Le diamant de culture est-il un diamant comme les autres!?
ANALYSE. L’irruption du diamant de culture (ou synthétique) bouleverse non seulement l’économie du marché traditionnel du diamant avec des coûts de production et des prix concurrentiels, mais elle remet également en cause l’image et la philosophie qui entourent le diamant minier. Pour autant ces deux sortes de diamants sont-elles incompatibles!?
Chaque année, les mineurs russes, sud-africains, namibiens, canadiens... extraient avec constance environ 150 millions de carats de diamants pour la bijouterie. Hélas, une nouvelle fois depuis 2014, la consommation est défaillante en 2019, à moins 30 % à fin août. Plusieurs éléments expliquent cette baisse : les tensions commerciales internationales qui accélèrent le cycle économique vers une récession et freinent les ventes sur les deux premiers marchés mondiaux, les États-Unis et la Chine#; le Brexit qui annonce des pertes de croissance en Europe et en conséquence un déstockage accru dans la filière bijoutière, de la taille à la commercialisation. Comme la production est excessive, elle encourage les mineurs à réduire leur offre. Déjà contrôlée par les principaux producteurs, le russe Alrosa et le sud-africain De Beers, elle sera bientôt réduite par l’épuisement puis la fermeture en 2020 de la mine Argyle de Rio Tinto, en Australie. Ce sont 11 % des volumes mondiaux qui disparaîtront, auxquels s’ajouteront d’ici dix ans d’autres diminutions qui doubleront l’attrition, sans être totalement compensées par de nouvelles productions.
PRODUCTION PLUS ÉCOLOGIQUE
Parallèlement, la fabrication de diamants de culture (aussi appelé synthétique) pour la bijouterie est en hausse de 50 % chaque année depuis cinq ans, les volumes attendus en 2019 sont proches de 6 millions de carats. Ils auront été fabriqués par des sociétés d’outre-Atlantique, de Chine, d’Inde, de Russie et d’Europe. Chaque pays pouvant produire ses propres diamants, d’ici dix ans ils auront triplé leur part de marché à 20 %. Pourquoi le phénomène est-il mondial#? Parce que la technologie apporte une solution écologique à la production. En France, les ventes du leader, Courbet, ont été multipliées par six. Plus d’un diamant de culture sur deux est acheté chez lui pour un mariage, le solde pour des célébrations et des achats de plaisir. Bientôt ses pierres seront produites en France. Le diamant minier et celui de culture sont à 100 % deux diamants authentiques aux structures identiques. Le premier, vieux de plus de un milliard d’années, a un coût médian de production de 100 dollars, 1 carat est vendu en moyenne 11#000 dollars#; mais les mines s’épuisent et les investissements en exploration minière se sont réduits. Le second est fabriqué en trois semaines. Grâce aux économies d’échelle, son coût de production est en baisse continue. À environ 300 dollars, il a déjà été divisé par plus de 10 en dix ans. Sa fabrication étant sans pénurie, c’est-à-dire d’une certaine manière éternelle, son prix de marché devrait à terme être inférieur à celui du diamant traditionnel, apportant ainsi une équité liée au progrès. Toutefois, en fonction des stratégies de différenciation des détaillants, l’éventail du prix de vente d’un diamant de culture de 1 carat est large, entre 800 et 9#000 dollars. Le signal prix d’un diamant, d’une autre pierre précieuse ou d’un métal précieux est rarement lié à son éclat ou à sa relative pénurie – sinon le prix du platine devrait être supérieur à celui de l’or – mais davantage au statut social qu’il symbolise : acheter du prestige et sans contrainte. Faste, élitisme et rêve ont fabuleusement construit une sociologie luxueuse du diamant naturel. C’est pourquoi l’irruption du diamant de culture percute cette symbolique avec ses trois codes. Le premier est scientifique : un diamant de culture, c’est la high-tech qui prend possession de l’émotion#; le deuxième est éthique, par la maîtrise d’une production transparente n’ayant jamais côtoyé les conflits#; et le troisième est écologique, érigeant une nouvelle valeur sociale et un nouveau luxe : on consomme du diamant, mais en préservant la planète.
RÊVE DE PURETÉ
Le choc des deux diamants est cosmique. C’est celui d’un Nicolas Flamel délaissant l’échec de la transmutation du plomb en or pour triompher avec celle du carbone en diamant#; c’est le choc subi par des financiers en manque de repères, qui anticipent des pertes dans leur investissement en diamants naturels, alors que celui-ci voit son statut s’effriter au profit d’autres pierres précieuses telles que l’émeraude et le rubis. C’est aussi le choc de l’éclat de la pierre de culture, lumière limpide habitée à la fois de rien et de tout. Elle est identique à l’oeil à celle du diamant traditionnel, au point que ce dernier interroge son âme : qui suis-je face à ce double#?
La réponse à cette question est de même nature que celle que fournira la révolution philosophique qui suivra l’annonce de la vie sur une autre planète, ou analogue à la recherche d’une identité face à son jumeau ou à une autre couleur de peau. Le diamant naturel doit-il faire évoluer son rêve de pureté#? Les émeraudes recherchent, elles aussi, un éclat pur, mais leurs particularités, leurs jardins, leurs nuages de jade qui les disqualifieraient si elles étaient des diamants sont des défauts capables de les vivifier, de les humaniser, toutes pareilles et chacune différente.
Si les deux diamants s’attaquent sur leurs deux lumières, l’un doit-il se différencier et éclairer son avenir de flocons de lune dans des inclusions codifiées#; là où l’oeil se reposera d’une rêverie, d’un espoir de jours meilleurs ou d’une nostalgie de jours passés#? Ces nouveaux repères seront-ils éloignés de la tradition, ou bien illustreront-ils le nouvel état d’âme de la modernité et un monde du luxe différent#?
DOTER LA PIERRE D’UNE PHILOSOPHIE
Tradition contre modernité. Le diamant devient Janus, le dieu aux deux visages. Une face tournée vers le familier, car le diamant de tradition est auréolé de ses solides et anciennes vertus. Mais il est déstabilisé, aveuglé par sa propre absence d’anticipation. Ses partisans perdant des marchés en accusant mezza voce le message des modernes pro-Gaïa d’être une fausse poésie, il y aurait pourtant un autre message à produire et sous une autre forme. Le deuxième visage, le diamant de culture tourné vers l’inexploré, enregistre d’excellentes performances grâce à l’effet rebond d’une modernité séduisant une nouvelle clientèle d’avant-garde. Mais, encore effrayée par sa propre percée, à la manière d’un explorateur abasourdi à l’idée de cartographier l’étendue d’une immense terre inconnue, cette pierre n’a pas construit la philosophie qui doit précéder l’émergence de son statut social. Celui-ci reste encore flou, hésitant dans la méthode, qui n’a ni la discipline industrielle ni le pilotage déterminé d’un chef de taille au fond de sa galerie. Tradition et modernité, le débat est ancien. À l’exemple des discussions joaillières entre les écoles de l’or et celles du platine qui lorsqu’elles furent coincées sur la défensive, décidèrent de s’adapter et de choisir. De même, plutôt qu’opposer les deux diamants, ne vaudrait-il pas mieux jouer l’alliance sur les deux segments du marché : le diamant minier en boutique, le diamant de culture en lightbox De Beers à 800 dollars/carat et commercialisé sur Internet#?
Ce choix de stratégie n’est pas futile, il est le fruit d’une philosophie de la mode, celui d’une mixité d’idées parlant un langage que peu de personnes entendent, mais que tous utilisent. Avec une certaine magie, cette créativité cristallise les allers et retours de voyageurs dans les strates de la société. Autant de navigations révélant de nouvelles exigences sociales qui aboutissent à des innovations techniques et à de nouveaux imaginaires. Le vecteur or équitable pointant vers la joaillerie éthique est l’illustration d’un engagement de transparence qui garantit et renforce les liens uniques de sa propre existence avec la vie. C’est pourquoi, avec le temps, les coeurs purs du diamant de culture seront dans le doute : convaincus aujourd’hui de se protéger par le progrès, contrediront-ils un jour leurs premières vérités en étant infidèles à leurs convictions de jeunesse, et en sautant d’une facette d’un diamant à l’autre#?
« L’irruption du diamant de synthèse percute la sociologie luxueuse du diamant naturel, bâtie sur le faste, l’élitisme et le rêve » * Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux.