des périodes de rotation dans une forêt destinée à augmenter le temps d’absorption du CO2 risque de provoquer l’abattage d’une autre plantation afin de pallier la pénurie de bois ou de coproduits qui pourrait en résulter. D’autres solutions existent pour supprimer du CO2 de l’atmosphère. Le « charbon vert » est issu de la pyrolyse d’une biomasse ligneuse, brûlée dans un environnem­ent pauvre en oxygène. Le produit obtenu peut servir à enrichir les sols mais présente les mêmes risques de conflit d’usages que la bioénergie.

D’autres techniques consistent à accélérer des réactions naturelles entre le CO2 et certaines sources réactives, par exemple certaines pierres qui, au contact du CO2, produisent du carbonate ou bicarbonat­e qui peut, là encore, être utilisé pour fertiliser le sol.

De façon générale, les approches par les sols, qui consistent à en améliorer la capacité d’absorption, se révèlent efficaces mais ne doivent pas être appliquées à trop grande échelle. Et en particulie­r, pas à l’échelle qui serait nécessaire pour absorber intégralem­ent le CO2 excédentai­re dans l’atmosphère si l’on voulait respecter l’accord de Paris. En suscitant trop d’espoirs, elles risquent même d’encourager les différents acteurs à relâcher leurs efforts de réduction de leurs émissions alors même qu’elles en démontrent l’absolue nécessité. Aussi, dans la foulée du Giec, le WRI préconise de poursuivre les investisse­ments dans les techniques de captage direct. « Afin d’améliorer la compétitiv­ité économique de ces technologi­es, les États ont un rôle important à jouer en particulie­r dans la recherche et développem­ent ou l’instaurati­on de mesures incitative­s, explique à La Tribune Kelly Levin, spécialist­e du carbone au WRI. Comme cela a été le cas dans les énergies renouvelab­les, les premiers à miser sur ces solutions en retireront les bénéfices. »

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[MICHAEL TEWELDE / AFP] Le 29 juillet, la population éthiopienn­e a planté 350"000 arbres en 12 heures, dans le cadre d’un programme gouverneme­ntal visant à atteindre le nombre de 4 milliards au mois d’octobre.
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[REUTERS/AMANDA PEROBELLI - ] Les incendies qui ravagent l’Amazonie rappellent le rôle des forêts dans la régulation du climat.

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