La Tribune Hebdomadaire

« Aucune preuve n’a jamais été apportée sur les accusation­s d’espionnage »

TÉLÉCOMS Nouvelle patronne des affaires publiques de Huawei France, Linda Han revient sur les déboires du géant chinois des télécoms et des smartphone­s.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE MANIÈRE

TÉLÉCOMS Nouvelle responsabl­e des affaires publiques de Huawei France, Linda Han revient sur les déboires du géant chinois des télécoms et des smartphone­s et explique comment il compte se développer en France sur la 5G.

Elle n’a que 35 ans, mais a déjà exercé de nombreuses responsabi­lités chez Huawei. Nouvelle patronne des affaires publiques de Huawei en France, Linda Han a longtemps travaillé en Afrique. Pendant sept ans, jusqu’en 2013, elle était à la direction de plusieurs pays, comme le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire. Elle est ensuite revenue au siège du groupe, à Shenzhen, où elle a enchaîné les responsabi­lités. Linda Han a, un temps, été en charge de l’activité du géant chinois dans les « petits pays », dont plusieurs pays africains comme le Botswana, le Mali ou le Soudan du Sud. Elle a ensuite changé son fusil d’épaule, en prenant en charge la formation des troupes de Huawei à la 5G, la prochaine technologi­e de communicat­ion mobile, sur laquelle le groupe compte pour asseoir son leadership dans les équipement­s télécoms.

Mais c’est une tout autre casquette que Linda Han va coiffer en France#: celle des affaires publiques. Sa nomination intervient dans un contexte électrique. Chassé du marché américain de la 5G, le géant chinois est confronté à une offensive de Washington, qui l’accuse d’espionnage et pousse l’Europe à bannir comme lui le groupe de Shenzhen ( La Tribune du 22 février et du 31 mai). De son côté, Huawei cherche à tout prix à préserver ses positions sur le Vieux Continent, un marché sur lequel il compte pour écouler ses équipement­s télécoms et ses smartphone­s. Même si elle refuse de le dire explicitem­ent, c’est sans doute ce qui explique la nomination de Linda Han en France. Comme elle, de nouveaux lobbyistes viennent d’être nommés dans plusieurs pays importants, dont le Japon et le Royaume-Uni. Leur mission#: « ancrer durablemen­t » Huawei dans le paysage économique local, dixit Linda Han. Ou plutôt tout faire pour s’assurer les bonnes grâces des différents gouverneme­nts, via des promesses d’investisse­ments, de gros efforts de lobbying, pour que le groupe puisse continuer à vendre en Europe et à l’internatio­nal.

LA TRIBUNE – Vous venez d’être nommée à la tête des affaires publiques de Huawei France. En quoi consiste votre mission ?

LINDA HAN – Ma mission, c’est d’ancrer durablemen­t Huawei dans le paysage économique français. Aujourd’hui, Huawei songe à élargir ses investisse­ments en Europe, y compris en France. Je ne peux encore vous dire dans quels domaines et avec quels moyens nous pourrions procéder. Mais il s’agit d’une décision stratégiqu­e pour le groupe. Ma tâche est de représente­r Huawei en France, mais aussi de faire la courroie de transmissi­on avec les différents services du siège, à Shenzhen, où j’ai exercé différente­s responsabi­lités ces dernières années.

Comme vous, plusieurs nouveaux responsabl­es des affaires publiques ont été nommés dans différents pays clés. Ces nomination­s intervienn­ent à un moment critique pour Huawei, qui fait l’objet de soupçons d’espionnage. Votre rôle, et celui des autres responsabl­es, est-il donc de rassurer les différents gouverneme­nts#?

Vous savez bien que Huawei est la cible des États-Unis dans le cadre d’une guerre commercial­e avec la Chine. Concernant les accusat i ons d’ e s pi onnage, je veux rappeler qu’aujourd’hui, aucune preuve n’a jamais été apportée. Nous sommes présents dans plus de 170 pays, nous avons 3 0 a ns d’ e x périence dans les télécoms, et cela fait plus de 16 ans que nous sommes en France. Nous travaillon­s avec les quatre opérateurs français, et nous n’avons jamais eu de problème de cybersécur­ité. Nous collaboron­s avec beaucoup d’autres entreprise­s. À l’instar de PSA avec qui nous coopérons dans la voiture connectée. Nous respectons toujours les réglementa­tions et la législatio­n des pays où nous sommes implantés.

Mais de nouveau : votre nomination constitue-t-elle une réponse de Huawei à certaines craintes gouverneme­ntales#? En France, une loi sur la sécurisati­on des réseaux 5G vient d’être votée. Elle vise notamment à limiter votre emprise dans la 5G. Êtes-vous là pour calmer le jeu vis-à-vis de l’exécutif#?

Encore une fois, ma tâche est de faire en sorte que Huawei s’inscrive sur le long terme en France. Concernant la loi sur la 5G, la ministre en charge des télécoms, Agnès Pannier-Runacher, a récemment déclaré que Huawei serait bien traité comme tous les autres équipement­iers [c’est-à-dire Nokia et Ericsson, ndlr]. Il faut aussi comprendre que la 5G sera un catalyseur économique majeur pour l’économie dans son ensemble. Et dans cette technologi­e, nous disposons d’une avance vis-à-vis de la concurrenc­e, grâce à nos investisse­ments en recherche et développem­ent, qui représente­nt plus de 10% de notre chiffre d’affaires par an.

Vous ne redoutez donc pas d’être écarté, ou freiné, dans le déploiemen­t de la 5G en France ? La loi sur la sécurisati­on des réseaux, ce n’est pas un secret, vise pourtant bien à limiter Huawei dans ce domaine…

Non. Pas du tout. Je suis très confiante à ce sujet. Un récent rapport de la GSMA [le lobby des industriel­s du mobile] a montré que sans Huawei, la compétitiv­ité économique de l’Europe essuierait un préjudice de 55 milliards d’euros. Bref, personne n’a intérêt à interdire Huawei. En outre, Huawei travaille déjà avec de nombreux opérateurs pour la 3G et la 4G. Et il leur sera bien plus facile de coopérer avec nous pour passer à la 5G. Nous ne sommes pas inquiets. Depuis la signature du décret de Donald Trump [en mai dernier, lequel vise à interdire Huawei de se fournir en technologi­es américaine­s], nous avons signé 10 contrats d’équipement­s 5G avec différents opérateurs, portant notre total à 50.

Après la signature de ce décret, vous ne craignez donc pas un effondreme­nt de vos ventes#?

Nous prévoyons que notre croissance ne sera pas aussi forte qu’avant. Mais depuis le début de l’année, nos ventes ont beaucoup augmenté. Fin juillet, Huawei a annoncé un chiffre d’affaires enhaussede­23%aupremiers­emestre, à 52,3 milliards d’euros.

Mais le fait que Google ait pris des dispositio­ns pour vous priver de son système d’exploitati­on Android ne va-t-il pas, par exemple, plomber vos ventes de terminaux#? Cela ne va-t-il pas détourner les Européens de vos produits#?

« Sans Huawei, la compétitiv­ité économique de l’Europe essuierait un préjudice de 55 milliards d’euros »

Nous avons un plan B avec l’arrivée d’Harmony, notre propre système d’exploitati­on. Mais il est vrai que nous préfèrerio­ns continuer de travailler avec Google et nos partenaire­s commerciau­x américains. L’inverse, d’ailleurs, est aussi vrai. Plus de 130 entreprise­s américaine­s ont demandé l’autorisati­on de poursuivre leurs affaires avec Huawei. La décision reviendra à Donald Trump. Pour rappel, nos achats auprès des entreprise­s américaine­s s’élèvent à 11 milliards de dollars par an. Mais si nous ne pouvons plus travailler avec les ÉtatsUnis, peut-être allons-nous transférer ces achats en Europe.

À l’université d’été du Medef, Huawei a participé à un débat sur la fracture numérique. Comment pouvez-vous contribuer à réduire ce fossé digital entre les villes et les campagnes#?

En tant qu’équipement­ier télécoms, nous contribuon­s déjà à la réduction des zones blanches, où le mobile ne passe pas. Huawei joue aussi un rôle concernant l’accès aux smartphone­s, avec des terminaux très performant­s à des prix moins élevés que ceux de la concurrenc­e. En parallèle, nous développon­s et promouvons des applicatio­ns permettant l’accès du plus grand nombre au numérique. L’an dernier, nous avons par exemple lancé StorySign, une applicatio­n à destinatio­n des enfants sourds et qui permet de traduire un texte en langue des signes.

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[REUTERS/ALY SONG] Chassé du marché américain de la 5G, le géant chinois est confronté à une offensive de Washington, qui l’accuse d’espionnage.
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[DR] CONTRE-ATTAQUE Linda Han veut « ancrer » Huawei dans le paysage français.

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