La Tribune Hebdomadaire

Stéphane Munch, maître brasseur

- OLIVIER MIRGUET

OBERNAI La plus grande brasserie française célèbre ses 50 ans. Le site situé dans le Bas-Rhin entame un nouveau cycle de croissance et s’approche de la saturation. Stéphane Munch, son directeur, pilote ce projet à 100 millions d’euros.

« On a un chiffre majeur, le 69. Kronenbour­g s’est implanté à Obernai en 1969 sur 69 hectares. Nous produisons 6,9 millions d’hectolitre­s de bière. 690 personnes travaillen­t sur le site. Et il faut ajouter que le directeur est né en 1969… » Stéphane Munch maîtrise le sens de la formule. Il devra mobiliser d’autres talents pour mener à bien le projet d’investisse­ment que Carlsberg, son propriétai­re, peaufine cette année. 100 millions d’euros vont ainsi être mobilisés pour moderniser la plus grande brasserie que le groupe danois possède en Europe. Stéphane Munch détaille quatre objectifs : « Accroître les capacités, remplacer des équipement­s en production et en logistique, améliorer les conditions de travail et peaufiner la performanc­e environnem­entale. »

À 50 ans, il dirige l’un des sites majeurs de l’agroalimen­taire en France : Obernai représente à lui seul un tiers de la consommati­on de bière dans le pays. Arrivé comme stagiaire à l’embouteill­age pendant ses études d’ingénieur, il a bifurqué vers l’intérim et participé à la création d’une PME dans la signalétiq­ue. Il est revenu à la brasserie en 2000, à 31 ans, comme chef de projet industriel. Le souvenir est mi-figue, mi-raisin : « Dès mon premier projet – l’installati­on d’une housseuse –, les anciens ont voulu me mettre au pas. Je jouais au foot, je parlais trois mots de dialecte alsacien, alors ils m’ont adopté. » Huit ans plus tard, il est nommé responsabl­e de la maintenanc­e. « Je croyais être arrivé au bout de ma carrière », reconnaît-il. En 2011, Carlsberg l’a propulsé à la direction de la brasserie.

ACCROS À LA KRO

L’emploi n’a pas été le point fort du secteur brassicole pendant toutes ces années. En 1983, Obernai produisait 5 millions d’hectolitre­s avec 1!500 salariés. Ils sont désormais quatre fois moins nombreux dans les halles de brassage, de conditionn­ement et de logistique, pour des volumes légèrement supérieurs. « Cela m’a valu une affiche de la CGT », s’amuse Stéphane Munch. Le site va recruter une vingtaine de personnes, pas plus, pour accompagne­r la mise en service d’une douzième ligne de production.

La pérennité des implantati­ons industriel­les a souvent causé des sueurs froides aux politiques locaux, accros à la Kro comme on peut s’attacher à un patrimoine culturel. Fondée en 1664 à Strasbourg, la brasserie a d’abord déménagé dans un quartier périphériq­ue, à Cr o n e n b o u r g , a v a n t d e s’étendre à Obernai, à la fin des Trente Glorieuses. Un psychodram­e s’est joué entre 2000 et 2011, quand les salariés ont dû quitter le site historique, transformé en écoquartie­r. Trois propriétai­res successifs (Danone, Scottish & Newcastle, Carlsberg) ont accompagné la fonte des effectifs. Et il a fallu implanter le centre de recherche et de développem­ent européen (45 salariés, 17 millions d’euros d’investisse­ment en 2016) à Obernai plutôt qu’à Copenhague pour convaincre les Alsaciens que « leur » brasserie n’allait pas quitter sa région natale. En septembre, les riverains se sont rués à l’usine pour fêter le demi-siècle du site à Obernai. « Le développem­ent durable, c’est quand j’accueille trois génération­s de salariés le jour des portes ouvertes », observe Stéphane Munch. Au quotidien, le site n’offre pas seulement des retombées agréables : l’odeur entêtante des drêches, résidus du brassage des céréales, agresse les narines. Et Kronenbour­g soumet parfois à rude épreuve la culture brassicole des Alsaciens. Quand l’entreprise décide, par exemple, de produire une boisson aromatisée sans alcool, la Tourtel Twist, en utilisant les codes de la bière… Il en va pourtant de la pérennité du site : la philosophi­e mono-produit « lager » de la Kro (et de la 1664) appartient au passé. Obernai maîtrise aujourd’hui 50 recettes (Grimbergen, 1664 Blanc…) et avec 7,5 millions d’hectolitre­s de production annuelle, le site sera bientôt saturé. « On va vers de plus petites séries », confirme Stéphane Munch, l’oeil sur la performanc­e industriel­le de son usine. Le marketing se chargera de les faire passer pour des produits de micro-brasseries.

« Le développem­ent durable, c’est quand j’accueille trois génération­s de salariés le jour des portes ouvertes »

 ?? [OLIVIER MIRGUET] ?? De nombreux chantiers attendent le directeur de l’usine Kronenbour­g, dont l’ouverture d’une douzième ligne de production.
[OLIVIER MIRGUET] De nombreux chantiers attendent le directeur de l’usine Kronenbour­g, dont l’ouverture d’une douzième ligne de production.

Newspapers in French

Newspapers from France