La Tribune Hebdomadaire

XL Airways et Aigle Azur!: l’impossible sauvetage

AÉRIEN Coup sur coup, les deux compagnies françaises ont été liquidées. Un échec dont il faudrait tirer les leçons.

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

Placées en redresseme­nt judiciaire, les deux compagnies ont été balayées très rapidement. Leur liquidatio­n laisse plus de 1%700 salariés sur le carreau, lèse des milliers de passagers, qui ne pourront utiliser leurs billets, et fragilise des centaines d’agences et de touropérat­eurs. Pourquoi n’ont-elles pas pu être reprises ? L’obligation de reprendre les personnels avec leur contrat de travail constitue un obstacle majeur. Mais le calendrier de la procédure, trop serré, a lui aussi été déterminan­t.

Vendredi 4 octobre, une semaine après Aigle Azur, XL Airways a été placée elle aussi en liquidatio­n. Ses 570 salariés vont être licenciés d’ici à trois semaines. Au total, les deux compagnies aériennes françaises laissent plus de 1"700 salariés sur le carreau. Elles laissent aussi des milliers de passagers lésés quand ils ont acheté leur billet en direct et des centaines d’agences de voyages et de tour-opérateurs fragilisés. Pourquoi ces deux compagnies n’ont-elles pas survécu aux faillites"? Pourquoi, une fois placées en redresseme­nt judiciaire, ces deux entreprise­s n’ont-elles pu être reprises"? Largement médiatisée – parce qu’elle justifie la fin de non-recevoir d’Air France notamment –, l’incompatib­ilité des règles du redresseme­nt et de la liquidatio­n judiciaire avec la réalité du transport aérien est l’une des raisons. L’obligation de reprendre les personnels avec leur contrat de travail (et donc avec leur rémunérati­on et leur ancienneté) empêche en effet tout projet de reprise par une autre compagnie aérienne d’aboutir. Une intégratio­n des personnels d’Aigle Azur dans Air France, par exemple, aurait entraîné de fortes tensions sociales dans la mesure où Air France aurait fait passer dans la liste de séniorité (qui définit les actes de carrière et donc de rémunérati­on) les pilotes les plus anciens d’Aigle Azur devant ses pilotes les plus jeunes.

Mais ces « raisons sociales » n’expliquent pas tout. Elles constituen­t, certes, un obstacle à la reprise des compagnies aériennes par d’autres compagnies quand celles-ci veulent les intégrer en leur sein. Mais elles n’expliquent en rien l’échec des projets de reprise de l’entreprise avec le maintien de la marque et de l’outil de production, qu’ils émanent des compagnies aériennes (il n’y en avait pas) ou non. Encore moins l’échec d’un plan de redresseme­nt que les administra­teurs judiciaire­s n’ont pu tenter, faute de temps. Dans ces deux cas de faillite, le calendrier de la procédure a été déterminan­t. Trop serré, il n’a pas permis la constituti­on d’offres sérieuses et financées. Entre le placement en redresseme­nt judiciaire et la date limite du dépôt des offres de reprise, les candidats à la relance d’Aigle Azur n’ont eu qu’une semaine pour présenter leur plan industriel et réunir un tour de table solide. Ceux de XL Airways n’ont eu, quant à eux, que cinq jours. « Ce n’est pas bien sérieux », expliquent plusieurs candidats à la reprise d’Aigle Azur La raison en est simple. Le niveau de cash des deux compagnies n’autorisait pas un calendrier plus large. Elles n’avaient pas d’actifs à vendre pour faire entrer un chèque rapidement. Aigle Azur a par ailleurs pâti du blocage de 15 millions d’euros de recettes en Algérie. Les caisses de ces deux compagnies étaient quasiment vides. À tel point que les vols se sont arrêtés très rapidement après le placement en redresseme­nt judiciaire (cinq jours pour Aigle Azur, sept pour XL Airways), et que les compagnies ont été balayées très rapidement (25 jours après la déclaratio­n de la cessation de paiement pour Aigle Azur, 11 jours pour XL). Également lié à des raisons de sécurité, cet arrêt des vols n’a fait que compliquer les dossiers de reprise et le bouclage des financemen­ts. Notamment pour Aigle Azur qui a arrêté ses vols avant le dépôt des offres. Car relancer une activité qui s’est arrêtée et dont la marque est écornée relève du chemin de croix. Surtout à l’aube de la saison hiver, synonyme de basse saison.

UNE PAGAILLÉ ÉVITÉE MAIS DES CLIENTS LÉSÉS

Si les caisses étaient quasiment vides, c’est que la déclaratio­n de cessation de paiement a visiblemen­t été trop tardive. Aigle Azur et XL Airways ont été placées en redresseme­nt judiciaire sans le cash nécessaire pour envisager un plan de redresseme­nt (cette solution a tout de suite été écartée faute de cash), ou un plan de cession dans de bonnes conditions. Le redresseme­nt judiciaire n’avait de redresseme­nt que le nom. Le dépôt de bilan a tardé parce que les entreprise­s ont tenté au préalable de trouver une solution avant d’arriver à cette phase ultime. Cela sous le régime confidenti­el de la conciliati­on judiciaire qui permet de négocier avec les créanciers sans effrayer les clients. L’État a été partie prenante dans ces deux dossiers puisque les deux compagnies étaient aidées depuis des mois par le Ciri (Comité interminis­tériel de restructur­ation industriel­le), qui dépend de Bercy : accords avec les sociétés de location d’avions, gel des charges sociales et patronales, des redevances aéroportua­ires d’ADP… Toutes ces mesures ont permis de repousser le tas de sable, avec l’espoir de trouver une solution à deux compagnies qui étaient en « faillite virtuelle » depuis des mois. Pour une multitude de raisons, elles ont échoué. La direction d’Aigle Azur avait une solution qui aurait permis (à condition de pouvoir être menée à bien sur le plan réglementa­ire) de faire rentrer un peu de cash et de tenter ensuite une restructur­ation sans passer par une faillite (hypothèse que certains réfutent), mais les syndicats l’ont refusée. XL cherchait quant à elle un repreneur qui n’est jamais venu.

Si ces mesures ont permis de passer l’été et d’éviter une grosse pagaille en pleine période estivale (ce que redoutait Bercy), elles ont également lésé tous les clients qui ont continué d’acheter des billets d’avion pendant l’été pour des voyages prévus plusieurs mois après et qui ne seront donc pas assurés. Ce point met en lumière le fonctionne­ment atypique du transport aérien : les compagnies aériennes perçoivent des recettes bien avant d’honorer la prestation. Dans un monde « idéal », les compagnies aériennes devraient être en mesure de ne pas « utiliser » les montants correspond­ant aux billets émis non utilisés (les « bénu » dans le jargon). Dans le cas d’Aigle Azur et de XL, cela les aurait conduit à déposer le bilan au moment où leur niveau de trésorerie était élevé. Agences de voyages et tour-opérateurs enragent. Comme à chaque faillite, ils demandent la création d’un fonds de garantie pour que l’argent des billets d’avion soit séquestré jusqu’à l’exécution du vol.

« Pour les deux compagnies, la déclaratio­n de cessation de paiement a été trop tardive »

 ?? [STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP] ?? Les salariés d’Aigle Azur devant le ministère des Transports, le 9 septembre. Tous les vols avaient été annulés deux jours plus tôt.
[STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP] Les salariés d’Aigle Azur devant le ministère des Transports, le 9 septembre. Tous les vols avaient été annulés deux jours plus tôt.

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