Quand la mort de Chirac efface Macron et son « nouveau monde »
HOMMAGE
Comme un grand vent de nostalgie : les obsèques de Jacques Chirac ont amené le monde politico-médiatique à une étrange introspection collective. Quasiment tous les JT et les chaînes « tout info » ont célébré à cette occasion la France des années Chirac, sur le thème du « c’était mieux avant », le regard centré sur le rétroviseur. Une France à la recherche du temps perdu. L’heure était bien sûr aux hommages. Exercice obligé qui gomme forcément les insuffisances, voire les turpitudes de ce qu’a pu être le règne de Jacques Chirac. Ici ou là, pourtant, certains ont osé les critiques, les uns raillant l’immobilisme de ces années-là, les autres célébrant le grand mouvement social de 1995. Alain Juppé, Premier ministre, affirmait vouloir rester « droit dans ses bottes ». Avec le temps, comme une douce ironie historique, la nostalgie a gommé ces antagonismes. Chirac, l’homme de la dissolution et du référendum, est aujourd’hui célébré comme « un homme qui aimait les gens ». Un constat répété par ses fidèles comme par ses anciens adversaires.
C’est là que les images s’entrechoquent pour le nouveau pouvoir. Avec une première intrusion du monde réel : une figure des « gilets jaunes » profite ainsi des registres de doléances installés pour l’occasion à l’Élysée pour oser s’adresser directement à Emmanuel Macron. Alors, derrière la nostalgie revendiquée, on sent poindre une critique de la gouvernance du « nouveau monde » . Et la comparaison est cruelle pour un pouvoir tétanisé il y a encore peu par de multiples accès de colère et de mobilisations à travers tout le pays.
À l’Élysée, le jeune président en est bien conscient : « La politique, c’est un geste » , avait-il confié au documentariste Bertrand Delais au cours de sa campagne fulgurante. Macron sait qu’en politique seules les images restent. Toujours à la recherche de légitimité « verticale » , cet adepte de la monarchie républicaine aurait aimé réactiver la célèbre formule « Le roi est mort, vive le roi!! » Las, c’était compter sans la famille de l’ancien président…
Car dans les coulisses, Claude Chirac est à la manoeuvre. Avec habileté, la fille de l’ancien président, met très vite à distance l’Élysée, malgré l’envie d’Emmanuel Macron de s’emparer de « l’événement ». « Les tensions ont été réelles » , nous confie un initié. Rompu aux choses de la communication, cette gardienne du temple impose une cérémonie intime, mais d’autres éléments illustrent sa volonté d’opposer une frontière symbolique au pouvoir actuel. Dans la cour des Invalides, Macron restera seul face au cercueil d’un président qu’il n’a finalement pas connu. Ce jour-là, le chef de l’État ne prononcera aucun discours. D’ailleurs, son nom n’est même pas évoqué dans le communiqué de l’archevêché pour annoncer la cérémonie solennelle à Saint-Sulpice.
Et surtout, crime de lèse-majesté, il n’aura droit à aucune image avec la famille. À l’Élysée, les conseillers préfèrent minimiser, et expliquent aux journalistes que tout cela est d’abord un choix du nouveau seigneur des lieux. Les images sont pourtant là : durant quelques heures, le virevoltant Macron est apparu comme un président effacé.
Au sein de la Macronie, un transfuge de la chiraquie commente : « Les Macron étaient en lien avec les Chirac principalement grâce à Line Renaud, et quasi exclusivement via Brigitte Macron .» Ajoutant :« Pour la Chiraquie historique, Nicolas Sarkozy est beaucoup trop présent dans l’environnement des Macron. » D’ailleurs, Bernadette Chirac, longtemps soutien de Nicolas Sarkozy, a récemment cédé sa place à Brigitte Macron à la tête de la Fondation des hôpitaux de Paris. Mais parmi les déçus de Macron, on trouve le milliardaire François Pinault, ami de toujours de Jacques Chirac, et féroce adversaire de la Sarkozie : « Depuis quelque temps, il est entré en résistance!! » ironise l’un de ses amis. Ainsi, à l’heure de ces obsèques, les vieilles fractures de la droite sont ressorties. Et le funambule Macron, adepte du « en même temps », s’est donc retrouvé, d’une manière inédite, face aux permanences historiques. On appelle ça aussi le principe de réalité.
Claude Chirac a mis à distance l’Élysée. Dans la cour des Invalides, Macron restera seul face au cercueil d’un président qu’il n’a finalement pas connu.