« Le bonheur peut être contagion émotionnelle. Et faire lien. Notamment lorsqu’il résulte d’une lutte commune contre le mal »
suis attaché à mon épouse, à mes enfants, à mes amis, je ne peux pas être heureux si eux-mêmes ne le sont pas. Le bonheur peut faire lien. Surtout, la lutte commune contre le mal fait lien. L’un de mes oncles s’était engagé dans la Résistance, à l’âge de 18 ans, au sein du groupe, resté célèbre, des FTP-MOI. Les survivants ont noué, durant toute leur vie, un lien d’amitié, de solidarité, de fraternité indéfectible. Je me souviens en particulier de l’un d’eux, que j’avais croisé lors d’un repas. Il était au crépuscule de son existence. Il me raconta comment ce lien s’était tissé dans la peur, les combats, la prise de risque quotidienne, les attentats qu’ils perpétraient contre les nazis. D’être ainsi ligués « pour » une cause juste les avait, pour toujours, réunis. Plus encore, la victoire contre le mal(heur) avait produit en eux une « représentation de soi » si empreinte de fierté qu’elle les avait rendus heureux pour le reste de leur vie.
Finalement, le bonheur est une cause, un chantier, une responsabilité, éminemment « politiques »…
Indéniablement. Saint-Just (1767 – 1794) n’affirmait-il pas, pendant la Révolution française, que le bonheur est une cause sociale$? Et qu’une organisation politique a pour dessein de rendre les gens du peuple « heureux »! ? Ce propos était pleinement… révolutionnaire. Il marque une rupture car, auparavant, le bonheur était presque coupable, associé aux péchés de gourmandise ou de chair. Selon le dogme chrétien, on devait passer sur Terre, pendant quarante à soixante ans, la « vallée de larmes » entre deux paradis : celui perdu par la faute d’Adam et Ève, celui auquel on accède après avoir pleuré et expié. L’accès au bonheur éternel était alors conditionné à une dimension sacrificielle – qui d’ailleurs n’a pas totalement disparu, si l’on en juge le sentiment de culpabilité qui parfois demeure.
À l’égard de cet accès au bonheur et des dimensions sacrificielles ou culpabilisantes, le tropisme religieux est cardinal, notamment dans les théologies monothéistes. Celles-ci conditionnent « substantiellement » notre relation au bonheur, notre exercice du bonheur. Mais quelle réalité éclaire-t-elle l’adverbe!?
À la fois l’influence religieuse « est » et « n’est pas ». Elle « est » parce que partager un même Dieu, un même monde de représentations, une même église, les mêmes gestes et les mêmes paroles de dévotion sécurise, et parce qu’une telle synchronisation des croyances favorise la synchronisation des corps et celle des âmes. Le péril est que cette communion est clanique et qu’elle peut, dans certains cas, provoquer l’intolérance, la haine des autres et même le massacre