Les fonds d’investissement se spécialisent et se « panafricanisent »
ANALYSE Miser sur des secteurs précis et multirégionaliser les investissements : ce sont les deux principales tendances qui se dégagent des activités des fonds d’investissement en Afrique sur les six premiers mois de l’année.
Au cours du premier semestre 2019, les fonds d’investissement actifs en Afrique ont levé 1,7 milliard de dollars en clôture finale (contre moins de 1 milliard de dollars sur la même période l’an dernier) dont 70 % provenaient de fonds sectoriels. C’est ce que révèle le dernier rapport de l’Association des sociétés africaines de capital-investissement et de capital-risque (Avca). Les levées de fonds en clôture intermédiaire, sur ladite période, ont, elles, atteint les 900 millions de dollars. « Cela indique une tendance croissante à la spécialisation parmi les gestionnaires de fonds, qui préfèrent se concentrer sur l’identification et la valorisation des opportunités dans leurs domaines d’expertise », constate l’Avca. En volume, quatre secteurs accaparent 58 % des transactions enregistrées au cours de ces six premiers mois : la finance, la consommation de base, l’industrie et la consommation non essentielle. En valeur, les produits industriels, les biens de consommation courante et les soins de santé ont absorbé 73 % des transactions. « Pendant la première partie de l’année en cours, les fonds d’investissement ont identifié à travers le continent des opportunités spécifiques sur lesquelles ils pouvaient se positionner » , explique à La Tribune Afrique Enitan Obasanjo-Adeleye, directrice de la recherche à l’Avca. « Nous avons aussi constaté, poursuit-elle, que les fonds généralistes tendent à se pencher sur certains secteurs. Il y en a par exemple qui se sont focalisés sur l’investissement technologique, saisissant l’opportunité de financer l’avancée en Afrique de technologies beaucoup plus pointues. Les levées de fonds dans ce domaine sont de plus en plus importantes. » Cette tendance à la spécialisation se voit dans le fait que les fonds actifs sur le continent misent sur des domaines identifiés comme étant à fort potentiel pour l’avenir. Si dans un contexte de leapfrog [bond, ndlr] technologique, les Tech deviennent un choix évident, les récents comportements des private equity révèlent également leur intérêt pour l’agrobusiness ou le financement des TPE prometteuses à l’heure de la fièvre entrepreneuriale africaine.
RISQUES ET AGENDA RÉGIONAL
L’autre révélation du rapport de l’Avca est celle de la « panafricanisation » des fonds d’investissement. Si l’Afrique du Sud (28 %) reste le pays le plus plébiscité, suivi des pays d’Afrique du Nord (19 %), les transactions multirégionales ont en effet représenté 51 % de la valeur des transactions de capital-investissement à travers le Continent au cours du premier semestre de l’année. En mars dernier, Charles Kié, CEO de NACP, justifiait ainsi la « panafricanisation » de sa structure par l’ambition de contribuer à l’émergence « de vraies multinationales africaines, qui savent naviguer dans ces différents environnements avec profitabilité ».
Les experts expliquent cette tendance à la multirégionalisation des private equity par la nécessité de diversification des risques, inhérente à l’acte d’investir. « La concentration des risques dans un contexte de volatilité des environnements africains peut facilement et négativement impacter la performance sur le long terme », analyse un expert financier joint par La Tribune Afrique. Par ailleurs, l’orientation économique générale qui prévaut avec la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) changera naturellement la manière de faire les affaires en Afrique. Ainsi, ceux qui veulent être à la page demain anticipent. « Les zones régionales africaines sont en train de se décloisonner, non seulement parce que les acteurs économiques deviennent de plus en plus panafricains, mais aussi parce que ce décloisonnement représente l’essence même de la Zleca, soutient notre expert. Par conséquent, stratégiquement, l’approche panafricaine devient une voie d’avenir pour tout acteur qui oeuvre dans une logique de présence à long terme sur le continent. »
Pour Tokunboh Ishmael, présidente de l’Avca, la croissance dans l’activité des fonds d’investissement a pour « moteur essentiel »laclassemoyenneémergente. Et alors que le dynamisme actuel fait espérer aux acteurs de meilleures performances à venir, les experts soulèvent de plus en plus la question d’un modèle africain du capital-investissement. Et ces tendances à la spécialisation et à la « panafricanisation » s’y prêtent.