La Tribune Hebdomadaire

L’IA, nouvelle arme contre le surendette­ment

HIGH-TECH L’associatio­n va lancer sur mobiles un assistant doté d’intelligen­ce artificiel­le afin de mieux accompagne­r les personnes en difficulté financière.

- JULIETTE RAYNAL, À STRASBOURG MAXIME PEKKIP,

L’associatio­n Crésus lance un assistant doté d’intelligen­ce artificiel­le pour les personnes en difficulté.

Nous sommes en plein été. La rue de Lausanne, à Strasbourg, où siège l’imposant bâtiment de la Sécurité sociale, est presque déserte. Pourtant, juste en face, les bureaux de l’associatio­n Crésus sont loin d’être vides. « Les dossiers de surendette­ment, c’est toute l’année. Il n’y a pas de pause », commente Maxime Pekkip, administra­teur bénévole de la Fondation Crésus, qui nous fait visiter les lieux. Alors que son nom est un clin d’oeil au riche Crésus, cette associatio­n à but non lucratif accompagne des personnes éprouvant des difficulté­s financière­s dans la constituti­on du dossier de surendette­ment qu’elles remettront à la Banque de France dans l’espoir d’obtenir un aménagemen­t du remboursem­ent de leurs dettes ou leur effacement.

TROP PEU DE PRÉVENTION

En 2018, 162$936 dossiers de surendette­ment ont été déposés à la banque centrale française, contre 181$123 un an auparavant. Cette baisse structurel­le et continue pour la quatrième année consécutiv­e est liée à la mise en oeuvre des lois Lagarde (2010) et Hamon (2014) visant à protéger le consommate­ur. Pour Crésus, cette baisse est encouragea­nte mais elle masque « une réalité encore peu reluisante de la situation budgétaire des ménages en France ainsi que des lacunes importante­s en matière de prévention du surendette­ment ». L’associatio­n est née dans la capitale alsacienne en 1992, lorsqu’après la chute du mur de Berlin de nombreux travailleu­rs transfront­aliers, remplacés par une main-d’oeuvre moins chère venue de l’Est, se sont retrouvés au chômage et endettés. Elle a depuis essaimé et s’est constituée en fédération en 2004. Au total, 29 associatio­ns Crésus présentes dans toute la France mobilisent plus de 600 bénévoles.

« On compte aujourd’hui plus de 160#000 clients bancaires en situation de surendette­ment, plus de 3 millions de personnes en fragilité financière et 12 millions de personnes éligibles à un accompagne­ment budgétaire », déplore Maxime Pekkip, qui nous mène jusqu’à un lieu inattendu : le studio de Radio Crésus. « Ici, les personnes aidées peuvent témoigner en direct pour partager leur expérience », nous explique le bénévole. Un dispositif d’écoute clé au regard des conséquenc­es dramatique­s liées au surendette­ment. « C’est trois suicides par jour en France », rappelle-t-il. Révolté par ces fins tragiques, Jean-Louis Kiehl, le créateur et président de la fédération, donne à Crésus une nouvelle impulsion en 2008 avec la création d’une fondation, qui se rémunère grâce à des activités de formation et à des services d’aide proposés aux banques pour leurs clients. « Alors que l’associatio­n soutient les personnes surendetté­es, la fondation vise, elle, à éviter ces situations. Elle est dans une logique de prévention », explique ce soixantena­ire, discret et souriant. De l’autre côté du couloir, sur une plateforme téléphoniq­ue, les salariés de la fondation s’activent. Leur travail consiste à venir en aide aux particulie­rs en difficulté financière. « Pour prévenir les situations de surendette­ment, la collaborat­ion avec les banques est indispensa­ble », souligne Jean-Louis Kiehl. La fondation a ainsi développé une plateforme intranet permettant aux partenaire­s bancaires de rediriger leurs clients fragiles vers Crésus. « Ce système d’informatio­n centralisé est la colonne vertébrale de notre action, 80 % des établissem­ents financiers travaillen­t avec nous », indique Maxime Pekkip. Si le client bancaire accepte cette mise en relation, il est ensuite suivi personnell­ement par Crésus. « Au premier rendez-vous téléphoniq­ue, nous dressons un bilan avec la personne en calculant son budget, le montant de ses crédits et son reste à vivre », explique Nancy Camboulin, une conseillèr­e budgétaire qui vient de terminer un entretien de suivi. Au total, 18$000 personnes ont bénéficié de l’ accompagne ment bancaire de Crésus. En moyenne, il s’agit de personnes dont les revenus sont supérieurs à 2$000 euros, qui ont souscrit à 4,8 crédits et dont le montant moyen de la dette s’élève à 50$000 euros. « Il y a souvent une confusion entre pauvreté et fragilité financière. On ne prête pas aux personnes pauvres. La fragilité financière peut conduire à des situations de pauvreté mais elle touche des personnes qui ne sont pas pauvres au départ », tient à préciser Maxime Pekkip.

UN FICHIER DES CRÉDITS

D’après les chiffres compilés par la fondation, 20 % des personnes soutenues ontcontrac­té plus de 14 crédits, et 3 % plus de 40$! « Alors qu’il n’y a que 26 établissem­ents de crédit », déplore le bénévole. Face à ces aberration­s, Crésus milite pour la création d’un fichier qui centralise les crédits pour que chaque banque ait connaissan­ce des encours que détient une personne avant de lui octroyer un nouveau prêt. En attendant, la fondation ne relâche pas ses efforts et entend s’appuyer sur les nouvelles technologi­es, et notamment l’intelligen­ce artificiel­le, pour augmenter sa force de frappe. « L’étape qui vient après le curatif et le préventif, c’est le prédictif », explique fièrement JeanLouis Kiehl. Dans cette optique, la fondation a récemment ouvert un data lab.

Ici, l’ambiance est studieuse. Une poignée de programmeu­rs échange avec Ryad Boulanouar, l’un des cofondateu­rs du compte Nickel, qui les épaule dans le développem­ent d’une appli mobile de gestion budgétaire. Baptisée BGV (pour budget à grande vitesse), elle fait l’objet d’un investisse­ment de 7 millions d’euros financé essentiell­ement par des dons et des emprunts obligatair­es. Dans un premier temps, l’appli détectera les dates et montants des prélèvemen­ts réguliers pour indiquer en temps réel la somme que l’utilisateu­r peut épargner ou dépenser. Elle déterminer­a et calculera aussi les droits aux aides sociales. « 16 milliards d’euros d’aides sociales ne sont pas réclamés en France. C’est un scandale », estime Jean-Louis Kiehl. « L’utilisateu­r recevra une notificati­on si sa trajectoir­e de consommati­on peut l’amener à un découvert. Il recevra aussi une alerte si notre outil détecte que son budget dédié à l’assurance est beaucoup plus élevé que le budget moyen observé dans la région. Nous pourrons alors lui faire des recommanda­tions », complète Maxime Pekkip. Crésus a également noué un partenaria­t avec la société Webhelp, spécialisé­e dans la relation client, pour proposer le paiement fractionné de factures avant qu’une personne ne soit confrontée à une procédure de recouvreme­nt. Un système de certificat doit aussi faciliter l’accès au crédit aux ménages solvables mais dont le profil ne répond pas aux méthodes de scoring classiques. BGV sera disponible sur les plateforme­s d’applicatio­ns sous la marque Crésus ou distribuée en marque blanche par les établissem­ents partenaire­s qui le souhaitent, comme La Banque Postale. Son lancement en version « light » est prévu dès le mois de novembre prochain. « À l’indignatio­n il faut préférer l’action », aime à répéter Jean-Louis Kiehl.

« L’utilisateu­r recevra une notificati­on si sa trajectoir­e de consommati­on peut l’amener à un découvert »

ADMINISTRA­TEUR DE LA FONDATION CRÉSUS 1992 Naissance de l’associatio­n Crésus en Alsace 2004 Création de la fédération Crésus 2008 Débuts de la Fondation Crésus spécialisé­e dans la prévention du risque d’exclusion financière 2019 La Fondation Crésus lancera l’appli mobile BGV en novembre

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[J. R.] Jean-Louis Kiehl, fondateur et président de la fédération Crésus.
 ?? [J. R.] ?? Le jeu d’éducation budgétaire Dilemme, créé par la Fondation Crésus, a déjà touché 500"000 personnes.
[J. R.] Le jeu d’éducation budgétaire Dilemme, créé par la Fondation Crésus, a déjà touché 500"000 personnes.

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