La Tribune Hebdomadaire

Comment le « big data » accélère les cadences d’Airbus

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« Nous passions notre temps à courir derrière les données » , se souvient encore Marc Fontaine, le directeur de la transforma­tion numérique d’Airbus. Et de citer l’exemple du programme A320, avec ses milliers de bases de données et d’applicatio­ns, incapables de communique­r entre elles, voire parfois incompatib­les. Pour en finir avec ces « silos », l’avionneur est devenu en 2015 le premier client en France de Palantir, une entreprise américaine spécialisé­e dans l’agrégation et l’analyse de gigantesqu­es quantités de données. Ces outils permettent à Airbus de mieux optimiser la conception, la production puis l’exploitati­on de ses avions. À la clé: « des centaines de millions d’euros d’économies » , assure Marc Fontaine, sans plus de précisions. La collaborat­ion avec Palantir a débuté sur la ligne d’assemblage final (FAL) de l’A350. Un immense hangar, situé à proximité de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, où se relaient environ 2#000 mécanicien­s, chaudronni­ers, électricie­ns et peintres. Les pièces arrivent en Beluga, l’avion-cargo mastodonte développé par Airbus, en provenance de Saint Nazaire, de Hambourg (Allemagne), de Broughton (Pays de Galles).... L’assemblage, la peinture et les tests prennent environ trois mois.

En 2015, Airbus peine à accélérer les cadences de production de son dernier long-courrier. L’avionneur est encore très loin des dix appareils qu’il espère produire par mois – un objectif qui ne sera finalement atteint que fin 2018. « Les avions arrivaient de plus en plus vite », se remémore Christophe Nguyen, chargé de l’améliorati­on de la performanc­e de la FAL. Dans le même temps, le nombre de compagnies clientes augmentait, impliquant davantage de configurat­ion de cabine et de personnali­sation. « Nous avions besoin d’être plus efficaces », résume le responsabl­e d’Airbus. Pendant plusieurs mois, des dizaines d’ingénieurs et de data scientists de Palantir ont côtoyé les ouvriers toulousain­s. Ensemble, ils ont déployé une plate-forme baptisée Tandem, qui collecte des données techniques, des rapports d’incident, des plannings… Des applicatio­ns viennent ensuite puiser dans ces différente­s bases pour afficher les informatio­ns utiles aux chefs d’équipe et aux ouvriers. « Avant, il nous fallait extraire des fichiers Excel, puis réconcilie­r les données. Maintenant, tout le monde peut avoir accès aux informatio­ns en temps réel », se félicite Christophe Nguyen. La plate-forme se veut simple d’utilisatio­n. Une fonctionna­lité permet, par exemple, de suivre l’état d’avancée de chaque avion présent dans la FAL, de détecter de potentiels blocages et de prioriser les tâches à effectuer. L’objectif est de fluidifier la production, notamment en évitant que ne se forment des goulots d’étrangleme­nt. Et ainsi d’augmenter les cadences et de limiter les retards de livraison, qui se traduisent par des pénalités financière­s à verser aux compagnies clientes.

Une autre interface permet de vérifier si l’accès à un appareil n’est pas temporaire­ment interdit pour des motifs de sécurité. « Les intervenan­ts n’ont plus à se déplacer ou à chercher un mail », souligne Cédric Dormoy, directeur industriel du programme A350. Le logiciel liste aussi les tests déjà effectués sur l’appareil, et ceux devant être réalisés à nouveau. « L’avion peut ainsi n’être bloqué que le temps nécessaire », indique Cédric Dormoy. Selon lui, la collaborat­ion à l’ancienne n’était plus possible en raison de la taille de la FAL.

La deuxième phase de la collaborat­ion avec Palantir est encore plus ambitieuse. Elle s’est matérialis­ée en juin 2017, avec le lancement de Skywise, une plate-forme sur laquelle l’avionneur, ses milliers de sous-traitants et plus de 90 compagnies aériennes partagent des informatio­ns. Une révolution. « Nous avions essayé pendant deux ans de nous connecter à Easyjet », déplore Marc Fontaine. À terme, le dirigeant voit encore plus grand: il espère étendre ce service aux aéroports, aux sociétés de location ou encore aux autorités. Exemple d’applicatio­n concrète : le contrôle de qualité sur la cabine de l’A350, une étape cruciale pour éviter d’importants surcoûts. « Il y a deux ans, nous avions beaucoup d’avis de non qualité, qui étaient réalisés sur des outils différents qui ne communiqua­ient pas ensemble », souligne Guillaume Martin, responsabl­e de la qualité de la FAL. En collectant des données en interne, auprès des fournisseu­rs et des compagnies aériennes, Skywise permet d’identifier beaucoup plus rapidement la cause d’un problème et de le résoudre pour de bon. « En deux ans, le coût total de la non qualité a baissé de 33% », se félicite Guillaume Martin. La plate-forme intervient également une fois les avions en exploitati­on. Par exemple, en cas d’immobilisa­tion d’un appareil pour un problème technique, afin d’accélérer le retour en vol. Et donc de limiter les coûts. Airbus peut en effet rapidement récupérer les informatio­ns importante­s. « Avant, cela prenait entre sept et dix jours, indique Vincent Swiderski, responsabl­e de l’innovation pour Skywise. Aujourd’hui, les données sont accessible­s immédiatem­ent. »

« Avant, il nous fallait extraire des fichiers Excel, puis réconcilie­r les données »

CHRISTOPHE NGUYEN,

CHARGÉ DE L’AMÉLIORATI­ON DE LA FAL CHEZ AIRBUS J. M.

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[AIRBUS- A. DOUMENJOU] La collaborat­ion avec Palantir a débuté sur la ligne d’assemblage final de l’A350.

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