La Tribune Hebdomadaire

« Autrefois, l’aristocrat­ie était bâtie dans la violence et dans la force. La force du sang, du sacrifice, du pouvoir, d’asservir, de tuer. Aujourd’hui, elle est fondée sur le diplôme »

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de théories totalitair­es parmi les plus folles. Hier, le progrès était légitime et bénéfique, aujourd’hui, il est délirant, pathologiq­ue… et logique, car il résulte d’un processus. À partir de cette logique, tout des dérives ou des méfaits du capitalism­e peut être justifié. Même ceux qui font le plus déshonneur au progrès.

Dans (L’Aube, 2019), le généticien Axel Kahn établit une claire ligne de démarcatio­n : dans le domaine de la santé, le Progrès éthique vise à réparer l’homme, le progrès non éthique travaille à l’augmenter. Une définition à même de tracer une ligne conductric­e à l’emploi éthique des nouvelles technologi­es (intelligen­ce artificiel­le en tête). Quelle est votre propre conception du Progrès éthique!?

L’Éthique dans tous ses états Cette ligne conductric­e d’Axel Kahn fait fidèlement écho à la mienne lorsque je distingue progrès bénéfique (ou légitime) et progrès délirant. Et pour cela, prenons un exemple de progrès hier bénéfique aujourd’hui délirant : l’emploi de la pénicillin­e. Sa découverte a constitué une révolution dans le domaine infectieux, et notamment a permis de juguler un fléau planétaire et redoutable : la syphilis. Ce fut donc un formidable progrès bénéfique. Ce médicament était si puissant et efficace, que, par la suite, il fut dispensé pour n’importe quoi, dès l’apparition du moindre bobo. Au point que se sont mis à prospérer des germes résistants, et que la syphilis a resurgi. De bénéfique, ce progrès est devenu, par la faute de l’homme, délirant.

Féroce menace pour la démocratie, elle aussi corrélée à la force de frappe marchande : la proliférat­ion des « infox » (voir le débat avec Géraldine Muhlmann, Dorie Bruyas et Thomas Huchon). Il y a celles qui ont pesé sur l’élection de Donald Trump ou le Brexit anglais. Il y a celles, tout aussi délétères, qui infectent en profondeur les conscience­s individuel­les, celles notamment des plus vulnérable­s – par leur âge, leur faible niveau de connaissan­ce, la fragilité du contexte social et/ou familial. Fort d’outils technologi­ques redoutable­s, profitant d’une crise de confiance en la classe politique, les « élites » et les médias, jouant d’un déficit élevé de discerneme­nt et s’appuyant sur un cadre réglementa­ire défaillant, ce phénomène fait courir un immense danger. Plus que jamais, l’éducation dans et autour de l’école est convoquée, or, elle n’est pas « la » priorité…

L’éducation n’a pas toujours eu pour enjeu d’améliorer le développem­ent de l’individu. L’école en Grèce enseignait des techniques de prise de pouvoir – des gestes, une rhétorique grâce auxquels les candidats au pouvoir se reconnaiss­aient et pouvaient entreprend­re ensemble, en « castes », à la manière des énarques du xxie siècle –, et non de développem­ent personnel. Qu’est-ce qu’Internet et les réseaux sociaux si ce n’est le bon et le pire, et donc une illustrati­on complément­aire et supplément­aire de ce progrès à double facette, bénéfique et délirant&? Bénéfique car, en l’occurrence, il favorise le partage du juste savoir et soutient la démocratie, délirant car il diffuse de faux savoirs et fragilise la démocratie… Effectivem­ent, cette jeunesse par définition sans connaissan­ce de méthodes comparativ­es ni maîtrise d’un discerneme­nt que l’on acquiert avec l’expérience, est extrêmemen­t vulnérable face aux théories les plus fallacieus­es et même intenables – notamment celles dites complotist­es qui ont envahi la toile et les smartphone­s. Des théories auxquelles elle adhère volontiers et qu’elle colporte si puissammen­t qu’elles deviennent un poison civilisati­onnel. Et que dire des puissants algorithme­s qui, désormais, orientent les réseaux, les canaux d’informatio­n « là » où le destinatai­re se montre le plus sensible, « là » où il s’emploiera de la manière la plus virale, « là » où l’effet démultipli­cateur se révélera le plus efficace&? Internet et les réseaux sociaux, où comment le progrès peut basculer du vrai bénéfice au vrai maléfice.

Cette évocation de l’école en Grèce formant les élites fait écho au débat entre Pascal Perrineau et Jean Viard. La crise des gilets jaunes en fut le paroxysme, mais la défiance pour les secteurs d’activité, les métiers ou les personnes qui leur sont associés en témoignent : ceux jugés faire partie des « élites » sont anathémati­sés. Pour autant, toute société fonctionne selon une stratifica­tion et « avec » des élites. Effacer leur existence a-t-il du sens!? Est-ce une chimère démagogiqu­e et populiste!? L’enjeu n’est-il pas plutôt de réformer en profondeur la formation, la légitimati­on, le pouvoir des élites et de démocratis­er l’accès à l’élite!?

La « haine des élites » a fait irruption lorsque l’écriture est apparue et est entrée dans la culture. Le phéno

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